Biodiversité : un projet de règlement européen veut imposer la réparation des dommages infligés à la nature

La Commission européenne a présenté ce 22 juin un projet de règlement visant à réparer d'ici à 2030 les dommages causés à la nature dans 20% des écosystèmes abîmés d'Europe, afin de protéger la biodiversité, en particulier les populations d'abeilles, mais aussi de limiter les effets des catastrophes naturelles. Le même jour, la Commission a détaillé de nouvelles règles pour réduire de moitié l'utilisation des pesticides d'ici à 2030.

"Depuis trente ans, nous nous concentrons sur la préservation des espaces naturels, mais cela ne suffit plus pour inverser la perte de biodiversité : une trop grande partie de notre nature est détruite ou dégradée, 81% des habitats naturels de l'UE sont en mauvais état", a souligné le commissaire à l'Environnement Virginijus Sinkevicius en présentant ce 22 juin le premier projet de règlement visant explicitement la restauration de la nature en Europe. Le texte, qui sera discuté par les Etats membres et les eurodéputés, imposera des objectifs contraignants de restauration des écosystèmes (forêts, prairies, espaces marins...) abîmés par la pollution, l'abus de pesticides et d'engrais, l'exploitation intensive des sols ou la disparition de zones humides. "Cette loi exigera que d'ici 2030, des mesures de restauration efficaces soient en place sur 20% des zones terrestres et maritimes abîmées, et d'ici 2050, sur tous les écosystèmes qui en ont besoin", a ajouté le commissaire.

En complément de la législation existante, chaque Etat sera tenu d'élaborer "un plan de restauration" selon des règles strictes de planification et d'évaluation, avec priorité aux "puits de carbone" (forêts, tourbières...) susceptibles de stocker du CO2 et à la prévention ou la réduction des effets des catastrophes naturelles telles que les inondations.

Sept objectifs proposés

Les objectifs proposés dans le texte sont les suivants :

  • Inverser le déclin des populations de pollinisateurs d'ici à 2030 puis accroître leurs populations ;
  • Aucune perte nette d'espaces verts urbains d'ici à 2030, une augmentation de 5% d'ici à 2050, un minimum de 10% de couvert arboré dans chaque agglomération, ville et banlieue d'Europe, et un gain net d'espaces verts qui seront intégrés dans les bâtiments et les infrastructures ;
  • Dans les écosystèmes agricoles, "augmentation globale de la biodiversité et évolution positive pour les papillons de prairies, les oiseaux des milieux agricoles, le carbone organique dans les sols minéraux sous les terres cultivées et les particularités topographiques à haute diversité biologique sur les terres agricoles" ;
  • Restauration et remise en eau des tourbières drainées utilisées à des fins agricoles et dans les sites d'extraction de tourbe ;
  • Dans les écosystèmes forestiers, "augmentation globale de la biodiversité et évolution positive de la connectivité forestière, du bois mort, de la part des forêts inéquiennes [composées d'arbres d'âges différents, ndlr], des oiseaux des milieux forestiers et des stocks de carbone organique" ;
  • Restaurer les habitats marins tels que les prairies sous-marines ou les sédiments, et restaurer les habitats d'espèces marines emblématiques telles que les dauphins et les marsouins, les requins et les oiseaux de mer ;
  • Supprimer les obstacles présents sur les cours d'eau de manière à transformer au moins 25.000 km de cours d'eau en cours d'eau à courant libre d'ici à 2030.

Environ 100 milliards d'euros du budget pluriannuel européen seront disponibles pour la biodiversité, notamment la restauration, précise la Commission. Il faut détruire le mythe selon lequel ce serait de l'argent gaspillé : chaque euro investi dans la restauration naturelle rapportera au moins 8 euros grâce aux avantages d'écosystèmes sains : prévenir l'érosion des sols renforce la sécurité alimentaire, restaurer des zones humides évite les inondations en aval", a fait valoir Virginijus Sinkevicius.

C'est "un jalon historique", a salué Arnaud Gauffier, de WWF France, tout en appelant Etats et parlementaires à spécifier "des objectifs ambitieux de restauration des cours d'eau, plaines inondables et tourbières". L'eurodéputée Marie Toussaint (Verts) a cependant déploré un arsenal judiciaire encore fragile : la Commission "fait preuve de volontarisme (...) mais l'UE a encore du travail pour permettre un meilleur accès à la justice" afin de poursuivre les responsables de dommages environnementaux.

Un projet de règlement pour réduire de moitié l'utilisation des pesticides

Outre sa feuille de route pour préserver la biodiversité, la Commission européenne a détaillé ce 22 juin de nouvelles règles pour réduire l'utilisation de pesticides, alors que les Vingt-Sept s'inquiètent de voir leur productivité agricole affectée, dans le contexte de la crise alimentaire due à la guerre en Ukraine.

La proposition de la Commission, qui sera discutée par les Etats et eurodéputés, décline la stratégie "De la ferme à la fourchette", avec des objectifs contraignants pour réduire de 50% d'ici à 2030 l'utilisation à l'échelle de l'UE de "pesticides chimiques dangereux" et pour mieux protéger, notamment, les colonies de pollinisateurs. Elle transforme la directive existante en un règlement qui sera directement applicable dans tous les Etats membres. "Cela permettra de résoudre les problèmes persistants liés à la mise en œuvre déficiente et inégale des règles existantes au cours de la dernière décennie", justifie la Commission. Dans ce nouveau cadre, les Etats membres seront tenus de lui soumettre des rapports annuels détaillés sur l'état d'avancement de la mise en œuvre.

Pour limiter l'exposition des populations, le texte propose que les pesticides soient complètement interdits dans les "zones sensibles" tels que les espaces verts urbains (parcs ou jardins publics, terrains de jeux, de loisirs ou de sport, sentiers publics), les sites Natura 2000, ainsi que dans "toute zone écologiquement sensible à préserver en raison de la présence de pollinisateurs menacés".

Dans les champs, tous les agriculteurs devront privilégier "des méthodes alternatives écologiques de prévention" contre les insectes et maladies, les pesticides chimiques ne pouvant être utilisés qu'en "dernier recours", et les professionnels devront tenir des "registres" détaillant leurs pratiques.

Pour tenir compte des spécificités nationales (climat ou reliefs particuliers, efforts déjà accomplis...), chaque gouvernement pourra fixer "ses propres objectifs de réduction des pesticides, dans le cadre des paramètres européens" mais devra en rendre compte à la Commission. En contrepartie, l'UE ajustera la Politique agricole commune (PAC) "pour garantir que les agriculteurs soient indemnisés de tous les coûts liés à l'application des nouvelles règles pendant une période de transition de cinq ans".

Ces derniers mois, sous la pression des organisations agricoles majoritaires, les Etats membres ont réclamé à l'exécutif européen de faire preuve de "réalisme", notamment face au blocage des céréales ukrainiennes par la Russie qui exacerbe les risques de famine dans le monde. Plusieurs pays, dont la France et l'Italie, redoutent qu'une baisse drastique des pesticides et engrais, tout comme l'objectif de consacrer un quart des terres au bio, ne provoquent l'effondrement des rendements européens, au risque de perturber les approvisionnements alimentaires - un scénario que Bruxelles réfute.

"Les préoccupations sur la sécurité alimentaire ne rendent pas moins urgente l'action contre les pesticides ! L'usage excessif de pesticides constitue un risque majeur pour la santé humaine et tue les pollinisateurs responsables de la majeure partie de la nourriture que nous consommons", a plaidé la commissaire à la Santé et à la Sécurité alimentaire Stella Kyriakides. Bruxelles propose un plan d'action pour augmenter la gamme d'alternatives "biologiques et à faible risque" et financer le développement de technologies d'"agriculture de précision" (par exemple, des pulvérisateurs utilisant la géolocalisation et la reconnaissance d'insectes nuisibles).