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Acceptabilité des EnR : le Cese plaide pour un meilleur partage de la décision, des efforts et des retombées économiques

Pour faire face à la montée des "crispations" à l’égard des infrastructures d’énergies renouvelables, le Conseil économique, social et environnemental, saisi par le Premier ministre, préconise un meilleur partage de la décision, des efforts, des revenus et des retombées économiques. Il alerte sur "l’inquiétude diffuse" d’une partie de la population – qui dépasse "l’agrégation d’égoïsmes individuels" – face à ces infrastructures, lesquelles, "imposées au prétexte de l’urgence", alimentent les sentiments de déclassement et d’injustice.

"Le besoin d’accélération [des investissements dans les énergies renouvelables - EnR] ne pourra pas être réalisé dans le contexte actuel d’acceptabilité et risque au contraire d’intensifier les oppositions locales." Saisi par le Premier ministre sur les moyens de faciliter l’acceptabilité des nouvelles infrastructures de transition énergétique, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) confirme les "crispations" grandissantes à l’égard des infrastructures nouvelles, dans un avis, rédigé par Claire Bordenave (groupe CGT) et Nicolas Richard (groupe Environnement et nature, FNE) et adopté ce 23 mars (133 voix pour, 1 voix contre et 26 abstentions). Les éoliennes terrestres concentrent l’attention – notamment du Premier ministre dans sa saisine –, mais "le développement de l’éolien offshore, du photovoltaïque ou de bioénergies rencontrera les mêmes difficultés, d’autant plus si cette transition énergétique semble imposée aux territoires et à leurs populations au prétexte de l’urgence", prévient le Cese.

Les citadins boivent, les ruraux trinquent ?

Dans sa saisine, Jean Castex évoquait des "oppositions minoritaires mais fortement relayées", œuvre de riverains ou d’associations environnementales. Le Cese relève toutefois que "si le nombre de personnes réellement anti ou pro reste en général, sur le plan local, limité, il existe une inquiétude diffuse chez une partie de la population qui ne se mobilise pas activement mais craint les nuisances que les projets d’EnR pourraient avoir chez elles". Et le mal est plus profond qu’un simple rejet Nimby (pas dans mon jardin) : "Les mouvements d’opposition […] ne se limitent pas à une agrégation d’égoïsmes individuels", avertit le rapport. Ces infrastructures alimentent les sentiments de "relégation", de "déclassement" et d’ "injustice" de certains territoires. Elles creusent davantage le fossé entre citadins, qui décident et en bénéficient, et ruraux, qui payent, via "la perte d’aménités en termes paysager ou de calme". Les projets se développent essentiellement "dans les espaces ruraux […], mais la majorité de la consommation énergétique concerne les métropoles et les grandes zones urbaines […]. Une partie de la population rurale a alors le sentiment de subir les inconvénients de la transition énergétique avec des projets imposés, sans y voir de bénéfices directs", alerte le Cese, qui juge "logique que, dans la population résidente, des gens se sentent perdants" face à la modification de leur territoire. D’autant que "les retombées économiques locales des EnR et les emplois générés restent en deçà des promesses", relève-t-il. Or, le constat a déjà été tiré, "pas de transition écologique réussie sans solidarité entre villes et campagnes" (v. notre article du 17 mai 2021).

Pas d’association, pas de vision

Pis, ces ruraux ont le sentiment de n’avoir même pas voix au chapitre, placés devant le fait accompli, et ce dans le désordre le plus total. "Les impacts ressentis localement donnent l’impression de transitions subies, concrétisées par des projets épars, sans coordination ni lien explicite avec une trajectoire régionale et nationale […], sans prise en compte réelle du territoire d’implantation, de ses spécificités et modes de vie, et sans appropriation par les populations", conclut le Cese. Dans le détail, il relève notamment que "les maires ne sont pas assez souvent informés et consultés par les porteurs de projets", même s’il note que de récentes évolutions réglementaires vont dans ce sens. Il déplore également que la "gouvernance de la transition énergétique ne prévoit pas de réelle coordination des différents niveaux territoriaux (État, régions et intercommunalités), ni la territorialisation des objectifs nationaux fixés par la programmation pluriannuelle pour l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC)". "L’approche des projets est trop ‘pointilliste’, sans vision d’ensemble, au gré d’initiatives souvent purement opportunistes des développeurs", dénonce-t-il. Ce qui se traduit selon lui "par un taux d’échec important des projets". Une fois de plus, le déficit de stratégie est pointé (v. notre article du 10 mars 2022).

Renforcer l’information, la concertation, la participation

Pour inverser la tendance, le Cese dresse 23 propositions, qui visent notamment à renforcer l’information – et une "large dissémination des connaissances" –, la concertation et la participation de tous les publics, tant à l’échelon national que local :

• il préconise ainsi un grand débat public national sur la stratégie française énergie climat et que la PPE, la SNBC et le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) fassent l’objet d’une loi permettant des échanges parlementaires ;

• il recommande également de favoriser le développement des concertations locales volontaires climat-énergie, en anticipation des projets, associant les élus et la population. Organisées au niveau des intercommunalités ou de départements, ces concertations serviraient à dessiner la contribution du territoire au développement des EnR, à la sobriété, aux puits de carbone. Elles devraient se fonder sur un diagnostic territorial du foncier croisant rentabilité supposée, contraintes réglementaires, enjeux de biodiversité et de patrimoine, enjeux socio-économiques, expertise d’usage des habitants… afin de déterminer collectivement les opportunités et contraintes du développement d’EnR. Elles alimenteraient les plans climat-air-énergie (Pcaet), les SCoT et les PLU – documents auxquels serait adjoint une carte virtuelle des installations envisagées. Les résultats de cette concertation seraient consolidés jusqu’à l’atteinte des objectifs régionaux des PPE et SNBC. Étant entendu que, autre proposition, ces dernières devront au préalable faire apparaître clairement la contribution des territoires, les déséquilibres éventuels devant faire l’objet de réciprocités spécifiques ;

• il suggère de systématiser une concertation préalable pour tout projet, même lorsqu’aucun processus n’est imposé par le code de l’environnement. Et pour les projets d’ampleur, il recommande que l’avis de l’Autorité environnementale soit disponible au stade de la concertation amont pour éclairer la participation du public, "qui ne dispose sinon que de l’étude d’impact du porteur du projet". Il recommande encore de mettre en place des dispositifs "pour aller chercher la contribution des personnes 'silencieuses' et des 'invisibles'", en veillant à prendre en compte l’illectronisme – "la participation par voie numérique devra être limitée", insiste le Cese ;

• il plaide pour une évaluation a posteriori de la concrétisation des engagements des porteurs de projet, associant tierces parties indépendantes et expertise territoriale (élus, associations, chambres consulaires…), en informant clairement le public des éventuels changements de propriétaires et d’actionnaires ;

• il demande la mise en place d’un médiateur de l’éolien, et plus largement des EnR.

Mieux partager les revenus et retombées

Face au sentiment d’injustice, le Cese plaide pour une répartition plus équitable des efforts… et des retombées économiques :

• il recommande que les équipements EnR soient assortis d’un contrat de service public imposant qu’une partie des investissements engagés soit versée sur un fonds dédié à la transition énergétique et aux services essentiels aux collectivités. Le taux pourrait être augmenté pour chaque équipement supplémentaire sur une même commune ;

• il préconise que les porteurs de projets consacrent une part des coûts du chantier à des entreprises et à des emplois locaux et contribuent à leur formation, et recommande aux donneurs d’ordres d’inclure cette condition dans les clauses des appels d’offres ;

• il suggère une mise à plat de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) et du Fonds national de compensation de l’énergie en mer pour "mieux refléter la distribution et qualification des impacts entre la commune d’implantation et les communes voisines" ;

• il recommande encore d’inciter les régions, les départements et les syndicats d’énergie à se doter de sociétés exploitantes permettant de développer les EnR dans leur territoire et de faciliter l’accès aux financements publics pour les projets citoyens.

En conclusion, le rapport se fait grave. À défaut de prendre les mesures idoines, "la France continuera de s’éloigner de sa trajectoire climatique et d’en payer des conséquences toujours plus élevées, environnementales mais aussi sociales".

 

 

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