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"Clause Molière" : le Conseil d’État fait le lien avec le recours aux travailleurs détachés 

Dans un arrêt du 8 février 2019, le Conseil d’État a tranché un litige soulevant deux problématiques : l’une relative à la qualification d’une "clause Molière", l’autre portant sur la légalité de la constitution d’une société d’économie mixte à opération unique (Semop). 

En l’espèce, le syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap) avait décidé de créer une société d’économie mixte à opération unique (Semop)pour l’exploitation de l’usine d’épuration Seine Amont. Une procédure d’appel d’offres avait été lancée pour sélectionner l’entreprise actionnaire de cette Semop, procédure à l’issue de laquelle la société Veolia Eau – Compagnie générale des eaux avait été choisie.
Le préfet de la région Île-de-France avait saisi le juge administratif d'un déféré tendant d'une part à l'annulation de ce contrat et, d'autre part, à la suspension de son exécution. La société Suez Service France, candidate évincée, s'était également jointe à cette requête. Le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Paris avait décidé de suspendre le contrat à compter du 1er décembre 2017 s’il n’avait pas été régularisé avant cette date. Le préfet a fait appel de cette ordonnance devant la cour administrative d’appel (CAA) de Paris qui a elle aussi suspendu le marché mais sans effet différé. La société Veolia s’est pourvue en cassation contre ce jugement. 

Pas de clause Molière si le recours aux sous-traitants étrangers est admis

Le Conseil d’État a annulé l’arrêt des juges d’appel. En effet, ces derniers avaient considéré que le contrat contenait une "clause Molière", ce qui était de nature à créer un doute sérieux sur sa validité et donc à justifier sa suspension. En effet, le règlement de la consultation imposait la langue française "pour les opérations préalables à l’attribution du marché et pour son exécution". L’hiver dernier, la justice administrative avait sanctionné plusieurs collectivités qui, sous couvert de  cette clause Molière, tentaient de restreindre le recours au travail détaché. Le Conseil d’État a toutefois jugé que ce n’était pas le cas en l’espèce. En effet, un article du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) permettait au titulaire du marché "de recourir aux services d’un sous-traitant étranger", sans imposer "ni directement, ni indirectement l’usage ou la maîtrise de la langue française par les travailleurs étrangers susceptibles d’intervenir". Dès lors, en considérant cette clause comme une "clause Molière", la CAA avait dénaturé les pièces du dossier. Les juges de cassation ont donc annulé l’arrêt d’appel pour ce motif. 

Questions procédurales sur la constitution de la Semop

Selon le préfet, d’autres vices étaient de nature à créer un doute sur la légalité du contrat et pouvaient donc justifier sa suspension. Était notamment mis en avant un vice d’incompétence, tiré de ce que l’acte d’engagement avait été signé entre le Siaap et Véolia, la Semop n’étant pas encore constituée. Le TA avait laissé aux parties la faculté de régulariser la signature du contrat jusqu’au 1er décembre 2017, faute de quoi il serait suspendu. Toutefois, le Siaap, Véolia et la Semop Sival tout juste constituée ont signé une convention de régularisation tripartite fin novembre 2017. Dès lors, le préfet ne pouvait plus valablement soutenir qu’un tel vice pouvait créer un doute sérieux sur la légalité du marché. 
Selon le préfet, le Siaap avait également méconnu les dispositions de l’article L. 1541-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Selon cet article, l'avis d'appel public à la concurrence doit comporter un document de préfiguration contenant certaines informations telles que "les principales caractéristiques de la Semop, la part de capital que la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales souhaite détenir" ou encore "le coût prévisionnel global de l'opération pour la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales et sa décomposition ". Le préfet estimait que le document de préfiguration était imprécis, faute de contenir les projets de statuts et de pacte d’actionnaires. Le Conseil d’État a rejeté cet argument, rappelant que le CGCT n’imposait pas à la personne publique qui souhaite constituer une Semop " de fixer par avance de manière intangible dès le stade de la mise en concurrence tous les éléments des statuts de la Semop et du pacte d’actionnaires ". Il a d’ailleurs indiqué que de tels documents sont, en vertu de l’article précité, " arrêtes et publiés à l’issue de la mise en concurrence et de la sélection de l’actionnaire opérateur économique ".
Au vu de tous ces éléments, les juges de cassation ont estimé qu’aucun élément ne justifiait la suspension du marché. L’arrêt de la CAA a été annulé et la requête du préfet rejetée.

Référence : CE 8 février 2019, n°420296