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Accord des 27 : encore beaucoup de zones d'ombre sur la politique régionale

L’accord des 27 du 21 juillet, présenté avec enthousiasme, laisse de nombreuses zones d’ombre, ne serait-ce que sur les modalités de remboursement de l’emprunt de 750 milliards d’euros que la Commission contractera pour financer son plan de relance…
Derrière ce plan, se pose la question du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 et de la place accordée à la politique régionale, en nette diminution par rapport au budget actuel. Toutefois, le Parlement, colégislateur, ne se le tient pas pour dit. Au plan national, les discussions entre l'Etat et les régions entreront dans le vif du sujet à partir de la rentrée. Il faudra attendre le mois d’octobre pour commencer à avoir une idée précise de la part des enveloppes dévolues à la France.

Même le Dalaï Lama y est allé de son commentaire élogieux, jugeant "réconfortant" de voir les dirigeants "relever le défi le plus important de l’histoire" de l’Union européenne… Pourtant cet accord "historique" mobilisant un total de 1.824 milliards d’euros sur sept ans, arraché après quatre jours de négociations intenses, le 21 juillet, contient encore bien des zones d’ombre, notamment sur le cadre financier pluriannuel (CFP) pour 2021-2027 (voir aussi notre article). Ce dernier est passé au second plan derrière le plan de relance européen "Next Generation EU" de 750 milliards d’euros (dont 390 de subventions, le reste sous forme de prêts pour les pays qui le demanderont) qui a sans doute sorti la construction européenne de la nasse. Le plan de relance reposera sur un endettement commun, scellant le destin des Etats membres sur plusieurs décennies : l’argent sera emprunté directement par la Commission sur les marchés avec un remboursement étalé entre 2028 et 2058.

Rabais et monnaie d'échange

Mais pour le faire accepter par les pays "frugaux" du Nord, il a fallu leur consentir de juteux rabais (Allemagne, Danemark, Suède, Autriche et Pays-Bas se partageront 53 milliards d’euros ; 7 de plus que lors de la précédente programmation). Le budget pluriannuel a aussi servi de monnaie d’échange. Dans une résolution adoptée le 23 juillet, le Parlement européen a émis de sérieuses réserves, demandant à ce que ce budget plafonné à 1.074,3 milliards d’euros (prix constants de 2018) soit "amélioré", alors qu’il a longtemps plaidé pour un budget à 1.300 milliards d’euros.  Rappelons que dans sa proposition initiale de mai 2018, la Commission avait mis sur la table un budget de 1.135 milliards d’euros et qu’elle proposait encore 1.100 milliards d’euros en mai dernier. Dans cette résolution adoptée à une large majorité (465 voix, pour, 150 voix contre 67 abstentions), qui servira de mandat pour les futures négociations avec le Conseil, le Parlement indique qu’il "ne cautionnera pas un fait accompli" et se dit "prêt à refuser de donner son approbation". En qualité de colégislateur pour les 40 programmes budgétaires, il est donc prêt à faire usage de son droit de blocage. Dans le détail, les députés regrettent le manque d’ambition du Conseil sur les programmes tels que "le climat, la transition numérique, la santé, la jeunesse, la culture, les infrastructures, la recherche, la gestion des frontières et la solidarité, tels que Horizon Europe, InvestEU, Erasmus+, la garantie pour l’enfance, le Fonds pour une transition juste, le programme pour une Europe numérique, le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, LIFE+, le programme 'L’UE pour la santé', le Fonds pour la gestion intégrée des frontières, le programme 'Europe Créative', le programme 'Droits et valeurs', le Fonds européen de la défense, l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI) et l’aide humanitaire". N’en jetez plus.

Il faut se souvenir qu’avant même la crise, la proposition de budget de la Commission était très contrainte, du fait du Brexit (et du départ d’un important contributeur net) et du financement de nouvelles priorités.

Avoir une "vue globale"

"Il faut avoir une vue globale, regarder l’ensemble de l’accord, le CFP et le plan de relance (…) C’est éminemment lié", fait-on valoir à la Commission. Une "vue globale", faute de mieux, car il n’existe pour l’heure aucune ventilation nationale des montants alloués. Celle-ci ne devrait pas être connue avant le mois d’octobre. Les discussions entre les régions et l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) vont véritablement commencer à la rentrée. Le contenu de l’accord du 21 juillet permet cependant d’avoir une idée de l’impact sur la politique régionale.

Pour y voir clair sur ce que les Etats pourraient percevoir, il convient d’additionner les enveloppes budgétaires du CFP et celles contenues dans le plan de relance pour chacune des grandes politiques européennes. En effet, les 390 milliards d’euros de subventions du plan de relance comportent deux volets. 312 milliards vont à la "facilité pour la reprise et la résilience" (FRR), c’est-à-dire au soutien aux plans de relances nationaux. Ils devront être consommés dans les trois ans. La France a déjà annoncé recevoir ainsi 40 milliards d’euros qui devraient s’inscrire dans le plan national de 100 milliards d’euros qui sera présenté le 25 août. Renaud Muselier, le président de Régions de France, a proposé au gouvernement que les régions – autorités de gestion des fonds structurels – puissent cogérer une partie de ces crédits sous forme de contrats d’objectifs et de moyens pour soutenir des filières comme l’automobile, l’aéronautique, le tourisme... Cette hypothèse figure d’ailleurs dans l’accord "de méthode" signé entre l’Etat et les régions le 30 juillet sur la relance et les futurs contrats de plan. "On est parfaitement légitimes et compétents pour gérer une partie de ces fonds", souligne-t-on à Régions de France.

Des subventions sensiblement revues à la baisse

S’ajoutent aux 312 milliards d’euros de la FRR, 77,5 milliards d’euros de crédits divers qui vont irriguer les programmes européens : 47,5 milliards pour React-EU (le nouveau mécanisme pour la cohésion des Etats membres), 5 milliards pour le programme de recherche Horizon Europe, 5,6 pour InvestEU, 7,5 milliards pour le développement rural, 10 pour le Fonds pour la transition juste, 1,9 pour RescEU (la protection civile européenne). Premier constat : ces subventions ont été sensiblement revues à la baisse (il était question initialement de 500 milliards d’euros et non de 390 dans la proposition de la Commission du mois de mai, reprenant les chiffres avancés par Paris et Berlin), avec des conséquences sur l’investissement public. De plus, le Parlement n’aura pas son mot à dire sur ces crédits, à l’inverse de ceux du budget pluriannanuel. L’Association française du Conseil des communes et régions d’Europe (Afccre) interroge la gouvernance du plan de relance qui reposera sur des plans nationaux. "En reposant sur un exercice purement national et soumis à validation des Etats, sa gouvernance fait courir le risque d’une renationalisation des principaux programmes de soutien européen."

Développement rural

De son côté, le CFP se répartit en sept grandes rubriques. Avec un budget de 336,4 milliards d’euros, la Politique agricole commune (PAC) subit une forte érosion, sachant que la Commission avait proposé 365 milliards d’euros en 2018. Et pour rappel, la PAC se montait à 388 milliards d’euros dans la programmation actuelle (prix de 2018).

Pourtant la France - première bénéficiaire avec une enveloppe de 62,4 milliards d’euros sur sept ans, selon les premiers calculs du ministère de l’Agriculture -, estime plutôt bien s’en sortir. Son enveloppe est stable par rapport aux précédentes estimations. Elle passerait de 52 à 51 milliards d’euros pour le premier pilier (aides directes aux agriculteurs) sur sept ans, en revanche le second pilier (Feader), alloué au développement rural, connaîtrait une hausse substantielle, de 10 à 11,4 milliards. Cette part intéresse plus directement les régions puisqu’elle permet de financer les petites exploitations de zones défavorisées, l'installation des jeunes agriculteurs et le développement du bio… Même si les modalités de gestion de ce fonds – qui a subi de nombreux déboires lors de l‘actuelle programmation – sont encore l’objet de négociations difficiles entre le gouvernement et les régions. Il n’y a toutefois pas d’urgence : il a été décidé de reporter le démarrage de la future PAC à 2023 !

Un gros bémol toutefois : la part du plan de relance allouée au 2e pilier de la PAC baisse de moitié par rapport à la proposition initiale, avec 7,5 milliards d’euros. Une baisse interprétée comme "un signe du désengagement de l’Union dans les territoires" par l’Afccre.

Politique de cohésion

Après la PAC, le deuxième plus gros budget européen reste la politique de cohésion qui passerait à 331 milliards d’euros – soit ce qu’avait proposé la Commission en mai 2018. La part attribuée à la France pourrait se monter à 17 milliards d’euros, selon certaines simulations non officielles.

Cette enveloppe se répartit comme suit : 203 milliards pour les régions les moins développées, 47,8 pour les régions en transition, 27,2 pour les régions plus développées, 42,5 pour le fonds de cohésion, 1,9 milliard de supplément pour les régions ultrapériphériques, 7,9 milliards d’euros pour la coopération territoriale (Interreg) et 500 millions d’euros pour les investissements régionaux en matière d’innovation. A noter que la coopération territoriale – qui a pâti de la période de confinement - perd 1,5 milliard d’euros au passage.

Dans cet ensemble, le FSE+ (Fonds social européen augmenté) se monte à 88 milliards d’euros (dont 87,3 milliards relevant de la gestion partagée). Un quart des crédits devra être alloué à l’inclusion sociale (y compris l’inclusion des migrants), et 10% cibleront les jeunes sans emplois, ni formation (Neet). 2% iront à la lutte contre le "dénuement matériel".

Mais la politique de cohésion bénéficiera aussi des 47,5 milliards d’euros de ReactEU. Ce qui porte en théorie à 378 milliards d’euros l’enveloppe de fonds structurels et d’investissement (dont une vingtaine de milliards d’euros pour la France). Soit légèrement plus que pour la programmation actuelle 2014-2020. A ceci près que les crédits de ReactEU devront être consommés rapidement et avec leurs conditions propres. Qui plus est, c’est bien la base de 330 milliards d’euros qui servira de négociation à la future programmation, soit une enveloppe en nette diminution par rapport 2014-2020.

Régions en transition, concentration thématique, cofinancements, conditionnalité…

L’accord contient cependant plusieurs précisions techniques utiles. Trois bonnes nouvelles intéresseront tout particulièrement les régions françaises. L’accord préserve les trois catégories de régions : les moins développées, les régions en transition (dont le PIB est compris entre 75% et 100% du PIB moyen, soit la quasi-totalité des régions françaises d’avant la réforme territoriale, à l’exception de l’Ile-de-France et de Rhône-Alpes) et les régions les plus développées.

L’autre amélioration tient à la "concentration thématique" du Feder lié aux PIB des régions. Pour rappel, dans la future programmation, la Commission a prévu de flécher les crédits du Feder sur cinq grandes priorités - "Une Europe plus intelligente", "une Europe plus verte", "une Europe plus sociale", "une Europe plus connectée" et "une Europe plus proche des citoyens" -, imposant une part substantielle des crédits des régions les plus riches sur les deux premières priorités. "Les Etats membres décideront au début de la période de programmation le niveau – national ou régional – auquel s’appliquerait la concentration thématique", indique l'accord. Ainsi le calcul pourra se faire sur la base du PIB de chaque région et non sur une moyenne nationale. Si le gouvernement retient ce choix, l’Ile-de-France et Rhône-Alpes (ancien périmètre) se verront appliquer une concentration de 85% de leurs crédits Feder aux objectifs "Europe plus intelligente" et "Europe plus verte" dont 30% pour ce dernier. Mais pour toutes les autres régions, classées en transition, la part tombe à 40% (avec toujours un minimum de 30% pour l’Europe plus verte), ce qui leur donnera beaucoup plus de facilités pour financer d’autres priorités répondant aux préoccupations quotidiennes de leur territoire.

A noter aussi des changements en ce qui concerne les règles de cofinancement par rapport à la proposition initiale de la Commission, qui vont là encore dans le sens des régions françaises. Pour les régions en transition et les régions les moins développées, on revient aux taux qui prévalaient auparavant, à savoir un "reste à charge" pour le porteur de projet de 40% dans les régions en transition et de 15% pour les moins développées (et également pour les régions ultrapériphériques). La Commission avait proposé de passer respectivement à 45% et 30%. En revanche, le cofinancement est maintenu à 60% pour les régions les plus riches.

Un point risque de déplaire aux collectivités : la référence claire et nette à la "conditionnalité". "La politique de cohésion jouera un rôle de plus en plus important dans le soutien du processus de réforme économique que mènent actuellement les Etats membres, en renforçant le lien avec le Semestre européen (les recommandations adressées par la Commission à chaque pays, ndlr)". Or depuis des années, les régions estiment ne pas avoir à faire les frais des politiques budgétaires nationales.

Dégagement d’office

Les 27 sont revenus à la règle de "n+3" pour le dégagement d’office. En clair, les crédits devront être consommés dans les trois ans sinon ils seront renvoyés à Bruxelles. Ce qui laisse un an de plus par rapport à la proposition initiale de la Commission.

Les programmes perdants

Trois des nouveaux programmes de la Commission ont été sabrés. A commencer par l’instrument InvestEU, héritier de l’ancien "plan Juncker". Il y a deux ans, la Commission envisageait un fonds de 15,2 milliards d’euros pour offrir une garantie publique de 38 milliards d’euros. Désormais, il est ramené à 8,4 milliards d’euros : 5,6 au titre de relance et 2,8 milliards d’euros budgétés.

Le Fonds pour la transition juste, symbole du Pacte vert de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, n’est pas mieux loti. Ses crédits s’effondreraient de 43 milliards à 17,5 milliards d’euros, dont 10 au titre du plan de relance (au lieu de 32,8 initialement prévu) et 7,5 dans le CFP. Une question reste en suspens sur la part de cofinancement en crédits de politique de cohésion.

Pour ce qui est de la France, une enveloppe d’un milliard serait envisagée, à se partager non plus entre deux départements comme initialement prévu (le Nord et les Bouches-du-Rhône), mais entre 10 départements répartis en 6 régions.

Le nouveau programme Santé ne percevra que 1,67 milliard d’euros, bien loin des ambitions initiales de la Commission de 7 milliards. Un choix surprenant en période de crise sanitaire.

Les ambiguïtés du financement du plan de relance

Sur la question du financement du plan de relance par des ressources propres, le Parlement a dénoncé le manque de précisions du Conseil. Or, la création de ressources propres nécessite un vote à l’unanimité, avec une procédure de ratification nationale (le Parlement européen donnera un simple avis). La première d’entre elles est la taxe sur les plastiques (calculée sur la base des quantités de plastique non recyclées dans chaque pays), appelée à entrer en vigueur au 1er janvier 2021. Puis au premier semestre 2021, la Commission présentera un "mécanisme d’ajustement carbone aux frontières" et une "redevance numérique" dont l’entrée en vigueur ne se ferait pas avant 2023. L’idée d’une taxe sur les transactions financières est effleurée dans l’accord, mais ne serait pas envisagée avant le prochain budget pluriannuel. 2028 donc.

En cas d’échec des 27 sur les ressources propres, les Etats devront mettre la main au portefeuille, au prorata de leur contribution actuelle, soit environ 20% pour la France. Autant dire que les 40 milliards d’euros de subventions qu’elle perçoit seraient rapidement perdus, avec une contribution portée à 78 milliards d’euros.

 

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