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Bruxelles s'inquiète du risque d’accroissement des inégalités territoriales en France

Comme chaque année, la Commission européenne a fait part de son analyse de la situation économique des États membres et formulé ses recommandations, évidemment marquées par la crise. En France, en sus des traditionnelles situations budgétaire et du marché du travail ainsi que des pesanteurs réglementaires, administratives et fiscales, c'est le risque d'accroissement des inégalités territoriales – notamment en matière de santé – qui inquiète.

De manière désormais traditionnelle en mai, la Commission a fait part de son analyse de la situation économique de chaque État membre ainsi que de ses recommandations de réformes dans le cadre du Semestre européen, dispositif visant la coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l'Union. Un mécanisme jugé "particulièrement nécessaire" dans le contexte de la crise du Covid, compte tenu de "l'ampleur du choc et du caractère sans précédent des mesures de politique économique adoptées par les États membres", la Commission soulignant une fois encore le fait que certaines mesures nationales ont "gravement compromis l'intégrité" du Marché unique.

Atténuer les conséquences de la crise, relancer une croissance "durable et inclusive"

De manière générale, les États membres sont invités à continuer de se focaliser sur les quatre dimensions d'une "compétitivité durable" – stabilité économique, équité sociale, durabilité environnementale et productivité / compétitivité – en visant deux objectifs : à court terme, atténuer les conséquences socio-économiques de la pandémie ; à court et moyen termes, parvenir à une croissance "durable et inclusive qui facilite la transition verte et la transformation numérique". Avec, au titre des "priorités urgentes", l'investissement dans la santé, le soutien du revenu aux travailleurs concernés, les liquidités pour les entreprises (en particulier les PME) et les mesures "visant à soutenir une reprise symétrique et à préserver l'intégrité du Marché unique". 

La France dans une situation budgétaire peu enviable

La situation budgétaire de la France – qui "relève actuellement du volet préventif du pacte de stabilité et de croissance et est soumise aux dispositions transitoires en matière de dette" – avant la crise n'était déjà guère enviable. En février dernier, la Commission avait ainsi estimé qu'elle connaissait "des déséquilibres économiques" liés "au niveau élevé de la dette publique et à une dynamique de faible compétitivité". Elle déplore aujourd'hui "un écart important par rapport à la trajectoire d’ajustement recommandée en vue de la réalisation de l’objectif budgétaire à moyen terme en 2019 et pour l’ensemble de la période 2018-2019". "Globalement […] les critères du déficit et de la dette ne sont pas remplis." Une situation qui ne devrait évidemment pas évoluer positivement. Selon les prévisions du printemps de la Commission, "dans l’hypothèse de politiques inchangées", le solde des administrations publiques de la France devrait s’établir à - 9,9% du PIB en 2020 et le ratio d’endettement devrait atteindre 116,5 % du PIB. Pour mémoire, dans le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020 (et dans son programme de stabilité pour 2020), le gouvernement français tablait sur un déficit public de "9 points de PIB" et une dette publique de "plus de 115 points de PIB" (voir notre article).

Des lacunes traditionnelles…

Le document pointe une nouvelle fois des faiblesses maintes fois dénoncées.

Celle du marché du travail, dont "la segmentation persistante […] demeure préoccupante", le taux de transition d’un contrat de courte durée vers un contrat permanent étant "l’un des plus faibles de l’Union". Y est également déplorée "l’inadéquation des compétences" : "Avant la crise du Covid, les employeurs faisaient de plus en plus état de difficultés à recruter des candidats appropriés", souligne le document. Une situation d'autant plus paradoxale que "le chômage devrait augmenter (pour s'établir à 10,1% selon les prévisions de la Commission)". Aussi la France se voit-elle conviée à "poursuivre ses efforts afin d’encourager la réaffectation de la main-d'œuvre entre différents secteurs", mais aussi à "veiller à ce que chaque demandeur d’emploi, indépendamment de son statut professionnel antérieur, puisse bénéficier d’allocations de chômage ainsi que d’un soutien actif à l’emploi".

Celle des entraves à la croissance. Si selon la Commission "l’environnement des affaires en France s’est amélioré", le pays doit "poursuivre ses efforts de simplification de son système fiscal et réduire la charge administrative pesant sur les entreprises". Une fois de plus sont mises à l'index des "restrictions réglementaires […] plus fortes" que dans d’autres États membres, "en particulier pour les services aux entreprises, qui comptent un grand nombre de professions réglementées, et le commerce de détail". 

Le Covid révèle les failles du système de santé

Le système de santé français n'échappe plus à la critique. Si, selon la Commission, il "permet d’obtenir de bons résultats en matière de santé publique", la crise a toutefois "mis en lumière des lacunes dans la préparation du système aux situations de pandémie", et notamment :
- "des difficultés à garantir la disponibilité immédiate de professionnels de la santé, de produits indispensables et d’équipements de protection individuelle", en partie du fait que "la coordination de l’action entre tous les segments du système de santé reste difficile" ;
- "des problèmes structurels latents" qui "résultent d’un manque d’investissements dans les infrastructures physiques et les ressources humaines, d’une adaptation limitée de l’organisation des services et de la nécessité d’une meilleure coordination entre acteurs privés et publics".

Des difficultés "aggravées par la persistance de disparités régionales" (environ 18% de la population française vit dans des régions où l’accès à un médecin généraliste est limité, souligne-t-on), déjà dénoncées dans le précédent programme national de réforme de la France pour 2019. Pour les réduire, les institutions communautaires plaidaient alors pour "un renforcement des investissements" dans le système de santé… tout en soulignant que le succès de la stratégie d'assainissement budgétaire française dépendait notamment de la réalisation des objectifs de dépenses fixés pour le système de santé (le document relevait que les dépenses de santé en France, qui "n'ont cessé d'augmenter au fil des ans", étaient estimées à 11,5% du PIB en 2017, "soit le niveau le plus élevé parmi les pays de l'UE membres de l'OCDE").

En 2020, la crise ayant montré qu'une "meilleure utilisation de la santé en ligne, en particulier de la télémédecine, est importante en période de pandémie", la Commission invite à "de nouveaux efforts décisifs […] pour faire passer les services de santé au numérique".

Montée des inégalités territoriales

Peut-être échaudée par la crise des gilets jaunes, la Commission attire de manière générale l'attention sur le "risque important d’accroissement des inégalités régionales et territoriales au sein de la France et, partant, d’aggravation de la tendance déjà observée à une hausse lente des disparités entre la région de la capitale, les grandes villes et le reste du pays, entre les zones urbaines et les zones rurales et entre la métropole et les régions ultrapériphériques". Outre les disparités en matière de santé, le document souligne que certaines régions – comme l'outre-mer – sont fortement tributaires du tourisme. Il pointe également le fait que si la mise en œuvre du plan France Très Haut Débit "semble en bonne voie pour ce qui est des zones urbaines, […] d’importantes disparités concernant la couverture du réseau très haut débit subsistent dans d’autres régions".

À court terme, la Commission recommande à la France d'exploiter pleinement les possibilités octroyées par l'Union, et singulièrement la mobilisation des ressources non utilisées des fonds structurels et la possibilité de bénéficier d'un taux de cofinancement de 100% à partir du budget de l'Union pour l'exercice 2020-2021 (voir notre article). La France est également invitée à "tirer le meilleur parti" du fonds de transition juste.

Relance mixte, verte et numérique

Pour encourager la reprise économique, la Commission souligne l'importance "d’anticiper des projets d’investissement public parvenus à maturité et de promouvoir les investissements privés, qui devront être alloués aux priorités définies dans le pacte vert" (voir notre article), en particulier aux initiatives de transport à faible intensité de carbone, aux énergies renouvelables, à la rénovation des bâtiments ainsi qu'aux infrastructures énergétiques et numériques, le tout conjugué à "la transformation numérique de l’économie" – la Commission soulignant que "pendant le confinement, la transformation numérique s’est révélée essentielle pour maintenir l’accès aux services publics, éducatifs et médicaux et pour préserver l’activité économique, grâce au télétravail et au commerce électronique".

À moyen terme, les investissements dans la recherche et l’innovation – qui "nécessitent une coopération renforcée entre le secteur public et le secteur privé […] – pourraient libérer des gains de productivité".

In fine, la Commission insiste sur le fait que les recommandations de 2019 adoptées par le Conseil le 9 juillet 2019, qui "envisageaient également des réformes essentielles pour surmonter les difficultés structurelles à moyen et long termes […] restent d’actualité et continueront de faire l’objet d’un suivi". L'an dernier, la Commission appelait la France à "réformer le système de retraite" ou à réduire les impôts de production. À bon entendeur...