Communautarisme dans le champ de la jeunesse et des sports : le rapport enfin publié

Le ministère de l'Éducation nationale vient de mettre en ligne un rapport de son inspection générale datant de juillet 2021 et portant sur les dérives communautaristes dans les associations sportives et de jeunesse et les structures d’accueil de jeunes. Certaines de ses recommandations ont été reprises dans la loi confortant le respect des principes de la République.

Les rapports de l'inspection générale de l'Éducation nationale, des Sports et de la Recherche (IGESR) continuent de sortir au compte-gouttes plusieurs mois après leur réalisation. Dernière livraison en date : le rapport sur "Les phénomènes de communautarisme au sein des associations sportives et de jeunesse, dans les accueils collectifs de mineurs ou les autres structures d’accueil de jeunes". Déposé en juillet 2021, il n'a été mis en ligne que fin avril. Mais la date la plus frappante à retenir dans ce rapport est celle du 21 octobre 2020, jour où une note de la cheffe de l’IGESR désigna deux pilotes et une chargée de mission pour le réaliser… soit cinq jours après l'assassinat Samuel Paty par un islamiste radical. Le nom du professeur d'histoire-géographie de Conflans-Sainte-Honorine étant d'ailleurs cité à plusieurs reprises dans le rapport.

Des cas limités à l'intensité variable

Pour poser le problème, les auteurs précisent dans leur introduction que depuis les années 1980, la France connaît "une augmentation des manifestations de communautarisme et une accentuation des phénomènes de communautarisation, notamment au sein de la communauté arabo-musulmane, mais aussi de vagues d’immigrations plus récentes". Ils ajoutent : "Si certains phénomènes de communautarisme peuvent être liés à des revendications strictement politiques et culturelles […], les plus visibles dans l’espace public renvoient à des préoccupations spirituelles et mêmes religieuses." De la même façon, si "quelques alertes ont été signalées" relatives à des mouvances protestantes évangéliques, catholiques intégristes et juives ultra-orthodoxes, "en quantité et en risques potentiels, réels ou supposés, les manifestations de communautarisme qui ont été les plus évoquées renvoient majoritairement à la religion musulmane, avec une impression générale de croissance et de visibilité accrues".

Ceci posé – non sans clarté –, la mission a centré ses recherches sur trois types de manifestations correspondant à ce qu’elle considère constituer des "dérives communautaristes […] remettant en cause des fondements de la République et du vivre-ensemble" : la négation des valeurs et principes républicains, le repli identitaire ou communautaire avec affirmation d’une identité différente de la communauté nationale, et les tentatives de prosélytisme avec pressions. Recherches qui ont conduit à affirmer que "toutes les structures, quelle que soit leur origine ou leur objet, font l’objet de demandes, tensions ou pressions communautaristes", même si cela demeure "en nombre limité et à l’intensité variable, mais parfois préoccupants". Le rapport fait même état de témoignages qui "semblent montrer que deux cas de clubs de football professionnels ont pu, quelque temps, être concernés par ces phénomènes".

Sous les radars

La mission a également constaté des "angles morts" ayant pour origine de nouvelles pratiques sportives moins organisées et normées (activités de plein air, équipements urbains en libre accès, offres privées et commerciales). Elle souligne par exemple le cas des équipements sportifs mis à disposition par les collectivités mais où celles-ci "n’assurent aucun encadrement, ce qui peut parfois conduire à des formes de 'confiscation' de leur utilisation, le plus souvent par des groupes de jeunes souvent masculins".

Enfin, la mission affirme avoir "reçu de nombreux témoignages faisant état, essentiellement dans les banlieues des villes, petites ou grandes", à propos de "zones grises en développement" autour d’offres multiservices "qui proposent de se substituer aux carences des pouvoirs publics". Ces structures organisent de l’aide aux devoirs, des activités sportives et culturelles, voire de courts séjours "permettant aux organisateurs de se soustraire à la réglementation en matière d’accueils collectifs de mineurs. […] avec même parfois, comme dans les Hauts-de-France, des personnels de l’Éducation nationale intervenant à titre bénévole". "Il s’agit d’une offre volontairement communautaire, proposant un repli sur son origine, sa culture, sa religion, qui souhaite passer 'sous les radars' du contrôle des pouvoirs publics ; certaines structures ne réclament d’ailleurs pas de subventions, ni l’utilisation d’installations municipales", pointe le rapport à leur propos.

Services publics affaiblis

Cette pression prend des formes variées. Le rapport cite d'abord des demandes individuelles concernant, par exemple, la pratique du ramadan, le refus de la douche ou des prières discrètes. "Moins fréquents mais plus problématiques", selon le rapport, sont les demandes et comportements souvent à caractère collectif portant sur le refus de la mixité. Enfin, la mission signale de rares cas de tentatives d’entrisme dans des clubs, associations ou centres sociaux, ainsi que l’existence de clubs partiellement ou totalement communautaires, le plus souvent masculins. Elle précise que ces cas "font l’objet d’une vigilance des autorités", mais également que "l’intervention d’un élu ou l’action d’une collectivité peuvent inverser la tendance assez rapidement, même s’il faut parfois 'crever l’abcès' et exclure un meneur".

Comment expliquer ces phénomènes ? La mission cite les inégalités socioéconomiques, l’enclavement urbain et les discriminations, mais aussi "une compréhension approximative voire erronée de la laïcité", des services publics affaiblis dans certains quartiers, avec une administration de la jeunesse et des sports en difficulté – le rapport reconnaît que ces services "ont perdu des moyens humains et des leviers leur permettant une connaissance fine des acteurs de terrain" – ainsi que "des compétences trop partagées au sein des pouvoirs publics" – il est ici question de politiques en matière de sport, jeunesse et éducation populaire qui relèvent, de plus en plus, de compétences partagées entre les services de l’État et les différents niveaux de collectivités territoriales, sans oublier les CAF – et des "pratiques hétérogènes au niveau des collectivités", notamment "la volonté de certains élus de répondre à toutes les demandes d’aides et de subventions, par souci de ne déplaire à personne et surtout pas à leurs électeurs".

Si, depuis 2014, des actions sont menées de manière assez volontariste, par les pouvoirs publics, en particulier à travers "la mise en place d’une culture commune de la vigilance dans les administrations et les fédérations", pointe la mission, au niveau local, "il est plus difficile d’agir, par déni, par méconnaissance de ce qui est autorisé ou non, ou par peur de stigmatiser son association, son club ou son sport". "Ce sont ces acteurs locaux que les outils et les formations mis en place peinent à atteindre", affirme-t-elle, en particulier "les agents territoriaux, surtout ceux présents dans les équipements municipaux [qui] sont parmi les premiers à pouvoir constater des manquements aux principes républicains et des comportements contraires au vivre-ensemble".

Des recommandations partiellement anticipées

La mission ayant œuvré pendant le débat parlementaire consacré au projet de loi confortant le respect des principes de la République, définitivement adopté le 23 juillet 2021 (lire notre article du 26 juillet 2021), certaines de ses propositions croisent des dispositions désormais applicables. On retiendra cependant que si les collectivités doivent dorénavant désigner des "référents laïcité" et si les fonctionnaires doivent être formés au principe de laïcité, il n'en va pas de même pour les élus locaux, comme le demandait la mission.

Dans un autre ordre d'idée, la recommandation visant à développer la coopération entre les gestionnaires de toutes les aides publiques pour une application rigoureuse de la conditionnalité des aides au respect d'un contrat d’engagement républicain se retrouve en grande partie dans l'article 63 de la loi. Celui-ci dispose que le préfet informe le maire lorsqu'une association voit son agrément retiré ou suspendu, et que dans ce cas, le maire peut à son tour retirer sa subvention ou arrêter la mise à disposition d'équipements publics.

Les auteurs du rapport regretteront en revanche que, si la loi oblige désormais les fédérations agréées à signaler les comportements contrevenant aux principes républicains, leur volonté de "créer un outil de signalement des dérives communautaristes, strictement encadré au niveau juridique et éthique, et associé impérativement à un dispositif d’accompagnement des acteurs" n'ait finalement pas été suivie d'effet.