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Deliveroo condamné pour travail dissimulé : un nouveau coup porté aux plateformes

Pour la première fois, Deliveroo, plateforme numérique de travail indépendant, est condamné au pénal pour travail dissimulé. Un jugement qui confirme la tendance des juridictions à requalifier les micro-entrepreneurs en salariés.

Nouvel épisode dans la bataille juridique autour des plateformes numériques de travail indépendant. Mardi 19 avril, le tribunal correctionnel de Paris a condamné le spécialiste de la livraison de repas à domicile Deliveroo à une amende de 375.000 euros pour délit de "travail dissimulé", à l’indemnisation des 120 livreurs, des organisations syndicales ainsi qu’à la réparation du préjudice subi par l’Urssaf, tous constitués partie civile. Deux de ses dirigeants ont été condamnés à une peine d’un an de prison avec sursis, à 30.000 euros d’amende, et à l’interdiction de diriger une entreprise pendant 5 ans.

Dans la décision du tribunal correctionnel de Paris, les juges estiment que les livreurs travaillant avec Deliveroo auraient dû être salariés par la plateforme plutôt que d’opérer en tant que micro-entrepreneurs. Ils constatent divers indices de liens de subordination : obligation de porter une tenue siglée du nom de la plateforme et de suivre diverses formations, modification de planning ou de zone d’intervention validée par l’entreprise, surveillance et contrôle à travers la géolocalisation, pouvoir de sanction…

Première condamnation pénale

En 2018, la Cour de cassation avait ouvert la voie aux requalifications d’indépendants en salariés dans le cadre de l’affaire Take Eat Easy, une autre plateforme de livraison de repas à domicile ayant disparu depuis. A suivi une autre décision allant dans le même sens, en 2020, concernant la plateforme de VTC Uber. "On a une direction claire de la Cour de cassation, même si les juges au fond [conseils de prud’hommes et cours d’appel] restent parfois hésitants", commente Matthieu Vicente, doctorant spécialisé en droit du travail à l’Université de Strasbourg.

Cette nouvelle condamnation, venant pour la première fois d’une juridiction pénale, frappe plus durement le portefeuille de Deliveroo. Au-delà des indemnisations, la plateforme devra rembourser les cotisations non versées. "Au pénal, les conséquences financières sont extrêmement importantes, tandis que les décisions devant les juridictions sociales sont de ce point de vue indolores pour les plateformes", explique Matthieu Vicente.

100.000 travailleurs concernés

Ces plateformes se sont pourtant développées sous la bienveillance des derniers gouvernements, tant sous le quinquennat Hollande que Macron : Uber dans le transport de personnes, Uber Eats, Deliveroo ou Frichti dans la livraison de repas, ou de nouveaux venus comme Cajoo, Flink, Gorillas qui se spécialisent, eux, dans la livraison à domicile de produits alimentaires, venant d’entrepôts implantés en ville (les "dark stores"). Elles stimulent, de fait, les créations de micro entreprises dont le nombre a explosé ces dernières années.

C’est dans cet esprit qu’une législation spécifique s’est développée en France pour conforter ce nouveau modèle. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 permet aux plateformes dans les secteurs de la conduite et de la livraison d’établir une charte "de responsabilité sociale" destinée à engager un dialogue avec les travailleurs indépendants sur des sujets comme le prix de la prestation, la formation, le dialogue social, les modalités de contrôle…

Un pas de plus a été franchi avec une ordonnance publiée dans le journal officiel du 7 avril 2022. Elle vise à "renforcer" les droits des chauffeurs VTC et livreurs à vélo ou scooter en organisant leurs modalités de représentation syndicale à l’échelle de chaque secteur d’activité. Objectif : permettre la conclusion d’accords sectoriels et ainsi améliorer les conditions d’exercice du métier, sous la régulation d’un nouvel établissement public, l’autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe). 100.000 travailleurs seraient concernés.

Projet de directive européenne

Ce soutien français va à contre-courant de la position de la Commission européenne. En décembre 2021, celle-ci propose une directive dont l’objectif est que "les personnes exécutant un travail via une plateforme de travail numérique se voient accorder le statut professionnel juridique correspondant à leurs modalités de travail réel".

"Nous n’avons pas le même regard que la Commission. L’approche française est de ne pas rentrer par la question du statut mais par l’accès aux droits", clarifiait début janvier Garance Pineau, du cabinet du secrétaire d’État aux affaires européennes, auprès de l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis).