Biomasse : le Cese plaide pour plus de sobriété et une gouvernance restructurée

Pour anticiper les conflits d’usages et les besoins futurs, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) appelle notamment, dans un avis présenté ce 24 mai, à une nouvelle gouvernance plus transverse de la biomasse, avec des capacités de coconstruction et d’arbitrage aux différents niveaux territoriaux pour sortir de la logique en silos.

Alors que de nombreux acteurs aspirent à s’appuyer sur la biomasse pour répondre aux enjeux du changement climatique, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a souhaité se saisir de la question de la gouvernance pour anticiper les éventuels conflits d’usage à venir dus à cet usage croissant. L’avis - rapporté par Claire Tutenuit (groupe Agir autrement pour l’innovation sociale et environnementale) et Pascal Ferey (groupe agriculture) et adopté ce 24 mai (112 voix pour et 5 abstentions) - est donc une "alerte par anticipation sur de possibles crises au moment de la transition écologique".

"Tous les secteurs industriels et énergétiques ont fait des feuilles de route avec de l’électricité, mais aussi avec le remplacement des fossiles par de la biomasse. Or, la biomasse, il y en a peu et donc il va falloir la répartir entre les différents besoins, selon les hiérarchies d’usages, dont il va falloir convenir collectivement", explique la rapporteure de l’avis. La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) prévoit entre autres à l’horizon 2040 approximativement un doublement de la quantité de biomasse nécessaire aux usages énergétiques et une hausse de 40% des besoins pour l’industrie. Ceci équivaudrait à mobiliser 40 MtMS de plus à horizon 2040, et à atteindre 150MtMS en 2050, soit près de la moitié du total actuel estimé à 310 MtMS de biomasse végétale terrestre produite par an. 

Promouvoir la sobriété de la biomasse et des terres

C’est le corps de doctrine de cet avis. Le Cese attire l’attention des pouvoirs publics, et des secteurs agricoles et industriels, sur la sobriété qui s’impose dans notre rapport à la matière organique et en particulier à la biomasse, ainsi que sur la nécessité de s’organiser en amont pour en répartir les usages dans l’objectif premier de préserver la biodiversité. Il cible en particulier l’alimentation animale et l’exportation (de produits agro-alimentaires et de bois), deux usages massifs de la biomasse d’origine agricole et forestière, qui devront suivre "une trajectoire de réduction" pour assurer la conversion de cette biomasse vers d’autres usages. Cette préconisation inclut la sobriété en usage des terres, autrement dit, pour le Cese "il est important de poursuivre la politique de ZAN [zéro artificialisation nette]", et de "superposer plusieurs usages chaque fois que possible". L’agrivoltaïsme en est un exemple, et nécessite "une évaluation fine des impacts réels sur la biomasse et la biodiversité pour faire la part entre les projets effectivement synergiques et ceux susceptibles de compromettre les activités de production agricole". 

Une gouvernance renouvelée

Le Cese propose de rendre interministérielle la gouvernance de l’Observatoire national des ressources en biomasse et d’élargir ses missions de façon à y inclure l’ensemble de la biomasse et des flux vers les divers usages, y compris matériaux, énergie et déchets. Il préconise que les cellules biomasse établissent elles aussi des bilans biomasse régionaux voire locaux (intercommunalités) sur le même périmètre élargi. Au niveau national, deux options de gestion du dialogue entre acteurs sont par ailleurs sur la table, toutes deux structurées autour de FranceAgriMer. La première vise au bon fonctionnement des productions agricoles dans un espace élargi aux questions énergétiques et climatiques ainsi qu’à la fourniture de services environnementaux par les milieux agricoles. La seconde plus transverse est principalement orientée vers la compétitivité internationale et les filières techniques agro-alimentaires, et sous la double tutelle des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique. 

Faire émerger des feuilles de route territorialisées

Au niveau des territoires, le schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet) devrait "devenir le lieu d’un débat et d’arbitrages sur les vocations productives de la région", en tenant compte de l’eau et de la biomasse dans ses diverses composantes (agriculture, forêt, haies...) et ses divers usages (alimentation, construction, industrie, énergie, biodiversité, aménités), et en veillant à "sortir de logiques en silos" par l’articulation des Sdage (schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux) et autres plans régionaux. Et pour cause la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse (SNMB) - entrée en vigueur en 2018 - n’a pas de portée juridique et sa cohérence avec les stratégies régionales biomasse, dont certaines n’ont pas été adoptées, "n’est pas assurée", relève l’avis.

Dans la lignée de son précédent avis intitulé "Du sol au foncier, des fonctions aux usages, quelle politique foncière ?", le Cese appelle également à ajouter aux schémas de cohérence territoriale (Scot) les usages non alimentaires (matériaux et énergie) des terres et de la biomasse, en lien avec les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Pour le Cese, "les Scot et PLUi [plans locaux d’urbanisme intercommunaux] devraient intégrer les zonages agricoles détaillés faits par les DDT(M), les PCAET, les Sage [schémas d’aménagement et de gestion de l’eau] et les CLE [commissions locales de l’eau] à l’échelle de ces territoires (pôles d’équilibre territorial et rural et intercommmunalités), devenir opposables aux propriétaires et/ou exploitants, et être révisés au fur et à mesure de l’avancement des feuilles de route". Les projets alimentaires territoriaux (PAT) pourraient en outre être utilisés comme un outil pour faire "émerger et dynamiser des filières conformément à ces schémas territoriaux". 

Se prémunir d’une pression excessive sur la biodiversité

Ce rôle pourrait être endossé par les paiements pour services environnementaux (PSE). Et diverses pratiques devraient en relever : élevage au pré, accueil de boues de Step, gestion forestière durable, plantation de haies etc. Leur financement pourrait provenir de celui des externalités négatives (émissions de gaz à effet de serre, intrants chimiques), de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), voire du prix de l’eau lorsque les services environnementaux servent à la régulation de la ressource.

Le Cese appelle enfin à "des mesures incitatives laissant la plus large place à l’initiative locale" pour préserver les services écosystémiques. Par exemple, sur les linéaires de routes départementales et nationales et les délaissés, pour y implanter de la biomasse, les zones intermédiaires, en favorisant de nouveaux systèmes culturaux, notamment à usage de matériaux ou énergétiques, ou en jouant sur le positionnement des centrales photovoltaïques pour créer des bandes de biodiversité.