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Émilie Kuchel (RFVE) : "Il faut une réflexion forte de l'État sur le bâti scolaire"

Mesures sanitaires, proposition de loi sur le statut des directeurs d'écoles, réforme de l'éducation prioritaire ou bâti scolaire, les sujets éducatifs de manquent pas en ce mois de rentrée 2021. Émilie Kuchel, présidente du RFVE (Réseau français des villes éducatrices) et adjointe au maire de Brest chargée de l'éducation, les a passés en revue pour Localtis.

Localtis - Comment s'est déroulée la rentrée de septembre 2021, de nouveau marquée par la crise sanitaire ?

Émilie Kuchel - Pendant un an, nous avons vécu chaque rentrée après des vacances, petites ou grandes, de manière très compliquée, avec un protocole qui était validé le vendredi pour une mise en place le lundi. Énormément d'agents ont travaillé durant les week-ends. Cette fois, le protocole nous avait été envoyé à la mi-juillet et nous avons eu le temps de travailler. Par ailleurs, le protocole ne comportait pas de grands changements, c'était un concentré de ceux que nous avions connus durant l'année écoulée. La rentrée a donc été beaucoup plus sereine.

Comment les décisions gouvernementales concernant le passe sanitaire ou la vaccination ont-elles accueillies ?

Certains agents auraient préféré que le passe sanitaire soit obligatoire dans les écoles, même s'il y a une compréhension. Idem sur la non-obligation de la vaccination, il y a une compréhension mais des questionnements. La crainte de plusieurs villes, ce sont les recours à l'instruction en famille et aux écoles hors contrat, pour lesquels on sent une augmentation assez importante, même si nous n'avons pas encore tous les chiffres car les parents ont jusqu'à la Toussaint pour déclarer leur situation.

La question de la mise en place de capteurs de CO2 dans les écoles fait-elle débat parmi les élus à l'éducation ?

Oui, le sujet est remonté au sein de notre réseau. Quelques villes ont installé ces appareils. Le problème se situe au niveau du coût. Contrairement à ce qu'affirme Jean-Michel Blanquer, le prix n'est pas de 30 euros, mais plutôt de 200 à 300 euros par capteur. Les villes qui y ont eu recours ont pour la plupart choisi de ne pas en installer dans toutes les classes, mais plutôt dans les cantines, les salles de sport. Dans la majorité des villes, on privilégie plutôt la formation des agents pour ouvrir les fenêtres et aérer.

La proposition de loi Rilhac sur le statut des directeurs d'école arrive en deuxième lecture à l'Assemblée nationale mercredi 29 septembre. Un amendement prévoit que l’État et les communes ou EPCI puissent mettre à la disposition des directeurs les moyens permettant de leur garantir une assistance administrative. Qu'en pensez-vous ?

Si cela porte sur la gestion administrative sur nos temps (cantine, périscolaire), on le fait déjà dans nos mairies, on a déjà des assistants administratifs pour cela. Et si ces sujets sont traités par le directeur d'école, pourquoi pas ? Mais si cela concerne des responsabilités de l'État, comme le temps scolaire, cela pose question et on demandera un financement de l'État. Par ailleurs, si l'on donne la possibilité aux directeurs de choisir les équipes enseignantes, l'équité territoriale va être compliquée.

Jean-Michel Blanquer a récemment adressé une lettre au Conseil supérieur des programmes pour lui demander de réfléchir d'ici à la fin de l'année à une amplification du recours au numérique à l'école. Est-ce une bonne chose ?

Il était presque temps. Les villes de notre réseau sont en avance sur ce sujet que l'on porte fortement. Pratiquement toutes possèdent des tableaux numériques. Pour nous, l'accès au numérique est une priorité car il y a de fortes inégalités. Jusque-là, nous sommes d'accord avec Jean-Michel Blanquer. Ce qui pose question est l'ouverture de l'investissement en faveur des écoles privées. C'est quelque chose d'énorme. Le ministre demande que nous financions l'équipement des écoles privées. Ce n'est pas du tout notre rôle.

Plusieurs villes de votre réseau sont concernées par les cités éducatives, lancées il y a maintenant deux ans. Comment cela se passe-t-il ?

La plupart estiment que c'est un dispositif intéressant pour faire travailler tous les partenaires ensemble. On remarque toutefois que l'Éducation nationale ne sait pas du tout se positionner en animateur de réseau. C'est un peu compliqué, notamment au niveau de l'intendance. Du coup, certaines collectivités s'occupent d'organiser le réseau, surtout parmi celles qui avaient déjà des projets éducatifs forts. Sur Brest, où nous espérons avoir bientôt une cité éducative, nous travaillons déjà ensemble, sans avoir de moyens dédiés, et c'est la ville qui anime car nous connaissons bien les acteurs de notre territoire.

L'évolution de l'éducation prioritaire, avec la disparition annoncée des REP, vous inquiète-t-elle ?

Oh oui, c'est très inquiétant. L'existence d'écoles orphelines, qui accueillent des publics de REP sans être dans un réseau REP et sans en avoir les moyens, remonte fortement, mais tout n'est pas très clair. Les écoles publiques de secteur sur nos territoires, c'est presque fini. Il va y avoir de l'évitement de la part des parents. Il y a quelque chose de complexe qu'on ne sait pas comment mettre en place. S'il s'agit de déshabiller Paul pour habiller Jacques, ça va être compliqué. Aujourd'hui, on ne parle pas de moyens supplémentaires mais de moyens constants pour l'éducation prioritaire. On risque d'avoir une concurrence entre grandes et petites collectivités. On entend sur nos territoires : "Les grandes villes nous piquent nos postes." On pourrait mener correctement cette réforme en concertation avec les collectivités, mais aujourd'hui, c'est à chaque fois l'État qui produit une injonction forte sur les collectivités. Et sur le terrain, c'est nous qui prenons. On a encore peur de ça avec la réforme de l'éducation prioritaire si on perd des REP. On sait bien qu'il faut un rééquilibrage territorial, mais il faut aussi prendre en compte chaque territoire dans sa spécificité. On peut comprendre qu'il ne faut pas perdre l'école d'un petit village même s'il y a une baisse d'effectif. D'un autre côté, il y a en ville des écoles bondées à ras bord. Cela ne peut pas tenir.

Cela pose la question du bâti scolaire…

Oui, les bâtiments construits dans les années 1950-1960 ne sont pas du tout adaptés à l'"école 2030" annoncée par le président de la République. On nous demande d'accueillir des enfants en situation de handicap, de dédoubler des classes… mais l'école d'hier n'est pas l'école d'aujourd'hui. Dans une école de quinze classes, ce sont environ cinquante personnes qui travaillent sans salle de pause. D'un point de vue environnemental, ces bâtiments provoquent de grandes pertes énergétiques. Il faut remercier l'État d'être allé soutenir la ville de Marseille, mais on est plusieurs à être dans des situations compliquées. À Brest, nous avons deux classes "autisme" pour lesquelles il faut créer des salles. À un moment, le bâtiment n'est plus du tout adapté. Il faut une réflexion forte de l'État sur le bâti scolaire car toutes les collectivités n'ont pas les mêmes moyens. Or pour l'instant, on en entend à peine parler. Et les coûts ont augmenté. Pour une école de huit à neuf classes, il faut désormais compter sur un coût de dix millions d'euros, contre cinq à six millions il y a encore cinq ou six ans. Cela devient excessif.

 

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