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Comment les collectivités commencent à concilier urbanisme et agriculture

L’émergence des projets alimentaires territoriaux (les PAT) et de la "planification alimentaire" pour des systèmes plus durables et plus autonomes au sein des collectivités soulèvent des questions concrètes. Sur quels outils d’urbanisme les acteurs locaux peuvent-ils s'appuyer ? Au cours de son premier séminaire en ligne qui comptait plus de 800 inscrits ce 22 janvier, la plateforme RECOLTE a donné la parole à trois collectivités du Sud. 

Plus de 830 personnes étaient inscrites au premier séminaire organisé vendredi 22 janvier 2021 par les fondateurs de RECOLTE, une nouvelle plateforme collaborative de foncier agricole (voir notre article du 12 octobre 2020). Les organisateurs ne s’attendaient pas à un tel succès, preuve que la thématique, "Comment concilier urbanisme et agriculture" suscite l’intérêt. En préambule, Valérie Pommet, directrice de Terre de liens en Languedoc-Roussillon et initiatrice avec Coline Perrin, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), du projet RECOLTE, rappelle que le mouvement Terre de liens est surtout connu pour sa "capacité à mobiliser des financements solidaires pour acheter des fermes afin de les louer à des paysans". "Aujourd’hui, Terre de liens, c’est 230 fermes en France que nous nous engageons à ne jamais revendre", a t-elle souligné. 

"En France 200 fermes et 1.300 hectares disparaissent chaque semaine"

Ces 200 fermes sont un "bien commun" à replacer dans le contexte des enjeux fonciers. "En France, 200 fermes et 1.300 hectares disparaissent chaque semaine", rappelle la directrice de Terre de liens Languedoc-Roussillon. C’est la raison pour laquelle le mouvement citoyen s’est aussi tourné vers les collectivités pour les inciter à passer à l’action. "Nous accompagnons les collectivités dans leur stratégie alimentaire et foncière", précise Valérie Pommet. Et "c’est ainsi que RECOLTE est né : d’une dynamique d’accompagnement avec les collectivités et d’une rencontre avec l’Inrae". "Nous repérons des innovations foncières", enchaîne Coline Perrin, précisant qu’il s’agit d’initiatives locales qui expérimentent de nouvelles gestions de foncier local ou "toutes initiatives [qui] vont inventer une nouvelle manière de faire parler des acteurs qui ne se parlaient pas". Tout l’enjeu étant de comprendre pourquoi certains projets marchent mieux que d’autres… et sortir d’un cercle vicieux qui veut que souvent, un propriétaire espère que sa parcelle devienne constructible pour la vendre plus cher, ce qui favorise la déprise agricole, les friches et à terme... l'étalement urbain. 

Réenclencher un cercle vertueux 

Pour réenclencher le cercle vertueux, il faut, décrit Coline Perrin, de la "sécurité foncière, des projets et dynamiques agricoles sur des zonages stables". Pour faciliter l’accès au foncier des agriculteurs, elle rappelle qu'à travers "les Scot et les PLU, toutes les communes ont différentes phases qui peuvent être l’occasion de mieux connaître leur terres agricoles". Tandis que "la phase de zonage et de règlement" doit permettre de "bien répondre aux besoins en bâti des agriculteurs". Par ailleurs, la protection des terres agricoles par les documents d’urbanisme tels que Scot et PLU ne s’exerce qu’à court et moyen termes. Pour agir sur le long terme, deux dispositifs peuvent être engagés, préconise la chercheuse : les zones d’agriculture protégées (ZAP) et les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN)  
"Comment faire une ZAP sur un territoire qui n’a pas les outils ?" La question est soulevée un peu plus tard au cours du webinaire par Jérôme Dubois, professeur de planification stratégique des collectivités à l’Institut d’urbanisme d’Aix-en-Provence, maire de Volx (04) et vice-président de Durance Luberon Verdon Agglomération. Concrètement, l'agglomération va porter le projet et se conduire en maître d'œuvre sur l’ensemble d’une politique agricole, en articulation avec les services de l’État et avec les communes. Mais ces dernières gardent la main. Ainsi, l'agriculture devient un projet fédérateur… L’universitaire et élu estime par ailleurs que le débat entre protection d’une terre agricole (ZAP) et transition énergétique - le photovoltaïque consomme des terres, rappelle-t-il - peut avoir lieu. "Si on veut sortir du gaz russe, du pétrole arabe... il faudra bien produire de l’électron vert"...

Enjeu de formation en agri-urbanisme et food planning

À côté de ces outils d’urbanisme, d’autres actions sur le marché foncier sont citées : acquisition, préemption, location, animation foncière avec des initiatives de bourses au foncier qui vont permettre à des mairies de convaincre les propriétaires fonciers de louer leur terres aux agriculteurs. Mais concrètement, les projets fonciers sont souvent "longs, coûteux", rappellent les intervenants. "Il faut des moyens humains. Il faut un capital social". Sur ce thème, l’enjeu de formation en agriurbanisme et food planning a été à plusieurs reprises souligné. Il existe notamment une formation commune à I'Institut d'urbanisme et d'aménagement régional (IUAR) d'Aix-en-Provence et l'École du paysage de Versailles qui aborde l'agriurbanisme.  

Jérôme Dubois estime que l'on "tâtonne beaucoup sur le lien entre alimentation et urbanisme" car "on a beaucoup cloisonné". Il cite à titre d'exemple l’article L.110 du code de l’urbanisme (qui définit les règles générales d'aménagement et d'urbanisme) qui a beaucoup évolué pour intégrer les notions de biodiversité, de transition énergétique, etc. "mais toujours pas celle d’agriculture ! ", regrette-t-il. Or "la compétence agriculture s’invite de plus en plus dans des collectivités". "Les injonctions se sont multipliées pour les collectivités et il y a un embouteillage dans les enjeux", remarque encore le professeur qui s'explique ainsi certaines "réticences" chez les élus. "Les compétences sont nouvelles, il faut payer des bureaux d’étude". Des questions du type : "Est-ce qu'on développe plutôt les grandes cultures ou le maraîchage ?" ou bien encore "est-ce qu’on anticipe les changements climatiques en développant des cultures qui nécessitent un peu moins d’eau ou pas ?" émergent. À l'échelle de la Durance Luberon Verdon Agglomération, cela donne : "faut-il favoriser les grandes productions agricoles comme les pommiers qui partent à l’export en Russie et au Maghreb ou mettre en avant le circuit court ?". Localement, le débat n’est pas tranché...

Dans le Gard, les PLUs Gard Durable s’appuie sur la mobilisation citoyenne

Élue en mars 2020, Geneviève Blanc, la nouvelle maire d’Anduze et conseillère départementale du Gard (30), a voulu mettre l’agriculture au centre - "on parlait beaucoup de tourisme et assez peu d’agriculture" - en créant une commission agriculture, effective depuis septembre. Elle a pris le parti de "s’appuyer sur la mobilisation citoyenne avec un budget dédié". Geneviève Blanc souligne d'ailleurs qu’il existe un enjeu de formation à la concertation citoyenne pour les bureaux d'études. La démarche a permis d’adopter les "PLUs Gard Durable", issu d’une concertation départementale. Le projet, très "développement durable", prend en compte les enjeux de la commune : déplacements, risques, ressources naturelles, "et en l'occurrence la ressource en eau, fondamentale dans le Gard". Il a d’abord réuni "six communes très différentes de la montagne jusqu’à la mer en passant par la plaine" et continue aujourd’hui d'attirer de nouvelles communes.

Montpellier Méditerranée Métropole : après 100 ans de déprise agricole

Toujours plus au sud, à  Montpellier, Isabelle Touzard, maire de Murviel-lès-Montpellier (34), vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole, témoigne elle aussi du "gros travail sur le schéma de cohérence dans le cadre du PLU intercommunal" et de l'ambition de "reconquête en zone périurbaine pour le maintien de l’agriculture ou de l’élevage". "Nous avions l’ambition d'acquérir de la réserve foncière, avec l'objectif de créer des fermes ressources, d'installer des agriculteurs et des éleveurs. Nous étions en reconquête d'une zone périurbaine pour le maintien de l’agriculture ou de l’élevage", décrit Isabelle Touzard. À ce jour, la  métropole recense plus de 500 hectares de projets. "Mobiliser le foncier nécessite beaucoup de temps, de personnes, de co-construction, c'est un travail de fourmi", confirme Isabelle Touzard. D’autant plus que cela fait 100 ans que le territoire métropolitain est en déprise agricole. Là-bas, l'un des enjeux forts, ce sont les friches. Il y a de belles réserves de garrigues, propices au pastoralisme. Mais pas seulement. Des réserves foncières, également. L'enjeu consiste à  remobiliser du foncier, reconstituer des unités intéressantes pour les agriculteurs, mais aussi de le remettre en état, identifie l'élue. Défricher, remettre des clôtures périmétrales, des chemins d'accès, parfois l'irrigation..."ce sont des coûts que l'agriculture seule ne pourra jamais supporter", estime Isabelle Touzard. Donc...la métropole expérimente ! Par le biais, entre autres, des associations foncières autorisées (AFA). Les AFA sont des associations de propriétaires qui incluent les communes. Elles vont, "sur la base de projets coconstruits, créer une sorte de syndic qui va gérer ce foncier et qui, en tant qu'établissement public, pourra monter des projets d'investissements fonciers et aller chercher des financements", décrit maire de Murviel-lès-Montpellier.

"Stratégie de reconquête : dans 20 ans qu’est-ce qu’on fait ?"

Pour Yves Cabannes, professeur d’urbanisme à University College of London, qui intervenait plus tôt dans le séminaire sur "Comment faire entrer l’alimentation dans l’urbanisme ? Défis et réponses internationales", ces trois expériences dans le sud de la France témoignent bien du fait que c’est au niveau local que les transformations peuvent se faire. Mais il faut un travail de reconnexion : c’est ce qu’ont fait les "conseils alimentaires municipaux aux États-Unis". "Ces conseils sont vraiment l’outil de gouvernance". Mais il manque encore trop de professionnels formés en concertation sur des questions alimentaires. 
Pour conclure, Jérôme Dubois estime que "sanctuariser l’espace agricole ne suffit pas". "Même si j’ai un trait rigide, ça ne dit pas ce que je fais sur ces territoires". Pour passer en stratégie de reconquête, il faut faire des choix de filières, mener des politiques d'acquisition foncière, de grands équipements, se poser la question de l’irrigation... Les collectivités doivent se réunir autour d’une table et se poser la question : "Et dans 20 ans qu’est-ce qu’on veut ?"