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Dévitalisation des centres de petites villes : une vingtaine de départements particulièrement fragiles

Périurbanisation, désindustrialisation, vieillissement de la population… au moment où le gouvernement lance son programme Petites Villes de demain, le Cese analyse les facteurs qui ont amené à la dévitalisation des centres des villes de moins de 20.000 habitants. Une vingtaine de département sont particulièrement exposés. Dans son avis, adopté le 25 mars 2021, il propose notamment d’établir un projet de ville fédérateur, inscrit dans le temps et bénéficiant de financements pérennes.

Établir un projet de ville fédérateur partagé par les élus locaux et la population, tendre vers un urbanisme circulaire, mettre en place un socle de services publics de proximité… dans un avis adopté le 25 mars 2021, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) avance plusieurs propositions pour redynamiser les centres des villes de moins de 20.000 habitants. Une contribution qui arrive au moment où le gouvernement lance son programme Petites Villes de demain.
Le Cese invite tout d'abord à un retour en arrière et analyse les facteurs de dévitalisation : la démographie et le vieillissement de la population. "De forts contrastes existent dans les dynamiques de population de notre pays, indique l'avis. La croissance démographique est forte dans un 'U' qui va de Rennes à Lyon et passe notamment par Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille et Lyon. Elle est forte aussi en Île-de-France et en Corse. À l'inverse, la population diminue notamment dans des territoires situés dans la 'diagonale du vide' ainsi que dans le nord-est de la France, avec des écarts de dynamisme entre régions qui tendent à s'accentuer." Le vieillissement est quant à lui plus prononcé dans les petites villes et les territoires peu denses, qui subissent aussi des départs de jeunes.

Périurbanisation, désindustrialisation, décentralisation…

Les phénomènes d'étalement urbain et de périurbanisation ont fait perdre à ces centres-villes une partie de leur population depuis plusieurs décennies au profit des périphéries, notamment rurales. La place croissante du commerce de périphérie a aussi favorisé la fragilisation des commerces de centre-ville et l'augmentation du taux de vacance commerciale des centres des villes et des bourgs. Des phénomènes auxquels s'ajoute le développement du e-commerce.
Le Cese insiste aussi sur la désindustrialisation de la France qui a des conséquences néfastes sur le dynamisme des centres-villes. La part de l'industrie dans le PIB est passé de 22,2% en 1970 à 11,4% en 2016, avec la disparition de plus de 2 millions d'emplois, provoquant des incidences très importantes pour les territoires concernés, dans le nord et l'est de la France et une partie de la Normandie, et dans beaucoup de petites villes et de bourgs ruraux.
Autre facteur de dévitalisation des centres-villes : les fermetures d'entreprises et de services publics. Ces territoires offrant souvent une moindre diversité d'activités et d'emplois, ils peuvent se retrouver très fragilisés lorsque l'un des principaux employeurs locaux connaît des difficultés, ou quand une activité de services publics disparaît. Les départs de garnisons militaires lors des récentes réformes sont également cités (voir notre article de ce jour). "Des difficultés qui font souvent 'tâches d'huile', indique l'avis. Aux pertes d'activités et d'emplois liées de manière directe à la fermeture de l'entreprise ou du service public concerné, s'ajoutent de manière indirecte, à plus ou moins long terme, les effets induits sur l'économie locale : incidences sur l'immobilier, sur la fréquentation des commerces et de l'artisanat de proximité, des services, voire départ d'autres activités en raison de la perte de dynamique et d'une moindre attractivité locale."
L'avis n'épargne pas les lois successives de décentralisation. Des réformes qui ont notamment mené à "rattacher dans certains cas des territoires moins favorisés ou en difficulté à des pôles ou à des territoires plus vastes et plus dynamiques sur le plan économique, pour que ces derniers puissent jouer un rôle de locomotive et tirer vers le haut ceux en situation moins favorable", détaille l'avis, précisant que "ce rééquilibrage ne va pas de soi".

Indicateurs de fragilité

En compilant ces facteurs et à partir de cinq indicateurs principaux (dynamique démographique, taux de variation annuel de l'emploi, revenu fiscal médian, dépendance territoriale et surcoût de l'éloignement), le Cese identifie une vingtaine de départements comptant davantage de centres fragiles dont la Haute-Marne, la Creuse, le Cantal, l'Orne, la Lozère ou encore l'Indre*. Des départements qui se répartissent de manière inégale sur la carte de France. "La réussite du programme Petites Villes de demain constitue à cet égard un challenge considérable pour la cohésion du territoire", précise l'avis.
Les auteurs soulignent deux caractéristiques particulières de ces centres : une moyenne d'âge plus élevée (30% de personnes de plus de 60 ans contre un peu plus de 25% en France métropolitaine), et une dynamique de croissance du nombre de logements supérieure à la moyenne française, mais dont une proportion importante sont vides. "L'habitat de ces petites centralités se distingue par une proportion de logements vacants (9%) légèrement supérieure à la moyenne observée en France métropolitaine (8%), un quart d'entre elles (524 communes) connaissant même un taux de logements vacants élevé", signale ainsi le document.

Urbanisme circulaire

Pour lancer la dynamique de la revitalisation de ces centres-villes, le Cese estime qu'il faut une réflexion en amont pour établir un "projet de ville fédérateur", basé sur un diagnostic global et partagé par les acteurs locaux et la population, et centré sur des objectifs de long terme. Il faut aussi, selon l'institution, renforcer les moyens territoriaux d'appui de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) pour répondre au besoin d'ingénierie de ces territoires, mettre en place un guichet unique par département pour leur apporter aide et conseil sur la définition et le lancement de projets dans le cadre des programmes existants (Action coeur de ville ou Petites Villes de demain par exemple) et faciliter l'accès aux appels à projets pour les petites collectivités qui disposent de peu de personnels administratifs et techniques.
Le Cese propose de lancer des expérimentations locales en matière d'aménagement, d'urbanisme, d'architecture, qui une fois évaluées pourraient faire l'objet d'une généralisation. Il appelle à tendre vers "un urbanisme circulaire", favorisant la polyvalence des bâtiments publics, privilégiant la requalification des bâtiments inoccupés et dégradés à leur destruction et reconstruction notamment.
Sur le plan économique, le Cese préconise le développement des filières issues des circuits de proximité et le fait de favoriser la redynamisation durable de l'économie dans les secteurs des activités artisanales et de service relevant de l'économie de proximité, les secteurs sanitaires et sociaux, en faisant du vieillissement un atout (avec la silver économie), et touristique et culturel pour valoriser le patrimoine. Il insiste aussi sur la nécessité de renforcer la dimension environnementale dans les projets (gestion de l'urbanisme, des mobilités, de l'habitat, des réseaux, des espaces naturels) et propose une meilleure coopération entre des territoires "en proximité d'interaction", entre une petite ville centre et les territoires ruraux environnants par exemple ou entre une métropole et les petites villes ou les bourgs en proximité. Une interaction qui pourrait se concrétiser par la conclusion de contrats de réciprocité, à l'image de celui signé entre le pays de Retz et la ville de Nantes en avril 2019. Enfin, la mise en place de financements pérennes semble indispensable au Cese. Des financements qui pourraient venir d'une partie de l'évolution de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) qu'il recommande - autre préconisation du Cese dans un précédent avis - via une taxe spécifique à mettre en place sur les grands entrepôts.

* La Haute- Marne, la Creuse, le Cantal, l'Orne, la Lozère, l'Indre, la Meuse, la Nièvre, le Gers, les Vosges, l'Allier, l'Aveyron, l'Aisne, le Cher, l'Ariège, la Dordogne, la Corrèze, le Lot-et-Garonne et la Charente.