Aides de la PAC : des inégalités toujours criantes

Des aides qui profitent aux plus grandes exploitations, un "verdissement" quasi nul… Dans un référé publié jeudi, la Cour des comptes dresse un constat sans appel des aides de la PAC et fournit des recommandations dans le cadre de la négociation en cours.

Le constat n’est pas nouveau, mais en pleine négociation sur le futur budget de la Politique agricole commune (PAC) pour 2021-2027, il a son importance. Dans un référé rendu public jeudi 10 janvier, la Cour des comptes dénonce les fortes inégalités qui entourent le versement des aides directes de la PAC aux exploitations. En 2015, écrit la Cour des comptes à l’adresse du ministre de l’Agriculture, "10% des bénéficiaires (33.000 exploitants) ont perçu moins de 128 euros par hectare d'aides directes découplées (droits à paiement de base), alors qu'à l'autre extrémité de la distribution 10% des bénéficiaires ont perçu plus de 315 euros/ha". "Ces aides sont découplées de la production : leur versement est opéré sans considération de la nature des cultures pratiquées ou des quantités produites depuis 2006", souligne l’institution. En effet, ces écarts sont "l'héritage de situations historiques" qui ont été "cristallisées en 2006 sur la base des montants moyens des déclarations PAC des années 2000 à 2002". Résultat : en 2015, le montant de l'aide directe moyenne par exploitant pour les structures les plus grandes (22.701 euros) était supérieur de 37% à celui des exploitations les plus modestes (16.535 euros), toutes spécialisations confondues.

Des écarts qui vont du simple au double

Les modalités de répartition de ces aides "avantagent les grandes exploitations et celles dont les activités sont les plus rentables. Ainsi, l’aide moyenne pour les grandes cultures était, en 2015, de 40.900 euros, soit le double de celle des producteurs de lait. Les aides, qui se montent à quelque 7,8 milliards d’euros par an pour la France, ont été versées "sans considération de la spécialisation des exploitations ou de leurs caractéristiques en matière d'emploi, de résultat ou d'empreinte environnementale". Et sans tenir compte, non plus, des revenus des ménages agricoles. Or malgré les aides, "le revenu annuel de 30% des agriculteurs a été inférieur à 9.500 euros chaque année de 2008 à 2015 (sauf en cultures céréalières et industrielles)". "La dégradation de la situation des agriculteurs est illustrée par le triplement du nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) de 2010 (8.241 bénéficiaires du RSA et de la prime pour l'emploi) à 2016 (33.300 bénéficiaires du RSA et de la prime d'activité)", poursuit le référé. En définitive, les aides de la PAC bénéficient surtout à des exploitations "déjà profitables" pour lesquelles elles représentent un complément de revenus.
Les magistrats ne s’arrêtent pas là et constatent que  les effets du "verdissement" opéré en 2015 sont "limités, sinon nuls, du fait d'exigences trop faibles et de régimes d'exemption".

Dans un contexte de diminution attendue des crédits de la PAC (consécutive au Brexit et au financement de nouvelles priorités), la Cour juge insuffisante l’évaluation européenne de la PAC et demande à ce que les objectifs du Fonds européen agricole de garantie (Feaga) soient "explicités, précisés et assortis d'indicateurs de résultat". Elle réclame au niveau de chaque Etat membre "un dispositif national d'évaluation qui doit être mis en place, en particulier pour ce qui concerne l'économie des exploitations et les revenus des agriculteurs". Les montants des aides "devraient être totalement harmonisés à l'échelle du territoire" et l‘ambition environnementale renforcée. La Cour recommande ainsi de rechercher dans la négociation "une méthode d'allocation des aides orientant davantage les modes d'exploitation vers la performance environnementale (moindre dépendance aux intrants de synthèse, décarbonation du secteur, essor de l'agriculture biologique, diversification des systèmes agricoles)". Et d’utiliser les mesures agro-environnementales et climatiques du second pilier pour inciter les agriculteurs à s’engager vers des pratiques plus vertueuses et  compenser les "externalités positives" de leur exploitation.

Vers un montant unique ?

La Cour plaide pour un "montant unique de droit de paiement de base" (DPB) pour la France continentale. Cette possibilité avait été ouverte suite à un accord européen de 2013 qui permettait à la France d’abandonner les références historiques pour aller vers une "convergence totale" d’ici à 2019 (en baissant les droits les plus élevés et en réajustant le plus faibles). Mais à l’exception de la Corse où les agriculteurs perçoivent le même niveau d’aide depuis 2015, la France s’est arrêtée en chemin, sous pression de la FNSEA, en privilégiant un taux de convergence de 70%. On peut regretter à cet égard que le référé de la Cour se cantonne à l’année 2015 qui est le point de départ de la réforme entreprise en France. "A ce stade de la négociation, la France s'attache à ce que toutes les options concernant la mise en place du paiement de base (maintien de droits à paiement, associé à la poursuite d'une convergence progressive, ou mise en œuvre du paiement unique à l'hectare) soient ouvertes", indique le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume, dans sa réponse. Pour ce qui est des mesures environnementales, il s’en remet aux propositions de la Commission : une conditionnalité englobant les règles actuelles du verdissement, valable pour toute l’UE, un "éco-scheme" obligatoire pour les Etats membres et facultatif pour les agriculteurs, permettant de rémunérer sur le premier pilier des pratiques plus vertes, et des MAEC du second pilier "incitant les agriculteurs à s'engager sur la durée en faveur de pratiques favorables à l'environnement et au climat". S'agissant de l’évaluation, il rappelle le changement de cap de la future programmation puisque chaque Etat devra élaborer un plan stratégique, avec un suivi de la performance des aides directes.
Mais la perspective d’un accord politique avant les élections européennes de mai 2019 n’est plus à l’ordre du jour. Ce sera donc à un nouveau Parlement de se prononcer dont nul ne peut aujourd’hui prédire la couleur. Pour le collectif Pour une autre PAC, qui réunit des organisations paysannes et environnementales, la réforme de la PAC n’entrera pas en vigueur avant 2022.