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Crise du Covid-19 : quels enseignements pour le système de santé français ?

Au-delà de ses conséquences humaines dramatiques et de son impact actuel et à venir sur l'économie, la pandémie du Covid-19 a aussi agi comme un révélateur d'un certain nombre de difficultés, voire de dysfonctionnements du système de santé français. Une bonne partie d'entre eux étaient déjà bien identifiés par de nombreuses études et rapports, mais la crise sanitaire les a mis en évidence et parfois exacerbés, suscitant des tensions entre les acteurs et des remises en cause du rôle et des responsabilités de chacun.

Globalement, le dispositif d'alerte et de prise en charge a correctement fonctionné dans les temps de la pandémie. Les premiers cas dans l'Oise ou en Savoie – qui ont popularisé le terme cluster, jusqu'alors utilisé par les seuls épidémiologistes –, ont été identifiés et pris en charge rapidement et efficacement, de même que les rapatriements depuis les zones déjà touchées comme la Chine. Mais, comme dans tous les pays, cette approche initiale par la technique des cas-témoins a vite été dépassée avec la progression de la pandémie. Il a fallu alors passer à une approche populationnelle, qui a révélé un certain nombre de faiblesses. Sur un sujet aussi vaste, on s'en tiendra ici à celles qui impactent directement les collectivités territoriales.

La première est celle de l'extrême centralisation du système de santé. Depuis 1945, celui-ci est entièrement administré par l'État et, depuis quelques années, par ses agences sanitaires. Les acteurs locaux – services déconcentrés ou collectivités – sont cantonnés aux propositions (notamment à travers les instances de concertation locales et les divers schémas et plans mis en place) et à la mise en œuvre des politiques nationales, dans les strictes limites et dotations fixées par l'État.

Il serait un peu simpliste de dire que ce système n'a pas tenu ou à implosé face à la pandémie. Limitrophe des deux pays européens les plus touchés (Italie et Espagne), la France a été plus exposée que d'autres à la contamination par le Covid-19 – au moins dans les premiers temps de la pandémie – et présente des résultats tout à fait honorables et comparables à ceux de ses principaux partenaires.

Des ouvertures encore très mesurées

Pour autant, la crise a aussi mis en évidence des difficultés et des rigidités inhérentes à une centralisation de la santé poussée à l'extrême. Celles-ci ont été aggravées par la création des nouvelles régions par la loi Notr de 2015. Le niveau de la déconcentration en matière de santé étant essentiellement régional – via les ARS –, ces dernières se sont parfois trouvées très éloignées du terrain, malgré l'existence des délégations départementales, aux marges de manœuvre toutefois très réduites.

Cette organisation très centralisée, qui permet de concentrer les moyens et de les affecter efficacement et rapidement à la prise en charge d'une catastrophe localisée (on l'a vu avec les attentats de Paris et de Nice), se révèle beaucoup moins efficace face à un phénomène généralisé comme une pandémie. Les atouts de la centralisation peuvent alors se transformer en facteurs de rigidité, d'inefficacité et de désincitation aux initiatives locales.

Cet argument a été abondamment utilisé par les collectivités dans leurs restitutions de la crise sanitaire et figure aussi dans les rapports d'enquête réalisés ou en cours sur la gestion de la pandémie. Il a été entendu, au moins pour partie, par le gouvernement, désormais soucieux de se rapprocher des territoires. C'est le cas dans le Ségur de la santé, avec la perspective d'un renforcement des délégations territoriales des ARS, d'une meilleure représentation des élus au sein des conseils d'administration ou encore de la possibilité qui serait donnée aux établissements et aux territoires "d'adapter les règles du code de la santé publique". Mais ces ouvertures restent toutefois très limitées et, à ce stade, encore très imprécises.

Le changement pourrait plutôt venir du projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, présenté au conseil des ministres du 29 juillet 2020 (voir notre article ci-dessous du même jour). Il pourrait également trouver un vecteur dans le futur projet de loi 3D déconcentration, différenciation et décentralisation), dont la rédaction doit être finalisée au dernier trimestre.

C'est qui le patron ?

La crise sanitaire a également mis en évidence un phénomène : celui de "l'irrédentisme" des ARS ou, plus précisément, de leur statut sui generis, qui n'en fait pas des services déconcentrés classiques, mais des sortes d'alter ego du préfet, régnant de fait sur le secteur sanitaire et social.

Cette question est présente depuis la création des ARS en avril 2010. Celle-ci s'était d'ailleurs heurtée à l'époque à une vive opposition du corps préfectoral. Cette dichotomie – avec parfois des partages étranges entre les deux autorités, comme celui des cellules régionales de Santé publique France – a été vécue comme une source de complication dans la période d'extrême tension qu'a été la crise sanitaire.

Vu du côté des élus, la réponse est simple et lapidaire : lors de la prochaine crise sanitaire, il ne devra y avoir qu'un seul patron sur le terrain et ce patron devra être le préfet et non pas le directeur général de l'ARS. Certes, le Ségur de la santé ne dit rien sur cette question, mais celle-ci ne devrait pas manquer de ressortir avec la publication des rapports des différentes missions sur la crise sanitaire.

Chacun chez soi... et la crise sera mal gérée

La crise a mis également en évidence une difficulté très propre à la France, mais qui n'est nullement l'apanage du secteur sanitaire : l'extrême segmentation des acteurs et des dispositifs, héritage lointain des corporations de l'Ancien régime remis au goût du jour depuis des décennies par les différents lobbies professionnels et sectoriels. On l'a vu dès le début de la crise sanitaire avec les laboratoires départementaux d'analyse (LDA, appelés également laboratoires vétérinaires), qui disposaient de tous les outils et compétences nécessaires pour pratiquer les tests PCR, mais ont dû attendre un décret et un arrêté du 5 avril pour pouvoir se mettre à disposition, malgré les demandes insistantes de l'ADF (Assemblée des départements de France). En effet, crise ou pas crise, la loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale – très inspirée par les biologistes – réserve le traitement des échantillons de provenance humaine aux seuls laboratoires de biologie médicale (autrement dit disposant de médecins biologistes et non de vétérinaires).

On l'a vu aussi avec l'épisode des évacuations sanitaires à l'étranger (Allemagne, Suisse...) de malades en réanimation. Parfois organisées à l'initiative de collectivités par relation directe avec leurs homologues de l'autre côté de la frontière (comme dans le Grand Est), ces évacuations depuis des hôpitaux ont parfois été mises en œuvre alors que la clinique d'à côté était parfaitement à même d'accueillir et de prendre en charge ces patients évacués.

Enfin, pour prendre un exemple postérieur à l'état d'urgence sanitaire, on peut citer aussi l'étonnante prestation de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France devant la commission d'enquête sur la gestion de la crise sanitaire de l'Assemblée nationale. Alors que la pandémie a fait 30.000 morts en France et que le virus circule toujours, la priorité est-elle vraiment de rallumer un énième épisode de la guerre entre les rouges et les blancs ? (voir notre article ci-dessous du 27 juillet 2020).

Tous ces exemples, même s'ils ne résument pas toute la réalité de la crise sanitaire et des coopérations qui ont pu se mettre en place, interrogent néanmoins l'organisation en silos du système français et la rigidité des règles et des corporations qui le régissent et le mettent en œuvre.

Les collectivités, "gagnantes" de la crise sanitaire ?

Au final, les collectivités territoriales figurent parmi les "gagnantes" de la crise sanitaire. Elles le sont à l'évidence dans l'opinion, car elles ont su mettre en avant leur proximité du terrain et leur réactivité. Elles ont aussi su jouer habilement du discours sur les défaillances de l'État, qu'elles auraient dû pallier à coup de dynamisme et d'inventivité et en passant outre au carcan des règles et des circuits officiels.

Évidemment, la réalité est moins manichéenne et les collectivités ont connu aussi des cafouillages, par exemple dans les commandes de masques ou la prise de certains arrêtés un peu hâtifs. Elles sont d'ailleurs loin d'avoir joué le rôle principal dans la réponse à la crise sanitaire, surtout au regard de celui des établissements et des professions de santé, des Ehpad, de l'État (édiction en quelques semaines de tout un corpus législatif et réglementaire pour faire face à la crise sanitaire comme à la crise économique)... et des ARS dont le costume de bouc-émissaire dissimule le rôle globalement positif qu'elles ont joué dans la réponse à la pandémie, même s'il est loin d'être exempt de tout reproche.

Néanmoins, il est indéniable que les collectivités ont gagné, avec la crise sanitaire, leurs lettres de noblesse d'acteurs à part entière du secteur de la santé. Sur ce point, la crise a accéléré une évolution à l'œuvre depuis plusieurs années déjà, à travers l'implication des collectivités dans la lutte contre les déserts médicaux, le développement des maisons de santé, l'expérimentation puis le déploiement de la télémédecine, la lutte contre l'obésité, la santé environnementale ou encore l'accès aux soins pour tous.

Cette implication, amplifiée et rendue visible aux yeux de l'opinion par la crise sanitaire, augure de nouvelles avancées dans la reconnaissance officielle de leur rôle en la matière. Certes, il n'est pas question, à ce jour, d'une véritable territorialisation de la santé – qui impliquerait aussi une territorialisation de l'assurance maladie, au risque de creuser l'écart entre territoires riches et territoires pauvres. Mais les mois et les années à venir devraient sans aucun doute voir une reconnaissance accrue du rôle des collectivités dans le système de santé, une participation plus importante à la gouvernance du système et des acteurs et... une plus forte implication, d'entrée de jeu, dans la gestion de la prochaine crise sanitaire.

 

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