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Démocratie locale : comment motiver élus et citoyens ?

Les députés Emilie Chalas et Hervé Saulignac viennent de présenter à la commission des lois les conclusions d'une mission sur la démocratie participative à l'échelon local. Ils plaident pour davantage d'information et de formation des élus et des citoyens. Afin d'aider les collectivités à se saisir plus facilement de dispositifs nombreux, mais souvent "inopérants", ils proposent entre autres en abaissement des seuils parfois exigés, l'ouverture d'un "droit à l'expérimentation" pour les collectivités innovantes, une labellisation de certaines démarches.

Mise en place par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 7 novembre 2018, soit dix jours avant le premier samedi de mobilisation des gilets jaunes, la "mission flash sur la démocratie locale et la participation citoyenne" vient de rendre ses conclusions. A l'issue d'une trentaine d'auditions d'élus et de directeurs de collectivités, d'associations d'élus, de chercheurs et de praticiens de la participation citoyenne, les rapporteurs Emilie Chalas (LREM, Isère) et Hervé Saulignac (socialiste, Ardèche) ont présenté le 6 février 2019 un état des lieux mitigé de la démocratie participative à l'échelle locale.
Les députés ont d'abord relevé un "paradoxe" entre, d'un côté, l'existence de nombreux dispositifs participatifs "peu utilisés et [peinant] à susciter l'intérêt des citoyens" et, de l'autre côté, une demande forte de citoyens qui souhaitent "être davantage intégrés dans l'élaboration des décisions publiques". Outre l'enjeu de répondre à cette aspiration, les élus auraient aussi "intérêt à y recourir puisque la participation est susceptible d’améliorer la pertinence de leurs décisions, d’en accroître la légitimité et d’en faciliter la mise en œuvre", a ajouté Hervé Saulignac.  

Des dispositifs nombreux, mais jugés trop rigides

Dans leur communication de fin de mission, les députés énumèrent différents dispositifs, tout en rappelant leur cadre légal : pétitions, consultations, référendums locaux, conseils de quartier, commission consultative des services publics locaux, conseils citoyens, conseils de développement…
Nombreux, ces dispositifs "peinent à mobiliser les élus et les citoyens", estiment les rapporteurs. Ces derniers pointent plusieurs raisons. Ils estiment d'abord que "les conditions d'utilisation de ces outils sont trop restrictives", ce qui les rendrait bien souvent "inopérants". Les députés citent trois exemples d'échec : le référendum sur la fusion des deux départements alsaciens (échec "faute de participation malgré une importante publicité"), la consultation sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (outre le résultat qui n'a in fine par été suivi, l'outil de consultation en lui-même avait dû être créé par ordonnance) et la création en 2018 d'une collectivité unique de Corse sans aucune consultation des citoyens.
Face à ce premier constat, les députés préconisent de "rendre opérants" ces dispositifs, notamment "en réduisant les seuils exigés pour déclencher une consultation d'initiative citoyenne ou pour rendre le résultat du référendum décisionnel". Aujourd'hui, sur ce dernier point, la participation d'au moins la moitié du corps électoral est nécessaire.

Un enjeu de motivation des élus et des citoyens

Au-delà des difficultés intrinsèques aux dispositifs, "la participation citoyenne à l’échelon local repose avant tout sur la motivation des élus", pointent les rapporteurs de la mission. Les élus peuvent se sentir "démunis" quant à la méthode et/ou craindre une  "remise en question de la démocratie représentative". Ces élus gardent aussi parfois le souvenir d'expériences peu fructueuses, où ils ont été "confrontés au désintérêt des citoyens face à des méthodes inadaptées", observent les députés. Le manque de moyens dédiés peut conduire à l'échec selon eux, tout comme des méthodes laissant "une place trop large aux représentants de la société civile, aux dépens de la parole citoyenne".
Et, même au sein des collectivités particulièrement motivées et désireuses d'innover, la participation citoyenne n'est pas toujours au rendez-vous. La ville de Paris a ainsi abaissé considérablement le seuil de signatures nécessaire à l'inscription d'un sujet à l'ordre du jour – 5.000 signatures, soit 0,4% du corps électoral, soit "50 fois moins que le seuil requis par la loi pour les consultations" -, "sans toutefois que cela ait permis un renforcement de son usage (un seul cas depuis 2014)".
Emilie Chalas et Hervé Saulignac plaident pour l'ouverture d'un "droit à l'expérimentation en matière de participation locale", pour sécuriser juridiquement les collectivités qui innovent – par exemple avec les budgets participatifs – et pour encourager les autres à être "à l’initiative de nouvelles manières d’organiser leur rapport avec les citoyens".

Un label pour rétablir la confiance

"Pour que la participation locale soit source de rétablissement de la confiance de nos concitoyens dans les institutions et les élus, il apparaît indispensable de garantir la sincérité des processus de consultation", jugent les rapporteurs. Leur proposition : "labelliser" les démarches jugées "sincères" à partir de trois critères – "objectivité et neutralité de l’organisateur ; complétude de l’information mise à disposition ; prise en compte de la participation".
Et, "puisque la participation a un coût", ils demandent à l'Etat d'envisager des "incitations financières" en faveur des collectivités qui s'emparent des dispositifs.
Les députés formulent enfin toute une série de propositions visant à "développer une culture de la participation". Il s'agirait d'abord de "renforcer l'information et la formation des élus et des citoyens". Exécutifs, assemblées délibérantes et agents se verraient "présenter les différents dispositifs et un éventail de modalités de consultation, plus ou moins contraignantes pour permettre à chaque élu de fixer le degré de participation qui lui semble le plus opportun".
L'information des citoyens pourrait passer par un encart obligatoire, dans le bulletin municipal, sur les consultations à venir, les initiatives en cours et les leviers dont disposent les habitants. Emilie Chalas appelle en outre à conduire, dans le cadre du projet de loi "pour une école de la confiance", une réflexion sur l'"instruction civique" qui actuellement ferait "défaut".   

Des députés soucieux de conforter les élus  locaux, "premières pierres de la démocratie"

"Dans une démocratie, l'élection reste le moment privilégié (…) où des majorités se retrouvent", a réagi le député (LR, Manche) Philippe Gosselin, à la communication de ses collègues, insistant sur le fait que la décision revenait à l'élu. "Les élus sont légitimes dans leur fonction, mais ils ne sont plus légitimes à tout décider et n'importe comment", lui a répondu le co-rapporteur Hervé Saulignac, insistant sur l'impact que pouvait avoir une posture "absolue" de l'élu sur le désengagement citoyen.
"On a intérêt à regarder de très près la manière dont on revalorise, tranquillise les élus locaux, (…) premières pierres de la démocratie", a embrayé Arnaud Viala (LR, Aveyron), se référant au "statut de l'élu". Pour Thomas Rudigoz (LREM, Rhône), c'est le système des mairies d'arrondissement qui devrait être conforté et mis en place dans d'autres métropoles. En outre, pour l'ancien maire d'arrondissement de Lyon, les compétences de ces échelons "ne sont pas assez fortes, alors que c'est un niveau de démocratie au plus proche de nos citoyens".
"Les maires méritent une définition particulière, ce qu'on aurait dû faire dans la loi Notre : le maire a un rôle de citoyenneté, d'aider à apprécier les valeurs de la République dans son territoire ", a quant à elle jugé Cécile Untermaier (socialiste, Saône-et-Loire). Pour la députée, "les expérimentations telles que les jurys citoyens ne viennent pas entacher la démocratie représentative, mais viennent l'aider dans sa mission". Elle plaide pour le développement d'une "démocratie continue" (voir à ce sujet notre article de septembre 2017 "La région Centre-Val de Loire cherche à inventer une 'démocratie permanente'") qui viendrait "endiguer l'abstention et le désintérêt" pour les affaires publiques.