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Des fractures à plus de cohésion : un second semestre sous pression

L'exécutif sait qu'il joue gros à la rentrée sur la résorption des inégalités territoriales. Les grands programmes tels qu'Action coeur de ville et les Territoires d'industrie entrent dans le vif. Mais de nombreux chantiers restent ouverts, comme la mise en route de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, la concrétisation de l'Agenda rural...

"Je ne crois pas du tout que ce qui a créé une colère sincère d’une partie de la population soit derrière nous." "Je pense qu'il y a une partie à laquelle nous avons su répondre, il y a une partie à laquelle nous n'avons pas encore répondu parce que ça prend du temps, il y a aussi une colère à laquelle il n'y a pas forcément de réponses immédiates." En quelques mots lâchés le 27 juillet à Bormes-les-Mimosas (Var), le chef de l’Etat a brossé les défis qui attendent le gouvernement à la rentrée sur le front des "fractures territoriales et sociales", matrices de la crise des gilets jaunes. Les vacances ministérielles se prêtent mal au farniente, à commencer pour Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, en première ligne sur nombre de sujets : la mise en place de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), l’avenir des contrats de ruralité, le sort réservé aux 200 propositions de la mission Agenda rural… Car deux ans après le début du quinquennat, trois mois après la promesse d’Emmanuel Macron d’un "nouveau pacte territorial" lors de sa conférence de presse du 25 avril venue ponctuer le Grand Débat, la plupart de ces chantiers s’écrivent encore en pointillé. C’est le cas de l’ANCT, autre promesse d’Emmanuel Macron, dont la loi a été publiée au Journal officiel le 23 juillet. Un projet de décret en cours de finalisation doit être présenté en Conseil d’Etat dans les prochains jours pour une publication avant le mois de novembre. La mise en route officielle de l’agence est toujours prévue début 2020. La version du décret que Localtis s’est procurée laisse nombre de questions en suspens.... Et l’incertitude s’est accentuée avec le départ au 2 août de Serge Morvan, commissaire général à l’Egalité des territoires et préfigurateur de cette agence.

Redorer le blason des "villes intermédiaires"

Reste aussi à détailler les programmes qu’elle va prendre en charge tels que Nouveaux lieux, nouveaux liens sur les tiers-lieux, les 141 Territoires d’industrie, les Maisons France services, Action cœur de ville (avec 200 villes moyennes)… Ces grands programmes qui constituent l’armature de la politique territoriale du gouvernement – avec la volonté de redorer le blason des "villes intermédiaires" -  sont à présent sur leur lancée et vont subir l’épreuve du feu. Après de longues négociations, place à l’action. Pour ce qui est d’Action cœur de ville et plus généralement des opérations de revitalisation de territoire (ORT) prévues par la loi Elan du 23 novembre 2018, on est en attente d’un décret sur les "moratoires" (mentionné par Edouard Philippe, le 14 juin, à Albi) qui donnera au préfet le pouvoir de suspendre les autorisations commerciales en périphérie pour une durée de trois ans. Déjà examiné par le Conseil d’Etat, le décret doit encore recevoir le feu vert de la Commission européenne. Un verdict à suivre avec attention. Un autre enjeu pour ces plan d'actions Coeur de ville : ne pas oublier les universités qui sont un puissant levier de redynamisation des centres. Les élus attendent aussi des précisions sur le programme de revitalisation des centres-bourgs annoncé à plusieurs reprises par Jacqueline Gourault, sans calendrier. Quoi qu'il en soit, la revitalisation des centres devrait être un enjeu des municipales de 2020.

Agenda rural : rendez-vous le 21 septembre

L’autre grande incertitude pour l’ANCT tient à son budget qui sera défini dans le projet de loi de finances pour 2020. Dans son rapport remis à la ministre de la Cohésion des territoires, le 26 juillet, la mission Agenda rural demande de doter l’agence d’un fonds d’amorçage de 150 à 200 millions d’euros. Cette mission Agenda rural, composée de 5 élus, avait été installée au printemps, sur proposition du président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) Vanik Berberian. Au total, pas moins de 200 propositions ont été mises sur la table pour une "refondation de la cohésion des territoires". En l’absence d’une grande loi sur la ruralité, l’idée est d’intervenir tous azimuts, dans les textes en cours de discussion ou à venir, à commencer par le projet de loi de finances pour 2020 ou Engagement et proximité qui, tous deux, seront discutés au mois de septembre. C’est d’ailleurs le temps que la ministre s’est donné pour éplucher toutes ces mesures, en vue de présenter un plan d’actions lors du prochain congrès des maires ruraux le 21 septembre à Eppe-Sauvage (Nord). Ce qui nécessitera des arbitrages au plus haut, car tous les ministères seront concernés.

La question de la présence des services, marqueur du sentiment d’abandon des territoires ruraux, est bien sûr au cœur de ce rapport qui préconise de raisonner en termes d’ "espace" plus que de démographie. Ce qui se traduirait concrètement par une série d’objectifs : garantir l’accès à un médecin généraliste en moins de 20 minutes, à un service d’urgence en moins de 30 minutes et à une maternité à moins de 45 minutes, à une école maternelle et primaire en moins de 20 minutes, à un socle de services à moins de 30 minutes…

Désertification médicale

Quelques avancées ont déjà été obtenues, en particulier sur la question de la désertification médicale avec la publication de la loi Santé le 26 juillet. Si la mesure la plus emblématique de la loi - la suppression du numerus clausus -, n’aura d’effets que dans plusieurs années, la mission Agenda rural voit d’un bon œil l'instauration, au cours de la dernière année du troisième cycle des études médicales, d'un stage obligatoire pour les étudiants en médecine générale dans les zones sous-denses. 3.000 étudiants pourraient ainsi renforcer la présence médicale dans les territoires. La mission souhaiterait aussi porter de 400 à 600 le nombre de médecins salariés en collectivités prévu par le plan Ma Santé 2022. Pour la mission Agenda rural, au bout de deux ans, il faudra jauger les résultats. Et, le cas échéant, passer à des mesures coercitives, comme le "déconventionnement" des médecins s’installant en zones sur-dotées.

Du côté des Maisons France services annoncées par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse, le 25 avril dernier, le Premier ministre Edouard Philippe a adressé aux préfets une circulaire détaillant les conditions de leur future labellisation. On doit comprendre qu’il ne s’agira pas d’un simple rhabillage des maisons de services au public, mais d’une amélioration, avec une formation accrue des agents d’accueil. En revanche, la résorption des inégalités d'accès au très haut débit suscite toujours autant de débats.

En outre-mer où le malaise est profond et les difficultés décuplées, du fait notamment de l’éloignement, les "contrats de convergence et de transformation", prévus par une loi de 2017, ont enfin vu le jour le 8 juillet. Là encore, il s’agit selon l'exécutif d'un peu plus que de rhabiller les anciens contrats de plan.

Autre enjeu important des mois à venir : le débat sur l’avenir de la politique de cohésion, conditionné au vote du cadre financier pluriannuel 2021-2027 qui n’a pu être bouclé avant les élections européennes. Or dans cette négociation à deux (Parlement et Conseil), la Finlande, qui a pris la présidence tournante de l’Union européenne au 1er juillet, s’est donné pour objectif d’arrêter la position du Conseil à l’automne 2019. Seulement, contributrice nette, la Finlande ne passe pas pour être une fervente avocate de la politique de cohésion. D’ailleurs son programme "Europe durable, avenir durable" ne fait que l’effleurer. Tout juste sait-on que la politique de cohésion doit "s’intéresser davantage au renforcement de la croissance et de la compétitivité de l’UE dans son ensemble".

Face à cette pléthore de dossiers, la ruralité disposera désormais d’une vigie : le Parlement rural français.

 

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