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Continuité pédagogique du printemps 2020 : les collectivités ont fait face mais leur efficacité reste à démontrer

C'est un rapport nuancé que l’inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche a rendu à propos des actions numériques à l'école durant la période de confinement du printemps 2020. Si les collectivités y sont présentées comme des partenaires loyales de l’Éducation nationale, leurs actions sont jugées hétérogènes et leurs efforts difficiles à évaluer.

Encore un rapport sur le numérique éducatif et son déploiement durant le confinement du printemps 2020 ? Certes, oui. Mais s'il fallait n'en retenir qu'un seul, ce serait celui-là. Car le document intitulé "Recensement et analyse des actions numériques pendant la période Covid-19" est l'œuvre d'une mission de l’inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche (IGÉSR). Autrement dit, il s'agit d'un regard de l'intérieur. Ce qui ne l'empêche pas d'être sans concession, y compris sur le rôle des collectivités territoriales.

Daté de décembre 2020 mais mis en ligne le 4 juin 2021 seulement, ce rapport "fait apparaître une bonne résilience du système éducatif." Les rapporteurs estiment que "malgré quelques résistances épisodiques, le partenariat entre les collectivités territoriales et les services académiques aura été immédiat, 'évident' et constant pendant toute la durée de la crise du printemps 2020." Ils écrivent encore : "En somme, les relations que les collectivités territoriales ont entretenues, à tous les niveaux, avec les services de l’Éducation nationale ont été intentionnellement intensifiées, et elles ont favorisé une appréhension frontale des difficultés provoquées par la crise sanitaire dans le domaine des équipements numériques des élèves." Voilà pour le tableau d'ensemble.

En s'approchant du motif, de nombreux accrocs apparaissent. Première constatation : "En mars 2020, tous les territoires – académies et collectivités – n’étaient pas également disposés ou préparés à […] faire front, certains étant plus 'en avance' que d’autres sur la question du numérique." Conséquence immédiate : "La seule règle générale qu’il soit donc permis de retenir, notent les rapporteurs, c’est que, là où préexistait un équipement informatique largement réparti parmi la population scolaire, la jonction entre le régime ordinaire de l’école, jusqu’en mars, et son régime extraordinaire, à partir du printemps, aura pu se faire relativement naturellement."

Des trous dans la raquette

Et bien entendu, là où l'équipement n'était pas au niveau, les choses ne se sont pas passées aussi naturellement… Si "les académies et les collectivités territoriales ont effectivement travaillé ensemble à pallier les difficultés liées aux inégalités scolaires face au numérique", cela s'est parfois fait en dehors de tout cadre formel. Exemple dans l’académie de Poitiers : "Aucune consigne spécifique n’a été donnée aux établissements pour l’attribution de matériels aux élèves, tant par les autorités académiques que par les collectivités, qui se sont appuyées, les unes comme les autres, sur la connaissance locale des cadres." Résultat : "Les retours du terrain ont montré que le prêt des équipements s’est fait en priorisant les familles les plus modestes, qui ne disposaient pas d’équipements à la maison, sans discrimination nette, notamment, des élèves de la ruralité et de ceux des zones urbaines." En Auvergne, une enquête a permis le recensement des besoins. Ailleurs, tantôt les familles de plusieurs enfants, tantôt les classes à examen étaient privilégiées. Des méthodes qui ne manquent pas de laisser des trous dans la raquette : "D’une manière assez convergente, certains interlocuteurs de la mission – Assemblée des départements de France (ADF) et Caisse des Dépôts (CDC) – notent que très peu d’élèves ont globalement été identifiés par les services décisionnaires des académies comme étant dans une situation de carence numérique, le partage des données entre niveaux institutionnels restant insuffisant." Ces mêmes institutions en concluent "que les acteurs locaux de l’inclusion sont plus compétents que ceux des administrations rectorales pour identifier les besoins".

Une efficacité difficile à évaluer

Autre difficulté liée à l'action des collectivités territoriales durant la période de continuité pédagogique : la complexité à décrypter le rôle de chacun. Si "les actions publiques de répartition de matériels informatiques au bénéfice des élèves ont généralement épousé le partage des responsabilités entre les municipalités ayant en charge les écoles, les départements ayant en charge les collèges et les régions ayant en charge les lycées", écrivent les rapporteurs, "les trois espaces territoriaux ne sont cependant pas aussi clairement lisibles", et "il peut même être difficile de répertorier clairement l’origine, souvent multiple, des équipements distribués aux élèves". Et la mission de citer l'exemple de l’académie de Rennes : alors que les établissements du second degré étaient invités à recenser les élèves en situation de rupture numérique et à les doter de matériel sur leur propre parc, le recteur intervenait de son côté auprès du conseil régional et des quatre conseils départementaux pour permettre des compléments de dotation aux établissements qui ne pouvaient faire face à la demande sur leur seul stock disponible, tandis que, parallèlement, des compléments de dotation étaient mis temporairement à disposition par les DSDEN (directions des services départementaux de l'Éducation nationale) sur un "stock tampon" dédié à l’accompagnement des élèves en situation de handicap. Pour la mission, "il n’est donc guère possible de décrire avec une suffisante précision des dispositifs qui ont émergé à une échelle des municipalités, voire des départements, dont les données se révèlent trop éparses et trop diffuses pour élaborer un tableau satisfaisant des opérations qui y ont été conduites". Plus grave sans doute, le rapport s'appuie sur ce manque de clarté pour s'interroger sur l'efficacité d'un travail pourtant réel : "La variété des réalités de terrain interdit toute évaluation uniforme et univoque des actions destinées, au moyen d’un équipement informatique des élèves, à soutenir les efforts du système au bénéfice de la continuité pédagogique."

Associer les collectivités à l'Éducation nationale

Le paradoxe relevé par la mission tient dans ce que les collectivités territoriales qui "ont systématiquement et loyalement joué le jeu du partenariat avec l’Éducation nationale" demandent elles-mêmes une "clarification et [une] consolidation des relations entre les territoires et l’Éducation nationale". Revendication que le rapport légitime dès la première de ses préconisations : "Améliorer le partage d’informations entre les services académiques et, d’une part, les directions d’administration centrale du ministère de l’Éducation nationale  et, d’autre part, les collectivités territoriales." Plus concrètement, il envisage d'associer statutairement les représentants des collectivités territoriales aux instances chargées de définir les politiques nationales et académiques du numérique. Au niveau local, le rapport préconise encore de "constituer des réserves d’équipements suffisantes dans chaque département", d'établir "des conventions entre les académies et les collectivités pour assurer une meilleure connaissance des besoins des familles en équipements ou en formation" et de créer des centres numériques de proximité pour l'acculturation numérique des élèves, professeurs et familles.