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Dans les quartiers, les bibliothèques prêtent aux habitants des livres et de l'attention

Quel rôle les bibliothèques tiennent-elles dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ? Le commissariat général à l'égalité des territoires a accueilli et co-organisé, le 4 juillet 2019, une journée nationale sur la question. Selon l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV), 768 bibliothèques sont situées dans - ou à proximité - d'un quartier prioritaire.

Zone rurale, cœur de ville moyenne ou cité HLM, la (1) bibliothécaire s'adapte au territoire et à ses usagers. En quartier prioritaire de la politique de la ville, elle va orienter ses missions vers un public pas forcément français, pas toujours à l'aise avec la lecture et les textes, plus souvent en recherche d'un emploi que d'un ouvrage de développement personnel… Il n'y a pas de règles absolues pour y répondre et les organisateurs (2) de la journée nationale "Bibliothèques & politique de la ville", le 4 juillet 2019 au CGET, n'ont surtout pas voulu en donner.
La stratégie de la médiathèque Croix-Rouge à Reims s'est appuyée sur trois axes du contrat de ville 2015-2020 : le soutien à la parentalité (création d'un fonds "être parents", albums à lire avec les petits…), l'implication des habitants et l'accompagnement vers l'accès à l'emploi. Un espace formation-emploi-insertion propose ainsi des ouvrages pratiques ("comment rédiger son CV", préparation aux concours…), des ordinateurs à disposition avec impression gratuit des CV, un écrivain public, un atelier informatique

S'adapter à son public, aller à leur rencontre

Reims est plutôt une exception, beaucoup de médiathèques situées dans un QPV ou à proximité font de la politique de la ville sans se référer au contrat de ville. La médiathèque La Grand Plage, à Roubaix, une des ville les plus pauvres de France, s'est ainsi donnée naturellement pour mission de "développer des actions adaptées en direction des personnes en difficulté" (mission rebaptisée par les élus "être un acteur de l'inclusion sociale", plus chic). Une mission sociale qui "part du constat de la sociologie de la ville", explique Esther de Climmer, directrice de la médiathèque et des archives de Roubaix. 
L'organigramme de la médiathèque Grand Plage est composé de deux pôles, dont l'un est spécifiquement dédié au "développement des publics" avec mission d'"aller à la rencontre" des plus fragiles, en particulier par des actions "hors les murs", dans les quartiers. Tout l'enjeu est ensuite de "trouver des relais de terrain et de les fidéliser", note Esther de Climmer. Autre souci : convaincre les partenaires de l'action, qui sont confrontés à "l'urgence sociale" au quotidien, que la culture y a toute sa place.

Des partenariats avec les acteurs de l'action sociale

Pour conforter les partenariats, Reims a mis en place un "GER", groupe d'échanges et de réflexions avec des acteurs éducatifs et sociaux agissant dans le quartier de la Croix-Rouge. Le GER se réunit au moins tous les trimestres, chacun y présente ses projets, ses publics, ses difficultés. C'est dans ce cadre que la médiathèque a été sollicitée pour constituer le dossier de candidature au label "Cité éducative" porté par le ministère de l'Éducation nationale et le ministère de la Ville et du Logement. D'autres actions communes ont été menées comme le dispositif "Ouvrir l'école aux parents" ou encore l'organisation de cours ouverts aux décrocheurs scolaires… La médiathèque met également une salle à disposition à des associations du quartier, ainsi qu'à l'Adie (Association pour le droit à l'initiative économique).
Comme quasiment toutes les bibliothèques, celle de la Croix-Rouge à Reims dispose de bibliobus, en l'occurrence de deux bibliobus et d'un "booktruck" (un camion plus petit, plus souple à conduire et à garer, dans lequel les usagers n'entrent pas).

Des bibliothécaires-médiatrices ?

À Roubaix, le Zèbre fait le tour des quartiers, avec ses 16 arrêts programmés. Trois bibliobus circulent sur le territoire de Plaine Commune, complétés par des "kiosques de livres" implantés dans les centres sociaux. Sur ce territoire de Seine-Saint-Denis qui compte 23 médiathèques, la directrice de l'une d'elles, Dominique Klusiewicz, insiste sur la nécessaire "montée en gamme des équipes", avec cette question primordiale pour l'évolution d'un métier en prise avec des populations fragiles : "Est-ce qu'on emploie des médiateurs ou on devient nous-même des médiateurs ?" Elle reconnaît qu'il n'est "pas facile de transformer notre profession" qui impliquerait de délivrer "une offre culturelle qui s'implique dans l'inclusion".
"Un médiateur, c'est quoi ? Un vigile, un gros bras ? Quelqu'un qui sait parler à des ados ?" s'agace Esther de Climmer. Pour elle, pas de doute, la "médiation culturelle" doit faire partie de l'évolution du métier, "ce doit être dans nos gênes". On comprend que, selon elle, les "gros bras" qui "parlent ado" n'ont pas leur place.

Des livres, de l'insertion sociale, de la convivialité…

Cette évolution du métier touche aussi au bâti. La médiathèque de Courrières (Pas-de-Calais), dans le quartier du Rotois, se veut déjà "lieu d'insertion sociale, de convivialité, de sociabilité et de loisirs", mais aussi comme un "centre de ressources pour la vie culturelle, sociale et éducative du territoire".
À Vaulx-en-Velin, la maire Hélène Geffroy, ancienne secrétaire d'État à la politique de la ville, parle de la future médiathèque du Mas du Taureau comme "le premier acte et le symbole fort de la mutation urbaine du quartier". L'équipement sera "innovant et hybride afin de favoriser le développement culturel et le lien social avec une forte participation des habitants", une sorte de "centre social nouvelle génération". Les espaces seront à géométries variables, un fablab répondra à l'enjeu d'"inclusion numérique". La médiation familiale aura toute sa place avec des salles de permanences et des professionnels spécialisés : animateurs, travailleurs sociaux, mission locale, services municipaux… Un comité des usagers participera à la définition de l'offre de services.

(1) Le métier est encore très largement féminin.
(2) Le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), le ministère de la Culture, l’Association des bibliothécaires de France (ABF) et la Bibliothèque publique d’information (BPI).