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Avec son contrat à 35 heures pour les bénéficiaires du RSA, l'Aisne est-elle en phase avec le Conseil d'État ?

Le conseil départemental de l'Aisne a adopté une nouvelle "stratégie" pour "lutter contre la précarité" et redynamiser l'insertion des personnes éloignées de l'emploi. Ce plan passe par une palette de mesures (mobilité, formation…) et entend d'inscrire dans le plan pauvreté du gouvernement. Mais il a surtout été remarqué pour son contrat d'engagement réciproque "CER+" décrit comme un "contrat 35 heures". Il ne s'agit pas d'une durée de travail ou de bénévolat. Reste à savoir si le dispositif reste compatible avec la recherche d'un emploi, condition posée il y a un an par le Conseil d'Etat en se penchant sur le cas du Haut-Rhin.

Le 24 juin, le conseil départemental de l'Aisne a adopté, à l'occasion d'une séance tenue symboliquement au Familistère de Guise, un plan baptisé "Aisne Actifs Plus". Avec cette "stratégie pour lutter contre la précarité", d'une durée de trois ans, Benoît Fricoteaux, le président (UDI) du conseil départemental, affiche l'objectif ambitieux de "réinventer notre modèle de l'insertion, un modèle qu'il nous faut rendre plus dynamique, plus incitatif, basé sur l'interactivité, sur l'accès aux droits, mais aussi sur l'exigence des devoirs, et c'est cet équilibre, cette implication renforcée et soutenue de chacun qui permettra de retrouver le chemin de la cohésion sociale".

Ramener les dépenses de RSA de 106 à 95 millions d'euros en trois ans

Après avoir rappelé que l'Aisne se classe au 89e rang en termes de revenu moyen, connaît un taux de chômage de 12,2% (pour une moyenne nationale de 8,9%) et que 19% des Axonais vivent sous le seuil de pauvreté (contre 13% en métropole), Benoît Fricoteaux a expliqué que le plan poursuit une double finalité : "accompagner plus longtemps les jeunes confiés à l'aide sociale à l'enfance" (en écho à la contractualisation avec l'État sur les jeunes majeurs) et "développer une stratégie d'insertion efficace, durable, garante d'une meilleure intégration dans notre société". Sur le second point, le plan fixe un double objectif : faire baisser le nombre de bénéficiaires du RSA de 17.000 à 15.000 foyers et ramener le montant annuel des allocations versées de 106 à moins de 95 millions d'euros (en euros constants et hors revalorisations).

Pour y parvenir, le plan comprend un ensemble de mesures touchant différents domaines, susceptibles de favoriser l'insertion des personnes éloignées de l'emploi : aides à la mobilité, installation de boîtiers Flex Fuel (conversion du moteur au bioéthanol), prêts de voiture, financement de 77 permis B, renforcement de l'accompagnement des allocataires, stages d'immersion en entreprise, financement de 80 contrats en entreprises privées et de 100 contrats aidés pour les associations et les communes...

Le CER+, un "contrat 35 heures"

Mais la mesure phare – et qui suscite déjà des polémiques – est évidement la mise en place d'un nouveau type de contrat d'engagement réciproque (CER) qui lie le bénéficiaire du RSA et le département. Baptisé CER+, le département le présente lui-même comme un contrat "35 heures", dont l'ambition "est de rapprocher, davantage encore, la dynamique de l'insertion de celle de l'emploi, en nous appuyant sur ce même référentiel qu'est la durée légale du temps de travail, c'est-à-dire, lorsque cela sera possible, les 35 heures hebdomadaires". Une présentation rapidement déformée par certains en "35 heures de travail ou de bénévolat payées au RSA...".

La proposition du "contrat de 35 heures" ne sort pas de rien. Benoît Fricoteaux l'avait présentée lui-même à Emmanuel Macron le 21 février dernier lorsque, dans le cadre du Grand Débat national, les présidents de départements ont été reçus durant cinq heures par le chef de l'État, en présence du Premier ministre et de quatorze ministres (voir notre article ci-dessous du 21 février 2019). Le président du conseil départemental de l'Aisne entend d'ailleurs clairement s'appuyer sur la logique de contractualisation avec l'État. Dans son discours de présentation du 24 juin, il explique ainsi que les mesures prévues par le dispositif "Aisne Actifs Plus" s'inscrivent "dans le cadre du plan contre la pauvreté et qui sera finalisé par la signature d'une convention avec l'État, nous attribuant de nouveaux moyens dédiés".

Un contenu centré sur l'insertion

Difficile bien sûr de ne pas penser aux polémiques, puis à la jurisprudence, sur les heures de bénévolat instaurées au début de 2016 par le département du Haut-Rhin (voir nos articles ci-dessous). Dans cette affaire, le préfet avait introduit un recours contre la délibération du conseil départemental instaurant ce dispositif. Une délibération annulée successivement par le tribunal administratif de Strasbourg et par la cour administrative d'appel de Nancy, avant d'être finalement validée par le Conseil d'État (voir notre article ci-dessous du 18 juin 2018). Mais l'arrêt du Conseil avait assorti la validation des heures de bénévolat d'un certain nombre de conditions.

Dans sa présentation, un peu sommaire, du PCR+, le conseil départemental indique qu'"il ne s'agit pas de travailler jusqu'à 35h pour percevoir le RSA, mais de consacrer un temps conséquent et, si possible, jusqu'à 35h par semaine à des démarches d'insertion : formation, accompagnement social, immersion en entreprise, apprentissage de la conduite, travaux saisonniers (rémunérés bien entendu)..."

Et la recherche d'emploi ?

Même si la référence aux 35 heures peut sembler maladroite dans la mesure où elle évoque spontanément une durée de travail, rien dans ce contenu du PCR+ n'est a priori contraire à la lettre et à l'esprit du RSA (les travaux saisonniers étant validés de longue date et le département de l'Aisne mettant d'ailleurs déjà en œuvre un dispositif "RSA vendanges").

En revanche, dans son arrêt du 15 juin 2018, le Conseil d'État a posé comme condition que les contreparties demandées aux bénéficiaires du RSA – en l'occurrence les activités bénévoles - "restent compatibles avec la recherche d'un emploi". Dans le cas du Haut-Rhin, cette condition avait été jugée remplie, les sept heures de bénévolat hebdomadaire n'empêchant pas de se consacrer de façon active à une recherche d'emploi. L'article L.262-35 du code de l'action sociale et des familles (issu de la loi du 1er décembre 2008 généralisant le RSA) prévoit en effet que, sauf quelques cas particuliers (personnes trop éloignées de l'emploi), le contrat d'engagement réciproque "précise les actes positifs et répétés de recherche d'emploi que le bénéficiaire s'engage à accomplir".

En cas de recours contre la délibération du conseil départemental de l'Aisne – provenant par exemple d'un acteur social, car on voit mal le préfet contester le dispositif dans le contexte actuel favorable à l'activation des dépenses de RSA –, les juges administratifs devront donc s'assurer que ces "contrats 35 heures" laissent suffisamment de place à la recherche active d'un emploi.

com Aisne insertion

© Conseil départemental de l'Aisne / Communication diffusée par le département le 27 juin, trois jours après le lancement du nouveau plan d'insertion

 

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