Acceptabilité des énergies renouvelables : accords et désaccords de la mission flash de l'Assemblée

Les trois co-rapporteures Renaissance, LFI-Nupes et RN de la mission d'information flash de l'Assemblée nationale sur l'acceptabilité des énergies renouvelables (EnR) ont présenté à tour de rôle ce 9 novembre les conclusions de leurs travaux devant la commission du développement durable. Si un relatif consensus apparaît sur la nécessité de planifier le développement de ces énergies, d'impliquer les populations pendant toute la durée du projet et d'accélérer l'instruction des dossiers, les divergences restent marquées sur la méthode et sur le positionnement vis-à-vis des différentes EnR.

Créée dans la perspective de l'examen du projet de loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables (EnR), qui a été adopté au Sénat en première lecture (voir notre article du 7 novembre 2022), la mission flash de l'Assemblée nationale sur l'acceptabilité de ces énergies et les modalités de leur déploiement a présenté les conclusions de ses travaux ce 9 novembre devant la commission du développement durable. Pour refléter la dimension transpartisane du sujet, la mission a été confiée à trois députées représentant les trois grandes forces politiques de l'Assemblée – Pascale Boyer (Renaissance, Hautes-Alpes), Clémence Guetté (LFI-Nupes, Val-de-Marne) et Mathilde Paris (RN, Loiret). Elles ont mené 18 auditions et tables-rondes au cours desquelles elles ont entendu 60 parties prenantes – experts, représentants des collectivités territoriales, associations de protection de l'environnement, collectifs d'opposants aux EnR, syndicats de salariés, représentants d'entreprises concernées par le développement des EnR, services de l'État… Elles ont également reçu une trentaine de contributions écrites.

Avant de présenter à tour de rôle leur point de vue sur le sujet, les rapporteures ont souligné "la nécessité de planifier le développement des EnR, d'impliquer les populations durant l'intégralité du déroulement du projet dans une démarche de coconstruction et d'accélérer l'instruction des projets, sans pour autant que cela se fasse au détriment de la démarche de concertation et de participation de toutes les parties prenantes." Elles ont également constaté que "certaines sources d'énergies renouvelables sont acceptées par tous, tandis que d'autres suscitent des débats".

Concertation avec les habitants : "Les maires les mieux placés"

"Pour un déploiement cohérent, une planification s’impose afin que chaque habitant s’approprie très en amont les enjeux des projets qui seront développés dans son bassin de vie, dans le cadre d’un projet de territoire, a mis en avant Pascale Boyer. Il est essentiel que la population soit associée et participe à la décision pour que l’intérêt à agir soit perçu. C’est pourquoi cette planification doit se construire en partant des territoires. Et ce sont les maires qui sont les mieux placés pour concerter avec leur population afin de définir à l’échelon communal les zones prioritaires d’implantation qui seront ensuite intégrées dans les différents documents d’urbanisme, ainsi que dans le schéma départemental des énergies renouvelables et dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité du territoire (Sraddet)." Les schémas régionaux sont aussi selon elle à "mettre en cohérence avec les schémas régionaux de raccordement au réseau des EnR".

"Cette organisation de la planification permettra de s’assurer que les décisions validées au plus près des territoires correspondent à la programmation nationale, établie à partir de la loi de programmation quinquennale et de la programmation pluriannuelle de l’énergie, et déclinée dans chaque région", a justifié la députée Renaissance. Pour l'éolien en mer, "le comité maritime de façade, en accord avec les élus locaux, pourra acter les zones d’implantation", a-t-elle estimé. "Pour les territoires de montagne et les territoires littoraux, le Conseil national de la montagne ou le Conseil national de la mer et des littoraux devront être associés à la consultation pour avis simple", a-t-elle ajouté.

"La concertation et la participation des citoyens doivent se dérouler durant toute la durée de vie du projet", a insisté Pascale Boyer. À ce titre, la Commission nationale du débat public pourra être consultée, "si nécessaire", "dans le cadre de ses compétences concernant la faisabilité du projet, et ce même pour des projets où sa consultation n’est pas obligatoire". "Considérer que la procédure doit être traitée comme un projet permet de phaser les différentes étapes de l’instruction du dossier et permet de déterminer une date à laquelle l’instruction doit être terminée, quel qu’en soit l’aboutissement, a-t-elle argué. Afin de s’assurer de la meilleure recevabilité du projet, un comité constitué du pétitionnaire, des élus locaux et des services de l’État peut permettre de lister dans un procès-verbal les différents blocages d’une éventuelle irrecevabilité. À cette étape, chacun s’engage dans un délai convenu, qui pourrait ne pas dépasser deux mois, à fournir les éléments nécessaires à la recevabilité de la demande d’instruction."

Concernant l'acceptabilité des différentes énergies, les auditions ont fait apparaître d’"importantes réserves sur l’installation de panneaux photovoltaïques au sol", a relevé Pascale Boyer. "La quasi-unanimité fait apparaître la nécessité d’optimiser les installations de panneaux photovoltaïques sur le foncier bâti existant, les friches industrielles et autres fonciers à faible potentiel agronomique", a-t-elle noté. Quant à la définition de l'agrivoltaïsme demandée par le monde agricole, "elle est satisfaite car elle sera actée dans la loi, ce qui permettra de cadrer les projets d’implantation", a-t-elle relevé. "Pour augmenter les chances de réussite du mix énergétique, toutes les sources d’énergie renouvelable doivent être prises en considération, a-t-elle souligné. L’hydroélectricité, première source d’énergie renouvelable en France, doit avoir toute sa place dans le projet de loi (…). D’autres sources, par exemple les énergies houlomotrice ou marémotrice, devraient également y être inscrites."

Le partage de la valeur est "une condition de réussite d’un projet", a-t-elle insisté. "Les collectivités où sont implantées les installations doivent bénéficier d’un revenu suffisant pour compenser l’impact en développement des projets améliorant les services à leur population, a-t-elle poursuivi. La participation financière des citoyens et des collectivités doit être facilitée mais doit rester volontaire."

Afin de tenir les délais de déploiement des EnR prévus par la loi, la députée juge aussi "nécessaire de renforcer les équipes en charge de l’instruction des dossiers dans les services décentralisés de l’État". Selon elle, la massification des appels d’offres pour les projets d’éoliennes offshore permettrait de "mutualiser les moyens humains".

Une "désirabilité" à atteindre

Rappelant le soutien du groupe LFI-Nupes à un mix énergétique "100% renouvelables", Clémence Guetté a regretté que la mission flash se soit parfois "trop focalisée sur certaines énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien, tout comme le projet de loi qui arrive ne considère ni l’hydraulique, ni la géothermie, ni l’énergie marémotrice". La mission flash a permis selon elle de "dessiner un constat clair : la France est en retard pour deux raisons principales. D’abord, car le pays ne dispose pas d’une planification publique et démocratique des énergies renouvelables portée par une volonté politique forte. Ensuite, car elle ne mène aucune politique d’appropriation par les Français de la bifurcation énergétique. Plutôt que l’acceptabilité, c’est bien la 'désirabilité' des énergies renouvelables qu’il faut atteindre".

"Il est temps que l’État et les collectivités locales assument pleinement leur rôle de planificateurs de la bifurcation énergétique en accord avec les objectifs nationaux", a-t-elle souligné. Selon elle, les documents de planification (schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, schémas de cohérence territoriale, plans climat-air énergie territoriaux, plan local d'urbanisme intercommunal, plan local d'urbanisme) sont "très largement sous-exploités". "Ils permettraient pourtant cette déclinaison territoriale en déterminant les zones d’implantation potentielles et la coordination des échelons", estime-t-elle.

Sur l’instruction des projets, "les moyens humains insuffisants des services déconcentrés de l’État, en particulier des directions régionales de l’aménagement, de l’environnement et du logement (Dreal), ne permettent pas d’examiner les demandes d’autorisation environnementales dans des délais raisonnables", estime la députée. " L’urgence est (…) pour le gouvernement d’assumer enfin, avec clarté et constance, son soutien à toutes les énergies renouvelables", a-t-elle souligné. " Comme le nucléaire et l’hydraulique avant elles, les énergies renouvelables peuvent être développées très rapidement grâce à un pôle public de l’énergie composé d’entreprises publiques nationales, a-t-elle défendu. Celui-ci devrait s’articuler à l’échelle locale avec les syndicats départementaux d’énergies renouvelables et des entreprises publiques locales." "Contre une logique de marché qui concentre les projets d’énergies renouvelables dans l’espace, assurer l’égalité territoriale doit être un axe majeur de la planification écologique, a-t-elle ajouté. L’État pourrait faire le choix d’ouvrir des appels d’offres à une échelle locale, plutôt que pour tout le territoire national, pour accélérer en tenant compte des potentiels et des capacités déjà installées." Elle a estimé que "le potentiel photovoltaïque en toitures est la meilleure solution pour éviter que des terres agricoles ne soient utilisées pour produire cette énergie, et ce à rebours de la nécessaire bifurcation de notre modèle agricole".

"Pour développer les énergies renouvelables, il faut aussi permettre aux Français de s’approprier ces énergies", a souligné Clémence Guetté, estimant qu'"il faut associer plus largement : les riverains, les élus locaux, les syndicats, les branches professionnelles, l’ensemble des forces vives de la Nation" tout en renforçant le "rôle d’accompagnement" de la Commission nationale du débat public (CNDP). "Le développement de l’emploi local est le deuxième levier essentiel pour partager et décupler la valeur des énergies renouvelables, a insisté Clémence Guetté. Structurer des filières industrielles dans la fabrication, la pose et la maintenance d’équipements d’énergies renouvelables, voilà qui est bien plus puissant pour le développement local et l’appropriation de ces énergies, que la simple déduction forfaitaire sur la facture d’énergie prévue par le projet de loi, à laquelle nous nous opposerons", a-t-elle prévenu.

Pour un "moratoire" sur les éoliennes terrestres 

Pour Mathilde Paris, les travaux de la mission flash ont permis de "mettre en avant deux grands axes".  "Tout d’abord, l’acceptabilité varie selon le type d’énergie renouvelable. Ensuite, les modalités de déploiement des énergies renouvelables doivent être repensées de manière à remettre les élus locaux et les citoyens au cœur de la prise de décision", a-t-elle expliqué. "Comme l’ont confirmé les auditions de la mission d’information, l’éolien terrestre a un impact négatif sur la biodiversité, notamment sur l’avifaune et les chiroptères, a-t-elle développé. De plus, la plupart des pales sont fabriquées en Chine dans des conditions bien éloignées des normes environnementales françaises et leur recyclage pose question. Enfin, l’implantation d’éoliennes entraîne une dévaluation du prix des biens immobiliers ou empêche leur vente lorsqu’ils sont situés à proximité d’éoliennes. Elle porte également atteinte à l’activité touristique en raison de l’impact des éoliennes sur les paysages." " Il est donc indispensable de mettre en place un moratoire sur la construction de nouvelles éoliennes terrestres ou, au moins, dans un premier temps, de renforcer la réglementation pour enrayer leur déploiement anarchique", en déduit la députée. Pour l'éolien en mer, "la distance aux côtes constitue un enjeu majeur d’acceptabilité", a-t-elle poursuivi. Autre risque : les conflits d'usages, notamment avec l’activité de pêche. "C’est pourquoi la concertation avec les pêcheurs doit être une priorité avant tout nouveau projet", insiste Mathilde Paris. Reconnaissant le "potentiel d’installation significatif" du photovoltaïque, la co-rapporteure insiste sur la "nécessité d’orienter le subventionnement public alloué à cette énergie vers le développement d’une véritable filière française ou, a minima, européenne". "Ensuite, il faut veiller à ce que le photovoltaïque n’implique pas d’artificialisation des sols, génératrice de tensions sur le foncier agricole, met-elle en garde. Notre souveraineté alimentaire doit être préservée." Trois autres EnR sont aussi "souvent bien acceptées par les citoyens", a-t-elle souligné. C'est le cas de l'hydroélectricité dont il convient d’"encourager" le développement, "notamment celui des nouvelles technologies telles que les hydroliennes ainsi que celui de la petite hydroélectricité – tout étant vigilant au danger que cette dernière peut représenter pour la biodiversité, notamment les poissons". Elle a également cité la géothermie, qui mériterait selon elle de faire l'objet d'"un investissement public massif, en mobilisant le fonds chaleur", et l'hydrogène qui "présente un potentiel de développement très intéressant".

Pour la députée, "l’une des clés de l’acceptabilité des projets d’énergies renouvelables se trouve dans une coconstruction réelle avec les habitants et élus locaux". "Il faut éviter de faire des énergies renouvelables une cause de clivage entre des zones urbaines protégées, bien que consommatrices d’énergie, et des zones rurales sacrifiées pour la production d’énergie, a-t-elle mis en garde. Aussi, en lien direct avec les citoyens, il faut consolider une planification territoriale des énergies renouvelables." Celle-ci doit reposer sur "différents échelons locaux" et le respect de "quelques principes simples". "Pour le choix d’un projet, chaque commune d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) doit avoir une seule voix (celle du maire), sans considération du nombre d’habitants et de la surface, préconise-telle. Ensuite, il faut que le droit de veto du conseil municipal soit respecté. Enfin, il faut revoir et uniformiser la répartition de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) pour toutes les énergies renouvelables concernées, de manière à assurer davantage de retombées économiques pour les communes."