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Éducation prioritaire : Nathalie Élimas tente de rassurer les sénateurs

Auditionnée mercredi 2 décembre 2020 par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, la secrétaire d'État à l'Éducation prioritaire s'est employée à lever les inquiétudes des parlementaires. Parmi leurs sujets de préoccupation : le rôle des élus locaux dans la réforme de l'éducation prioritaire, les moyens alloués aux expérimentations à venir et la prise en compte des écoles rurales.

C'est sur un mode résolument rassurant que Nathalie Élimas, secrétaire d'État à l'Éducation prioritaire, s'est adressée aux membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat mercredi 2 décembre 2020. But de la manœuvre : expliquer l'expérimentation de la réforme de l'éducation prioritaire annoncée une semaine plus tôt. Cette expérimentation consiste, pour les académies de Lille, Aix-Marseille et Nantes, à mettre en place une progressivité dans l’allocation des moyens dédiés à l'éducation prioritaire à travers des contrats locaux d’accompagnement (CLA) conclus entre le rectorat et les établissements scolaires. Quelles écoles pourraient être concernées ? Il pourra s'agir d'établissements socialement proches de l’éducation prioritaire ou situés dans des territoires confrontés à des chocs conjoncturels ou encore ayant des besoins d’accompagnement particuliers identifiés. Dans le viseur du gouvernement : certaines écoles rurales ou lycées professionnels, mais aussi des écoles dites "orphelines", c'est-à-dire situées en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) mais hors réseau d'éducation prioritaire (REP). 

"Sortir tranquillement du zonage"

Rassurante, Nathalie Élimas l'a été dès son propos introductif : "En aucun cas, à ce stade, ni même à la rentrée 2021, nous ne toucherons à la carte des REP et REP+." Pour la secrétaire d'État, l'expérimentation, qui sera lancée à la rentrée 2021, est pour l'heure "une troisième voie". Cette troisième voie n'a pourtant pas vocation à le rester. Trois scénarios sont déjà envisagés pour la période qui suivra les premières évaluations, en 2022. Si l'expérimentation est un échec, il y sera mis fin. "Je ne suis pas une entêtée", a commenté Nathalie Élimas. Si des ajustements sont nécessaires, l'expérimentation sera ouverte à "quelques académies supplémentaires". Si enfin l'essai est concluant, il sera alors temps de "sortir tranquillement du zonage actuel".
Rassurante, Nathalie Élimas l'a encore été sur le fond de ses motivations. Elle a rappelé le credo de la réforme de l'éducation prioritaire : "Aujourd'hui, le zonage laisse de côté des établissements et des élèves. C'est une injustice." Surtout, elle a répété qu'il ne s'agirait pas d'une réforme "à la carte" : l'éducation prioritaire "reste une politique publique nationale". Et si les recteurs pourront "actionner des critères particuliers, les [principaux] critères restent nationaux".

Les élus, oubliés de l'éducation prioritaire

Alors, les sénateurs, rassurés ? Pas vraiment. Jacques Grosperrin, sénateur du Doubs, a d'abord posé la question du temps : "Le temps de l'éducation n'est pas le temps politique. La prochaine rentrée sera votre dernière, le temps est trop court pour l'expérimentation." Un argument qui reprend celui, récurrent, des changements de cap successifs des politiques de l'éducation prioritaire depuis leur mise en place en 1981. Jacques Grosperrin n'en a pas moins reconnu la nécessité d'une "académisation de la gestion" de l'éducation prioritaire, assortie d'une "labellisation sur au moins quatre ans". Avant d'insister sur le rôle important que les collectivités territoriales ont à jouer sur ce terrain. 
La question du rôle des élus locaux est d'ailleurs revenue comme une antienne dans les débats. Pour les sénateurs, dont certains ont témoigné de la mise à l'écart par les rectorats des élus de terrain sur la question de l'éducation prioritaire, leur implication pourrait éviter une "politique de guichet". Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, a mis en garde contre l'"approche trop jacobine" qu'a aujourd'hui l'"institution école" avant d'en appeler à "une approche fine en partenariat avec les collectivités". Nathalie Élimas, de nouveau, a joué la détente. Alors que le comité de suivi des expérimentations ne prévoit à ce jour aucune participation des élus locaux, elle a précisé qu'elle souhaitait "ardemment" travailler avec eux. Sous quelle forme ? L'avenir le dira…

"Déshabiller Pierre pour habiller Paul"

La question des moyens a également suscité de nombreuses interrogations. Alors que Jacques Grosperrin plaidait pour "un signe fort" consistant à réallouer des moyens, Nathalie Élimas a dans un premier temps précisé que l'expérimentation se ferait "à moyens constants". Ce qui a immédiatement fait réagir les membres de la Haute Assemblée, soucieux que l'expérimentation ne consiste pas à "déshabiller Pierre pour habiller Paul". La parabole vestimentaire a fait florès. Pour mettre fin aux inquiétudes, Nathalie Élimas a une fois encore rassuré : "On ne déshabillera pas les REP actuels. Il va y avoir des moyens spécifiques alloués à l'expérimentation. Ces moyens sont d'ordre variable. Cela peut être des moyens en formation, des moyens pris sur des crédits pédagogiques, cela peut être un abondement en DHG [dotation horaire globale, ndlr]." Autrement dit, si le financement de l'expérimentation ne se fera pas au détriment des REP actuels, il s'agira tout de même de redéployer des moyens déjà inscrits au budget.

Des moyens pour la ruralité

La dernière grande interrogation des sénateurs a porté sur le sort réservé aux écoles rurales et, paradoxalement, sur la concurrence que leur prise en compte pourrait faire peser sur les établissements des QPV. Pour les faire entrer dans une labellisation, beaucoup misent sur la prise en compte de l'indice de position sociale (IPS). Or on sait depuis une note de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) d'octobre 2019 que les petites villes sont celles qui offrent l'IPS moyen par élève entrant en sixième le plus faible. Sans surprise, Nathalie Élimas a pris la balle au bond : "J'ai mesuré en deux mois que le monde rural avait besoin de moyens supplémentaires."
Toutes les objections étant levées – sur le papier –, il ne restait plus à la secrétaire d'État qu'à apporter une précision supplémentaire : l'expérimentation à venir pourrait être l'occasion de revoir les critères nationaux du classement en éducation prioritaire. Le débat ne fait que commencer...