Congrès des maires - Quand le récit territorial se met au service de la sauvegarde du patrimoine

Comment protéger, restaurer et valoriser son patrimoine ? La question a été posée aux participants d'un forum à l'occasion du Congrès des maires. La réponse s'est synthétisée en un mot : récit.

Biarritz et Trélazé ont peu en commun. D'un côté, une "perle" de la côte basque, jadis fréquentée par toutes les têtes couronnées d'Europe. De l'autre, une banlieue ex-industrielle et populaire d'Angers, dans le Maine-et-Loire. Parmi les rares points communs que partagent les deux municipalités, un forum organisé le 24 novembre dans le cadre du Congrès des maires a mis en évidence l'intérêt que le patrimoine local pouvait revêtir pour créer un récit de territoire.

"Protéger, restaurer et valoriser le patrimoine", tel était l'intitulé du forum. Un intitulé qui fut rapidement battu en brèche par Fabien Sénéchal, président de l'Association nationale des architectes des Bâtiments de France (ANABF), pour qui "protéger le patrimoine, cela ne veut rien dire". Pour lui, "le point de départ, c'est le récit". Autrement dit, le "projet politique", car "si l'on veut aller quelque part, il faut y aller tous ensemble". Le décor était planté.

Mais avant d'"aller quelque part", Christine Leconte, présidente du conseil national de l'Ordre des architectes, a tenu a fixer un point de départ : "Un nouveau chapitre s'ouvre au XXIe siècle avec la crise climatique, la crise de la biodiversité et la crise de la pénurie des ressources qui nous imposent de regarder tout ce qu'on a déjà, et notamment le bâti, comme le patrimoine. Tout ce qui est construit est une forme de patrimoine. Et on a tous un attachement à l'identité de nos territoires qui passe par l'histoire de notre bâti. Pour embarquer sa population et les professionnels, ce qui est important est le récit de territoire." Encore le récit.

Identification culturelle

Alors Lamine Naham, maire de Trélazé, s'est mué en conteur. Dans cette commune dont l'histoire a été forgée par l'exploitation du schiste, durant deux cents ans, et celle de l'ardoise, mais aussi par l'implantation d'une importante manufacture d'allumettes, il était important de valoriser ce patrimoine industriel et, à travers lui, construire du lien social dans une ville où cinq mille nouveaux habitants sont arrivés récemment. "Il fallait qu'on leur raconte cette histoire qui fait notre identité", lance Lamine Naham. Comment ? En rénovant les chevalements des friches pour les inclure dans un parcours touristique à vélo ou en faisant des anciennes écuries le premier centre d'art contemporain du département. Et pour jouer un peu plus la carte de l'identification culturelle, la mairie de Trélazé a proposé aux habitants de voter un budget participatif dans le cadre de ce projet.

Faire appel à la population, c'est aussi le choix qu'avait fait en son temps la mairie de Biarritz, quand elle a proposé aux habitants d'acheter des actions de l'Hôtel du palais, emblématique palace de la côte basque, à une époque où il était menacé de disparition comme d'autres bâtiments remarquables autour de lui. "Les Biarrots sont devenus petits actionnaires de cet hôtel et ont pour lui un attachement viscéral", a témoigné la maire de Biarritz, Maider Arosteguy.

Le désir de découverte du patrimoine et d'identification culturelle ont également mené à la réhabilitation du bagne de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) après son rachat par la ville. Gilbert Sainte-Luce, adjoint au maire de la commune, est venu témoigner que "ce lieu de souffrance devenu un lieu d'envie" avait été transformé en un musée où l'on trouve une bibliothèque, des ateliers de théâtre et qui accueille le Festival international du film documentaire Amazonie Caraïbes (Fifac). "Les artistes qui viennent chez nous s'approprient ce patrimoine", s'est réjoui Gilbert Sainte-Luce.

Faire naître un projet

Si les élus ne manquent pas d'idées et si les populations adhèrent à ces projets, la question des outils juridiques mobilisables se pose. Fabien Sénéchal donne les clés : "La législation française propose un panel d'outils très large, tous sont au service du projet politique. Et nous sommes là pour aider les élus à déployer les bons outils aux bons endroits. On a effectivement les outils du code de l'urbanisme, Scot et surtout PLU avec ses OAP (orientations d'aménagement et de programmation) qui sont les outils du projet urbain, doivent se déployer sur un temps court pour construire la ville au jour le jour. Et puis on a les outils du code du patrimoine, avec les monuments historiques, les sites patrimoniaux remarquables, et ceux du code de l'environnement, parce que le paysage fait patrimoine avec les sites inscrits et classés, qui sont autant d'outils de protection et ont vocation à s'inscrire dans le temps long. Quand on fait un site patrimonial remarquable, on le fait pour vingt ou trente ans, on n'a pas vocation à le modifier régulièrement. C'est l'articulation de ces différents outils qui va être le support de la mise en œuvre du projet politique de l'élu."

Mais au fait, ce projet, comment peut-il naître ? David Nicolas, maire d'Avranches et président de la commission de la culture de l'AMF, était venu avec sa recette : il invite les élus à solliciter les services régionaux de l'Inventaire pour mieux identifier le patrimoine de leur territoire et, une fois révélé, commencer à le travailler. Une façon comme une autre de tirer le fil du récit…