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Enseignement supérieur - 60% des bacheliers changent de zone d'emploi quand ils deviennent étudiants

La majorité des étudiants quittent la zone d'emploi où ils ont passé le bac parce qu’ils n’y trouvent pas la formation désirée. Mais cette mobilité est un luxe que les étudiants d’origine modeste ne peuvent pas toujours se payer. L’Insee fait le point. De quoi alimenter les réflexions autour des politiques territoriales en faveur de l’enseignement supérieur et de l’emploi, et plus généralement sur les écosystèmes économiques locaux.

Les statisticiens du pôle Emploi-population de l’Insee ont fait parler les chiffres du Système d'information sur le suivi de l'étudiant (Sise) de la rentrée 2015. Leurs conclusions font l'objet d'un numéro d'Insee Première daté de janvier 2019 et intitulé "Aller étudier ailleurs après le baccalauréat : entre effets de la géographie et de l'offre de formation". Il s’avère que lors de leur entrée dans l'enseignement supérieur, 60% des bacheliers choisissent une formation dans une autre zone d'emploi que celle où ils résidaient en terminale, en général parce que l'offre locale de formation ne correspond pas à leurs souhaits. 
60% est une moyenne. Les comportements de mobilité diffèrent naturellement selon les zones d'emploi. L'Insee en distingue quatre. 

46% des bacheliers viennent d’une zone d’emploi proposant uniquement des formations de proximité

Il y a d'abord les zones d’emploi où "il n'existe aucune formation d'enseignement supérieur" (l'Insee cite Loches et Porto-Vecchio). Elles ne concernent que 1% des bacheliers français, et pratiquement toutes les agglomérations de Corse. Ici, seulement 3% des bacheliers sont originaires d'une zone d'emploi proposant une offre universitaire. Et pour cause, il n’y a qu’une université en Corse, en plein centre, à Corte. La plupart des bacheliers corses qui souhaitent entrer dans l'enseignement supérieur y va, mais plus du quart part pour le continent.
L'Insee a ensuite identifié les zones d'emploi qui proposent "principalement des formations dites de proximité (STS, CPGE, IUT*)". 46% des bacheliers en sont originaires. L'Insee y range par exemple Dreux, Vesoul ou encore Cognac.
Viennent ensuite les "pôles intermédiaires", comme Calais ou Pau, qui proposent des formations de proximité et une partie des formations universitaires mais pas la panoplie complète, parfois des écoles d'ingénieurs.
Enfin, il y a les principaux pôles universitaires qui proposent l'ensemble des formations universitaires et de proximité. 80% des bacheliers originaires de ces zones y restent quand ils débutent leurs études supérieures.

L’offre locale impacte l’orientation des bacheliers, surtout les plus modestes

L’Insee observe que "l’offre locale impacte l’orientation des bacheliers" et surtout "ceux qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas se déplacer". Par conséquent, "les jeunes issus d’un territoire offrant uniquement des formations de proximité s’orientent un peu plus vers les IUT et les STS", remarquent les statisticiens. 
Et c’est d’autant plus vrai pour les bacheliers les plus modestes. "Quand les jeunes d’origine défavorisée résident loin des grands pôles universitaires, des contraintes financières plus fortes sont susceptibles de peser sur les choix, soit en matière de cursus accessibles à proximité, soit à l’extrême en conduisant l’étudiant à renoncer à poursuivre ses études supérieures", souligne l’Insee. "En effet, les déménagements ou les navettes quotidiennes peuvent être trop coûteux malgré les bourses sur critères sociaux et les aides financières octroyées". 19% des néo-bacheliers d’origine sociale défavorisée** poursuivent leurs études en dehors de leur académie d’origine, contre 26% parmi les jeunes d’origine sociale très favorisée".
L’académie de Lille est une exception. Seuls 4% des néo-bacheliers poursuivent leurs études dans d’autres académies. Mais le facteur social n’est pas la seule explication. "L’académie de Lille a beaucoup de pôles universitaires secondaires (Valenciennes, Dunkerque, etc), parfois spécialisés (par exemple Calais, Lens-Hénin dans les sciences)", souligne l’Insee et "la zone d’emploi de Lille possède l’offre la plus complète de France". Alors si on ne sort pas de l’académie de Lille, à l’intérieur cela bouge beaucoup : "un bachelier sur deux quitte sa zone d’emploi d’origine pour une autre, le plus souvent par le biais de navettes quotidiennes", facilitées par "un réseau de transport dense". 

Et si la faible mobilité des jeunes était un atout pour l’emploi local ? 

Ces chiffres résonnent avec les témoignages d’élus locaux. "S'il n'y avait pas d'IUT à Charleville-Mézières, de nombreux jeunes ardennais n'auraient pas eu accès à l'enseignement supérieur", avait témoigné Catherine Vautrin, présidente du Grand Reims et présidente de l’Association des villes universitaires (Avuf), lors d’un colloque consacré aux universités de proximité, organisé à la rentrée 2017 à Saint-Brieuc, par Villes de France et l'Avuf (voir notre article Quel devenir pour les universités de proximité, pour leurs étudiants et pour leurs territoires ? du 19 septembre 2017). Mais cet IUT carolo c'est aussi la "voie vers le renouveau industriel" du territoire, expliquait Catherine Vautrin.
David Marti, président de la communauté urbaine Creusot-Montceau, témoignait d'une "réindustrialisation réussie" en ayant fait "le choix de s'être porté sur l’industrie d’excellence", en collaboration avec l'enseignement supérieur et la recherche. Il serait d’ailleurs "plus facile" de faire de l'excellence dans "des petits territoires, avec une impulsion souvent donnée par la collectivité", avait déclaré Laurent Buchon, directeur du Cnam Bretagne. C'est ce qu'il appelle faire "du circuit court" (quand d’autres utilisent plus volontiers le concept d’ "écosystème").

"Coller aux réalités économiques de nos territoires"

Selon le maire d’Arras Frédéric Leturque, l’élu local se doit de "dialoguer avec le tissu économique et les formateurs" pour permettre aux jeunes "d’avoir des formations percutantes, qu'ils ne soient pas anéantis par des formations garage, pour coller aux réalités économiques de nos territoires". Car, "nos jeunes - souvent boursiers - ne sont pas des jeunes mobiles comme d’autres", avait-il déjà remarqué.
Pour autant, "un pôle universitaire ne doit pas recruter que des jeunes du coin", avait alerté Sylvain Tranoy, vice-président de la communauté d'agglomération de Cambrai et vice-président de l'Avuf. "Nos jeunes de familles aisées vont faire leurs études dans les métropoles", avait-il témoigné, alors le fait de proposer des formations originales (comme une licence "droit et histoire de l’art", une licence "histoire, archéologie et patrimoine"...) était une manière de faire venir des jeunes de toute la France et permettre de sortir de 'l'entre-soi'". 

*Sections de techniciens supérieurs, classes préparatoires aux grandes écoles, Instituts universitaires de technologie.
**Selon la définition de la Depp reprise ici par l’Insee, l’origine sociale du bachelier ou de l’étudiant fait référence à la profession ou à la catégorie socio-professionnelle de la personne qui en est responsable. Les bacheliers d’origine sociale défavorisée sont ceux dont les parents sont ouvriers, retraités ouvriers et employés, inactifs…

 

 

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