Des sénateurs appellent à un choc de compétitivité pour "redresser la ferme France"

Dans un rapport détaillé, des sénateurs de la commission des affaires économiques alertent sur le déclin de l’agriculture française, se traduisant à la fois par un recul sur le plan des exportations et par une explosion des importations. Ils estiment que la généralisation de la stratégie de montée en gamme est une impasse et qu’il faut d’urgence renouer avec la compétitivité pour assurer la souveraineté alimentaire de la France et réduire les inégalités d’accès aux produits français.

"La ferme France décroche." C’est le constat sans appel d’un rapport de la commission des Affaires économiques du Sénat, publié le 28 septembre 2022. "Passée de deuxième à cinquième exportateur mondial en vingt ans", la France ne conserve son excédent commercial dans l’agroalimentaire, "en retrait", que par "l’effet prix des exportations, surtout des vins et spiritueux" et non pas par les volumes, selon la synthèse de ce rapport. Les importations ont quant à elles "doublé depuis 2000 et représentent parfois plus de la moitié des denrées consommées en France dans certaines familles". Les sénateurs s’alarment également de la baisse du nombre d’exploitations, de la chute de la surface agricole utile en cultures et du plafonnement des rendements, soit d’une "érosion du potentiel productif agricole".

Un risque de "déconnexionavec les attentes des consommateurs

"Deux tiers de ses pertes de marché proviennent de sa perte de compétitivité́", expliquent les sénateurs. Ils dénoncent pêle-mêle des charges trop hautes pour les producteurs, le manque d’investissements et l’"effet taille d’exploitation", "une faible défense par l’État dans les accords de libre-échange"… Les rapporteurs – Laurent Duplomb (LR, Haute-Loire), Serge Mérillou (socialiste, Dordogne) et Pierre Louault (centriste, Indre-et-Loire) – considèrent que la stratégie du "tout montée en gamme" conduit l’agriculture à une impasse et le démontrent à travers l’analyse des filières de la pomme, de la tomate, du lait, du poulet et du blé. Ils mettent l’accent en particulier sur ce qu’ils appellent l’effet "repas du dimanche" constaté dans les filières tomates et poulet, les produits français labellisés devenant inaccessibles pour les repas du quotidien et "laissant la place aux produits importés". "On prône une montée en gamme de l’agriculture française et de l’autre, on laisse entrer des produits ‘cœur de gamme’ plus facilement", regrettent-ils, ajoutant que les résultats de la loi Egalim ont été "nuls pour les recettes des paysans, négatifs sur leurs charges". Concernant le lait, "la France fait de la baisse des revenus de ses agriculteurs la source de sa compétitivité́ quand l’Allemagne le fait par des gains de productivité́", est-il encore déploré.

Dans un contexte d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat, la poursuite de cette stratégie du "tout montée en gamme" expose la France à "une déconnexion totale de l’agriculture française avec les attentes de tous les consommateurs", estiment les sénateurs qui en veulent pour preuve "la situation de surproduction connue depuis deux ans par les producteurs bio". Autre risque selon eux associé à la "réduction du potentiel productif agricole" : celui d’une crise majeure en matière de souveraineté́ alimentaire. 

"Reconquérir les marchés perdus", y compris via la commande publique

Appelant à un "choc de compétitivité" pour inverser la tendance, la commission des Affaires économiques du Sénat recommande d’en faire une priorité par la nomination d’un haut-commissaire dédié au pilotage d’un plan "Compétitivité 2028". Les propositions portent en particulier sur la maîtrise des charges de production – en identifiant notamment les "surtranspositions" et en "[préférant] l’usage de la carotte plutôt que du bâton pour accélérer les transitions environnementales" - pour "regagner de la compétitivité prix". Une piste parmi d’autres est envisagée : la hausse de l’exonération partielle de taxe foncière au bénéfice des terres agricoles, "dès lors qu’elle est compensée pour les collectivités territoriales"

Les sénateurs proposent de miser sur l’innovation en matière environnementale, via la recherche et la prolongation du plan "troisième révolution agricole" du plan France 2030. Ils demandent également davantage de protection de l’agriculture française "de la concurrence déloyale par la promotion de clauses miroirs réellement contrôlées".

Pour conquérir de nouveaux marchés et "reconquérir les marchés perdus", les parlementaires appellent à "dire non à la décroissance agricole sous-jacente à la stratégie ‘Farm to fork’ en proposant d’amender cette dernière au niveau européen". Sur le marché intérieur, pour "reconquérir l’assiette des Français", est demandée "une réelle transparence sur l’origine des denrées agricoles et alimentaires". Les sénateurs recommandent également d’utiliser le levier de la commande publique, sans que les collectivités n’aient à "assumer seules le fardeau d’une hausse des prix des denrées alimentaires dans les services de restauration dont elles ont la charge". Suite à la loi Climat et résilience, une clarification des règles européennes en la matière est jugée nécessaire pour "poursuivre et intensifier la priorité́ donnée aux approvisionnements en produits locaux et nationaux dans la restauration collective afin de reconquérir ce circuit de distribution largement perdu au profit des importations".