Avec le 49.3, l'encadrement des dépenses locales entre dans le PLF 2023

Amendement surprise à l'Assemblée nationale. Profitant du recours au 49.3 sur la seconde partie du projet de loi de finances pour 2023, le gouvernement a introduit dans le texte le dispositif de maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités. Celui-là même que les parlementaires avaient rejeté dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques. Les réactions n'ont pas tardé, notamment du côté de l'Association des maires de France. Matignon insiste sur le caractère "provisoire" du nouvel article.

Élisabeth Borne a de nouveau actionné l'article 49.3 de la Constitution mercredi 2 novembre devant l'Assemblée nationale sur l'ensemble du projet de loi de finances (PLF) pour 2023 en première lecture. "Lundi, lors de l'examen des crédits de la mission écologie, développement et mobilités durables, avec 15 milliards d'euros de dépenses nouvelles, ponctionnées sur des programmes essentiels, vous avez profondément bouleversé la cohérence et les équilibres du texte. (...) Puisque les conditions d'un dialogue constructif ne sont plus réunies (...), nous devons réagir", a déclaré la Première ministre dans l'hémicycle.

Ce nouveau recours au 49.3 a mis fin aux débats sur la partie "dépenses" du projet de budget de l'État pour 2023, loin d'être arrivés à leur terme avec seulement cinq chapitres débattus sur plus de trente. Et parmi les crédits qui restaient à examiner figuraient ceux de la mission… relations avec les collectivités territoriales (RCT). Qui promettaient un débat plus que vif dans l'hémicycle. "Nous aurions gagné des millions, voire des milliards" au profit de communes "étranglées aujourd'hui par les prix de l'énergie, les baisses de dotation", a déploré la patronne des députés LFI, Mathilde Panot.

Les députés LFI ont immédiatement riposté par l'annonce d'une nouvelle motion de censure, mais sans ses alliés de la Nupes (PS, EELV, PCF) qui craignent de "banaliser" cette arme. Les députés RN ont ensuite fait savoir qu'ils ne déposeraient pas de nouvelle motion de censure et voteraient celle de LFI

En jeu dans une telle situation : la question des amendements que le gouvernement retient ou écarte dans le texte soumis à la procédure. La Première ministre a assuré qu'elle ne rayait pas tout d'un trait de plume mais reprenait par exemple certains amendements "adoptés lors de l'examen des crédits de la mission outre-mer". Elle a aussi cité "7 milliards d'euros supplémentaires pour la protection des entreprises et des collectivités face à la hausse des prix de l'énergie" ou encore "la revalorisation des salaires" des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Le gouvernement a au final conservé une soixantaine d'amendements parlementaires, dont plus d'une moitié portés par la majorité (voir encadré ci-dessous).

Malgré leur adoption par l'Assemblée, il a en revanche écarté les propositions les plus coûteuses portées par les oppositions, comme les amendements EELV et PS accordant 12 milliards d'euros de plus à la rénovation thermique des logements, ou les 3 milliards de plus pour investir dans le train. Ces amendements auraient eu selon elle pour conséquence d'"abolir", en le privant de financement, le "bouclier tarifaire", mesure phare du PLF devant limiter à 15% les hausses des prix réglementés du gaz et de l'électricité.

Le texte sur lequel le gouvernement a décidé d'engager sa responsabilité recèle aussi évidemment une série d'amendements qu'il a lui-même rédigés et n'ont pas pu être examinés. Si certains étaient attendus dans la mesure où ils viennent confirmer et budgéter des annonces récentes, par exemple sur l'"amortisseur électricité", le fonds vert ou l'hébergement d'urgence... d'autres sont apparus sans crier gare. Un en tout cas : l'amendement II-3236 créant un nouvel article 40 quater relatif à la maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités.

Deux articles en un

Après le rejet par l'Assemblée nationale du projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) pour 2023-2027, les élus locaux pouvaient penser que les finances locales échapperaient au dispositif de maîtrise des dépenses de fonctionnement imaginé par le gouvernement sous le nom de "pacte de confiance". L'impuissance du gouvernement à faire passer pour le moment ce texte dans un palais Bourbon où seule une majorité relative lui est acquise devait signifier que les collectivités seraient exonérées d'une telle pression sur leurs budgets.

Mais le gouvernement fait preuve d'opiniâtreté. À la faveur de l'utilisation de ce 49.3 sur la seconde partie du PLF 2023, il a introduit le dispositif décrié. Les articles 16 et 23 du PLPFP 2023-2027 se retrouvent fusionnés dans un nouvel article 40 quater du PLF 2023. Le dispositif instaure toujours un objectif limitant les dépenses de fonctionnement des collectivités locales à l'inflation prévisionnelle minorée de 0,5 point. Et il concerne toujours au premier chef quelque 500 collectivités : les régions, les départements et, au sein du bloc local, les communes et les intercommunalités à fiscalité propre dont les dépenses réelles de fonctionnement du budget principal ont été supérieures à 40 millions d’euros en 2021. Mais désormais, les collectivités ou les intercommunalités qui ne parviendront pas à respecter la trajectoire ne perdront pas le bénéfice des dotations d'investissement accordées par l'État. Ces sanctions-là ne figurent pas dans la nouvelle mouture, qui conserve néanmoins le principe des "accords de retour à la trajectoire" conclus entre le préfet et la collectivité qui est sortie des clous, et donc une éventuelle reprise financière à la clé.

"Un dispositif inacceptable ajouté en catimini"

Notons que le coup de théâtre réservé par l'exécutif est intervenu le jour même où le Sénat examinait en première lecture le PLPFP 2023-2027, en y imprimant sa marque. La Haute Assemblée à majorité de droite a acquiescé à la trajectoire de dépenses définies pour le secteur public local – à savoir le niveau de l'inflation prévisionnelle, minoré de 0,5 point. Il a en revanche exclu du périmètre des dépenses de fonctionnement concernées les allocations individuelles de solidarité pour les départements. Surtout, il a rejeté les sanctions censées s'appliquer en cas de dérapage. Mais avec le passage en force du gouvernement sur le PLF 2023, les choix des sénateurs ont été en quelque sorte balayés d'un revers de manche.

"Le gouvernement a en catimini ajouté au PLF un dispositif inacceptable de contrôle étatique des dépenses des collectivités, pourtant écarté de la LPFP au Parlement", a réagi sur twitter le président de l'Association des maires de France, David Lisnard. Quelques heures plus tard, l'association a déploré dans un communiqué "une atteinte à la libre administration des collectivités locales". "Par rapport aux premiers contrats de Cahors [qui se sont appliqués en 2018 et 2019], l’encadrement des budgets locaux est encore plus contraignant", a-t-elle aussi estimé. Par ailleurs, l'AMF dit s'interroger sur la constitutionnalité du choix fait par le gouvernement d'introduire un dispositif fixant un objectif sur cinq ans dans un projet de loi de finances soumis au "principe d’annualité budgétaire".

Le retour inattendu du dispositif de limitation des dépenses de fonctionnement des collectivités locales "n'est pas de nature à restaurer la confiance dans les relations entre le gouvernement et les associations d'élus locaux", a regretté pour sa part la députée socialiste Christine Pires Beaune. Interrogée par Localtis, elle s'est dit "très étonnée" après les dernières déclarations (notamment lors de la convention d'Intercommunalités de France) et les signes d'attention (via par exemple les amortisseurs électricité) de la Première ministre à l'égard des collectivités locales. "C'était bien parti et puis patatras ! C'est un coup je t'aime et un coup je te déteste", a déclaré la députée, spécialiste des finances locales.

L'exécutif prêt à des concessions

Comme ses collègues de la Nupes, elle déplore aussi que le gouvernement ait "voulu éviter le débat" sur les finances des collectivités locales. Programmée au départ pour le 27 octobre, cette discussion avait été reculée au 4 novembre à la demande du gouvernement. Du fait de l'activation du 49.3, elle n'aura donc pas eu lieu. "Le gouvernement savait que ce débat serait vif et aurait vu des amendements pro-collectivités être adoptés", souligne Christine Pires Beaune.

L'exécutif tenait coûte que coûte à ce qu'un objectif de dépenses s'applique aux collectivités locales pour la durée du quinquennat, fait-on savoir à Matignon. Cet outil est rendu obligatoire par la loi organique de décembre 2021 sur la modernisation de la gestion des finances publiques et il "fait partie des éléments de pilotage qui sont utilisés par la Commission européenne", y précise-t-on. C'était maintenant ou jamais que le gouvernement devait introduire le dispositif dans le PLF 2023, souligne encore l'entourage d'Élisabeth Borne. Du fait des principes régissant la construction des lois, le dépôt d'un amendement en seconde lecture était tout simplement inenvisageable.

Matignon insiste aussi sur le caractère "provisoire" du nouvel article 40 quater du PLF 2023. L'exécutif serait en effet "très ouvert sur les modalités pratiques" de mise en œuvre du dispositif de maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités locales. Celles qui sont les plus "irritantes" pour les élus locaux pourraient ainsi passer à la trappe, avec l'accord de l'exécutif.

Celui-ci pourrait d'ailleurs accepter des compromis dès le stade de la réunion de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi de programmation des finances publiques. Autrement dit, ce texte n'est peut-être pas encore en bout de course. Si les députés de l'opposition jugent les gestes gouvernementaux suffisants, ils pourraient être disposés à le voter. Dans ce cas, l'article 40 quater inscrit dans le PLF 2023 perdrait tout son sens.

  • Parmi les amendements inscrits dans le texte du gouvernement

"Amortisseur électricité" - Élisabeth Borne revendique 7 milliards d'euros supplémentaires pour protéger entreprises et collectivités face à l'explosion des prix de l'énergie, notamment par "l'amortisseur électricité" annoncé le 27 octobre (voir notre article).

Fonds vert - Le gouvernement a aussi confirmé les "500 millions d'euros supplémentaires" pour le Fonds vert à destination des collectivités, tel qu'annoncé le 11 octobre par Bérangère Couillard (voir notre article).

DGF - Un amendement prévoit qu’aucune minoration ne sera appliquée à la dotation forfaitaire des communes en 2023 malgré l'augmentation de la DSU et de la DSR. Les attributions individuelles au titre de cette dotation forfaitaire "n’évolueront donc, à périmètre constant, qu’en fonction de la population", indique le gouvernement. "Afin de répartir l’abondement de DGF sur le plus grand nombre de communes (…), la hausse de la DSR en 2023 sera réparti au minimum à 60% sur sa deuxième fraction dite 'péréquation', qui bénéficie à la quasi-totalité des communes", est-il également expliqué.

Titres d'identité - Le gouvernement prévoit de réformer la dotation pour les titres sécurisés (DTS) pour apporter un soutien financier supplémentaire de 20 millions d'euros aux communes chargées du recueil des demandes de titres. Le montant forfaitaire attribué aux communes pour chaque dispositif de recueil (DR) en fonctionnement sur leur territoire sera augmenté, tout comme sera renforcé le soutien aux communes dont les DR enregistrent un nombre élevé de demandes. "Une majoration de la dotation est également prévue afin de favoriser le recours par les communes à des plateformes de prise de rendez-vous en ligne interopérables", est-il précisé.

Fpic - Un amendement prévoit la création d'une "garantie pérenne de sortie progressive de l’éligibilité au reversement du Fpic" sur quatre années (90%, 70%, 50% puis 25% du reversement perçu l’année précédant la perte d’éligibilité) "afin de rendre la sortie du régime du Fpic plus progressive pour les ensembles intercommunaux qui perdront leur éligibilité".

DETR et DSIL plus vertes - Un amendement Modem prévoit que le préfet prend en compte le caractère écologique des projets lors de la fixation des taux de subvention pour la DETR et la DSIL : les opérations d’investissement favorisant la transition écologique pourraient bénéficier d’un taux de subvention majoré.

Taxe d’aménagement - Au regard des "difficultés" posées par le partage de la taxe d’aménagement entre les communes et leur intercommunalité, un amendement Modem entend assouplir les modalités de ce partage, en laissant les élus définir librement la clé de répartition, et supprimer les nouveaux délais de délibération.

Métropole du Grand Paris - Un amendement Renaissance vient modifier la répartition des ressources au sein de la métropole du Grand Paris. Le transfert de la cotisation foncière des entreprises des établissements publics territoriaux (EPT) vers la MGP est reporté de deux ans. Le versement de la dotation d’équilibre par les EPT à la MGP est lui aussi prorogé.

Hébergement d'urgence - En reprenant un amendement de la députée Stella Dupont (aile gauche de Renaissance), l'exécutif a comme prévu renoncé à la suppression de places d'hébergement d'urgence en 2023. Le ministre en charge du logement avait annoncé le 28 octobre qu'entre 197.000 et 198.000 places resteraient finalement ouvertes, alors que le budget initial prévoyait de financer 193.000 places fin 2022 et 186.000 fin 2023 (voir notre article). Il avait évoqué un coût de 40 millions d'euros.

Outre-mer – Le sujet a agité l'hémicycle. Le gouvernement a tenté de calmer les protestations des élus ultra-marins en retenant des amendements venus des groupes Liot, GDR (groupe communiste) et même de LFI. Parmi eux, une hausse de 5 millions d'euros en faveur de "la continuité territoriale dans les outre-mer" face à l'inflation et la hausse des prix des billets d'avion au départ de l'outre-mer. Ou encore l'augmentation de 30 millions d'euros d'un dispositif d'accompagnement des communes en difficulté.

Protection de l'enfance – Un amendement du gouvernement prévoit que la part de l’État dans le financement du futur GIP France enfance protégée "peut, en 2023, être supérieure à celle des départements". Ceci dans la mesure où "la création de ce GIP – qui intégrera, outre les structures du GIP Enfance en danger, l’Agence française de l’adoption et les secrétariats généraux du Conseil national de la protection de l’enfance et du Conseil national de l’accès aux origines – aurait pour conséquence l’augmentation de la contribution financière des départements, qui ne contribuaient antérieurement qu’au financement du GIP Enfance en danger", explique l'exposé sommaire.

Accompagnants des élèves handicapés -  Le PLF inclus désormais une augmentation de 10% des salaires des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à la rentrée 2023. Selon Bercy, la mesure représente 80 millions d'euros pour la période de septembre à décembre 2023, puis 240 millions en année pleine à partir de 2024.

Violences contre les femmes - Le budget va augmenter de 2,9 millions les moyens dévolus à la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) en charge de la gestion de la plateforme téléphonique 3919, le numéro national dédié aux femmes victimes de violences.

C.M., avec agences