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Covid-19 : incertitudes sur la situation des Ehpad

Alors que la pandémie a tendance à reprendre dans les Ehpad avec l'apparition de plusieurs clusters, les réponses se font en ordre dispersé selon les régions et l'on observe un discours contradictoire, de la part des organisations représentatives, sur le confinement et l'obligation de la vaccination contre la grippe.

Alors que l'OMS s'attend à une reprise de la mortalité liée au Covid-19 en Europe durant les mois d'octobre et novembre, l'attention se porte à nouveau sur les Ehpad, particulièrement exposés. Mais cela ne se fait pas sans une certaine confusion. Selon les données quotidiennes centralisées par la direction générale de la santé, on comptait, pour la journée du 11 septembre, 513 cas supplémentaires confirmés en Ehpad et en EMS (établissements médicosociaux) et 40 décès (pour un total journalier de 9.406 cas confirmés et 80 décès, toutes populations confondues).

Des clusters apparaissent à nouveau dans les Ehpad

Si l'augmentation des décès est pour l'instant relativement faible, elle est néanmoins incontestable. Pour mémoire, le nombre de décès en Ehpad et en EMS était resté pratiquement inchangé durant tout le mois de juillet, autour d'un total cumulé depuis le début de la pandémie de 10.500 (les quelques variations, parfois à la baisse, étant dues pour une bonne part à des corrections rétrospectives). Mais aujourd'hui, un certain nombre de clusters se font jour dans plusieurs Ehpad, comme celui de Sévérac-d'Aveyron où 49 résidents et 20 personnels ont été testés positifs et qui dénombre 8 décès à ce jour (bien que l'Aveyron ne soit pas classé en zone rouge). C'est aussi le cas dans d'autres Ehpad à travers la France, comme à Bretagne-de-Marsan (Landes, 17 résidents et 2 soignants), Auch (Gers, 40 résidents et 11 salariés), Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes, 21 résidents et 11 salariés), Bourg-en-Bresse (40 cas positifs et 5 résidents décédés), Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques, 24 résidents et 2 soignants), Béziers (Hérault, 13 résidents et 3 salariés)...
Même en tenant compte de l'effet statistique lié à la multiplication des tests – plus on cherche, plus on trouve – il semble indéniable que la situation est en voie d'aggravation, même si la plupart des résidents testés positifs ne nécessitent pas une hospitalisation, mais plutôt une surveillance renforcée.

Confinement, visites : des réponses en ordre dispersé

Face à cette situation, les réponses se font en ordre dispersé. Christian Estrosi, le maire de Nice, a ainsi annoncé, le 10 septembre, la suspension des visites dans les quatre Ehpad municipaux (236 résidents). Après la période de confinement, les visites avaient été rétablies le 8 juin. Dans le même temps, il a annoncé la reprise de la livraison de repas à des personnes âgées vulnérables, afin de les inciter au maintien à domicile et à la distanciation sociale. 
D'autre mesures, toutefois un peu moins radicales, ont tendance à se multiplier. Dans sa conférence de presse du 14 septembre sur les mesures propres au département, le préfet des Bouches-du-Rhône a ainsi annoncé que, face à "une dégradation constante depuis le début du mois de septembre", le nombre de visites dans les Ehpad serait limité – au moins jusqu'au 1er octobre, mais vraisemblablement au-delà - à une par jour de deux personnes au maximum. Faute d'un document clair, la formulation est ambiguë (une visite par résident ou une visite pour l'Ehpad), mais elle rappelle fortement les premiers dispositifs mis en place pour alléger le confinement dans les Ehpad. En Gironde – autre département soumis à des restrictions locales demandées par le Premier ministre –, la préfète a annoncé une limitation des visites à deux personnes par semaine et par résident.
Même dans des départements un peu moins touchés, les mesures se multiplient. Ainsi, dans le Nord et le Pas-de-Calais, les visites sont suspendues dans certains Ehpad (en particulier ceux de Béthune), tandis que l'ARS et les deux conseils départementaux se sont mis d'accord, le 12 septembre, sur un encadrement très strict des visites en Ehpad : plus de visites dans les chambres, mais uniquement dans les salles communes ou à l'extérieur (jardin), avec en outre un renforcement de la distanciation sociale et des gestes barrières. 

Attention au syndrome de glissement

Face à ce type d'initiatives, qui pourraient se multiplier dans les prochains jours, l'AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées – maisons de retraites publiques) a réagi aussitôt par un communiqué, en rappelant que "que cette mesure ne peut être généralisée et [que l'association] privilégie une approche au cas par cas afin de tenir compte de l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dont l'association avait demandé la saisine". Pour l'AD-PA en effet, "le confinement est une arme pour lutter contre la propagation de l'épidémie qui doit être maniée avec agilité, afin de ne pas porter atteinte à la santé psychique des personnes âgées vulnérables", allusion au syndrome de glissement qui a frappé, parfois jusqu'au décès, de nombreuses personnes âgées durant la longue période de confinement depuis le 11 mars.
De son côté, le Synerpa (maisons de retraite privées) confirme, dans un tweet du 14 septembre, que "les familles redoutent un confinement". Pour éviter cela, "le Synerpa appelle les familles à respecter les mesures barrières et rappelle que le confinement ne sera attribué qu'au cas par cas, au gré des clusters".
Ces positions rejoignent celle de Brigitte Bourguignon. Dans une interview sur LCI le 20 août, elle expliquait qu'"un nouveau confinement ne serait plus toléré ni par les résidents, ni par les familles, ni même par le personnel qui a très mal vécu les choses parfois". Pour la ministre déléguée chargée de l'autonomie, "le reconfinement peut être envisagé de manière très ciblée" sur un résident d'Ehpad "de manière à l'isoler des autres". Mais Brigitte Bourguignon s'exprimait avant l'apparition des nouveaux clusters et la montée en charge rapide du nombre de cas positifs en Ehpad depuis le début du mois de septembre.

Grippe : le retour de la vaccination obligatoire ?

Alors que la nécessité d'une parole publique claire et de directives générales sur le sujet du confinement et des visites commence à se faire sentir, une autre polémique pourrait enfler rapidement. Le Synerpa demande en effet l'instauration rapide d'une vaccination obligatoire contre la grippe, au moins pour l'année 2020-2021, notamment pour les personnels, sous la forme d'une campagne massive. La combinaison entre la pandémie et la grippe saisonnière pourrait en effet se révéler redoutable, d'autant plus que les symptômes sont très voisins.
Dans une interview sur France 5, Florence Arnaiz-Maumé, la directrice générale du Synerpa, explique en effet que s'il est assez facile d'obtenir l'aval des résidents pour se faire vacciner, "la problématique aujourd'hui sur un vaccin antigrippe, pour qu'un résident soit efficacement protégé, il faut que 80% de son entourage le soit. Aujourd'hui, on est sur un taux de vaccination de 30 à 40% sur les personnels des Ehpad". Malgré l'intérêt évident en termes de protection des résidents et de santé publique, la méfiance – et la désinformation – sur les vaccins n'épargne pas davantage les soignants que le reste de la population française. 

Et demain ?...

Sans aller jusqu'à une obligation, la Haute Autorité de santé (HAS) recommandait, dans un avis rendu à la direction générale de santé le 2 juin dernier, d'"améliorer les taux de couverture chez les personnes à risques et les professionnels de santé". La HAS fait notamment valoir "la difficulté, pour l'heure, d'anticiper l'impact éventuel d'une circulation concomitante du Sars-CoV-2 et des virus grippaux, ou les conséquences potentielles d'une co-infection". L'avis, rendu alors que la pandémie était retombée au plus bas, concluait en expliquant que "la HAS n'exclut pas de reconsidérer ces recommandations, notamment si la France devait subir une nouvelle vague de Covid-19 susceptible de remettre en cause le moment du lancement de la campagne de vaccination"...
Auditionné, le 15 septembre, par la commission d'enquête du Sénat, le professeur Jean-François Delfraissy, qui préside le conseil scientifique mis en place pour conseiller le gouvernement, s'est toutefois voulu – relativement – rassurant. Tout en faisant part "d'un regret que j'ai dans notre aide à la gestion de la crise : c'est ce qui s'est passé dans les Ehpad" et en reconnaissant qu'"on s'est aperçu que les Ehpad étaient moins médicalisés qu'on ne le pensait", le professeur Delfraissy a néanmoins affirmé que "s'il y avait une reprise du virus dans les semaines ou les mois qui viennent, on ne recommencera pas ce qui s'est passé dans les Ehpad" et on fera en sorte "que tout soit prêt".