Emmanuel Macron lance sa stratégie de lutte contre les feux de forêt

Les départements ont plutôt favorablement accueilli la stratégie de lutte contre les incendies de forêt dévoilée par Emmanuel Macron ce 28 octobre. Cette stratégie repose sur la prévention, la modernisation du matériel et une gestion durable de la forêt. Le président de la République a ainsi annoncé une enveloppe de 150 millions d'euros dès 2023 pour accompagner les "pactes capacitaires" prévus pour chaque Sdis. S'ajoute une enveloppe de 250 millions d'euros pour le "réarmement aérien d'urgence", autrement dit l'achat de nouveaux Canadairs. Pour mettre en oeuvre cette stratégie, une mission a été confiée au maire de Toulon, Hubert Falco. À côté de la sécurité civile stricto sensu, le chef de l'État promet la plantation d'un milliard d'arbres en dix ans, afin de s'adapter aux enjeux climatiques.

"Pour beaucoup d’entre vous, cet été fut une saison en enfer." Lors d’une cérémonie de remerciement aux acteurs de la sécurité civile (pompiers, maires, pilotes, forestiers…) fortement mobilisés cet été, le président de la République a présenté, vendredi 28 octobre, dans la cour de l’Élysée, les contours d’une "stratégie nouvelle" de lutte contre les feux de forêt qui ont ravagé 72.000 hectares cette année. Six fois plus qu’en temps normal. Quelques mois après son déplacement en Gironde (voir notre article du 21 juillet 2022), Emmanuel Macron a appelé à "changer le logiciel" de la sécurité civile pour "s’adapter à la transformation du risque" et tenir compte notamment des enjeux climatiques. "Nous risquons de connaître désormais à intervalles réguliers des saisons comme celle-ci", a-t-il dit. Autre enseignement majeur : avec cinquante départements touchés cet été, toutes les parties du territoire peuvent désormais être concernées. Pour répondre à cette nouvelle donne, la stratégie repose sur trois piliers : "mieux prévenir les incendies", "renforcer les moyens de lutte" et "gérer plus durablement les forêts".

Cartographie complète des risques

Alors que neuf incendies sur dix ont une origine humaine, Emmanuel Macron a annoncé une campagne de communication et de sensibilisation "dès le mois prochain". Il souhaite ensuite renforcer les obligations de débroussaillement, ce qui nécessitera d’"élaguer le maquis de règles et de responsabilités" en vigueur, avec la possibilité pour la puissance publique de "se substituer aux propriétaires défaillants".

La prévention passera aussi par une "cartographie précise des risques", associée à un système d’alerte météo des forêts. "Nous mobiliserons l’ensemble des acteurs de terrain autour des préfets, des élus - maires et présidents de départements -, des associations, avec l’ONF qui jouera son rôle de vigie des forêts." En fonction de cette carte du risque, des sapeurs-pompiers pourraient être prépositionnés dans les zones les plus exposées.

Rappelant que le budget de la sécurité civile avait augmenté de 40% au cours du précédent quinquennat, le chef de l’État a ensuite promis un renforcement des moyens humains et matériels. Ce qui passe tout d’abord par un "plan de soutien au volontariat" pour "allonger la durée pendant laquelle les entreprises pourront libérer leurs sapeurs-pompiers volontaires", "mieux indemniser les entreprises citoyennes" et aller encore plus loin que les avancées de la loi Matras du 25 novembre 2021.

150 millions d'euros pour les "pactes capacitaires"

Emmanuel Macron a annoncé une enveloppe supplémentaire de 150 millions d’euros en 2023 au profit des "pactes capacitaires" prévus par cette loi dans chaque département. Cette enveloppe, qui servira ainsi à l’investissement des Sdis (services départementaux d’incendie et de secours) sera financée par le "reversement sur cotisation de valeur ajoutée des entreprises". S’ajoute un "investissement massif" de 250 millions d’euros pour le "réarmement aérien d’urgence", pour lancer les commandes "dès cette année". Les 12 Canadairs actuels seront non seulement remplacés mais "portés à 16". Deux d’entre eux seront financés par le mécanisme européen de protection civile RescEU qui, pour la première fois cet été, a permis d’envoyer des renforts sur le sol français. Emmanuel Macron encourage ainsi une vraie "stratégie industrielle" européenne, afin de "rouvrir une chaîne d’excellence", car "seule une commande massive permettra de rouvrir les lignes de production". Il souhaite aussi une diversification des moyens, notamment en recourant davantage aux hélicoptères lourds - il s’agirait d’en louer 10 au lieu de 2 et d’en acquérir 2 autres – ou aux matériels innovants comme les drones autonomes, les images satellites...

Une mission confiée à Hubert Falco

Le président de la République a confié à l’ancien ministre et actuel maire de Toulon, Hubert Falco, le soin d’avancer sur ces chantiers. "Vous travaillerez sur tout le champ, de la prévention à la réponse", lui a-t-il dit. L’élu devra remettre un pré-rapport en "début d’année prochaine", afin de permettre une "expérimentation rapide, suivie dans la durée". Cette "mission nationale sur la sécurité civile et les risques majeurs" à portée interministérielle répond à la nécessité de "repenser la sécurité civile avec l’évolution des risques, afin de créer des synergies entre tous les partenaires pour améliorer la performance et la réactivité des acteurs de terrain", a expliqué Hubert Falco, dans un communiqué, se disant "très honoré" de cette confiance. "Je souhaite m’appuyer sur Toulon et le Var pour en faire un des territoires pilotes face aux risques", a dit l'ancien président du Sdis du Var.

Le président de l’Assemblée des départements de France (ADF), François Sauvadet, s’est réjoui sur twitter que le président ait repris "l’essentiel des recommandations de la mission flash [qu’il avait] confié à André Accari et Jean-Luc Gleize", respectivement présidents des départements de Saône-et-Loire et de la Gironde (voir notre article du 14 octobre 2022). "En ce qui concerne les moyens financiers, c’est une première étape et je m’en félicite. Les départements ne pourront pas faire face seuls aux investissements nécessaires. Il était temps que l’État prenne toute sa part", a-t-il également commenté.

Un milliard d'arbres à replanter

Mais la stratégie comporte un troisième volet de plus long terme : un vaste plan de reboisement. À terme, Emmanuel Macron promet la plantation d’un milliard d’arbres d’ici dix ans, "soit 10% de notre forêt". La plantation de 140 millions d’arbres à horizon 2030, comme annoncé dans sa campagne, amorcera un mouvement "beaucoup plus grand", associant les collectivités publiques et les propriétaires privés, espère-t-il, avec, à la clé, des essences plus adaptées, plus résistantes… "On sait qu’à l’horizon de vingt ou trente ans, en Gironde, on aura plutôt le climat du sud de l’Espagne ou du nord de la Méditerranée", souligne l’Élysée. Mais cette "planification écologique" de la forêt s’accompagne de visées économiques. Reprenant des arguments déjà entendus il y a dix ans dans la bouche de l’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll (manifestement sans grand succès), Emmanuel Macron veut aussi "structurer des filières", car si la France a "la plus grande forêt d’Europe", c’est aussi "un des plus grands importateurs de bois d’Europe".

Pour parer à l’urgence du reboisement, un "dispositif de soutien à la reconstitution des forêts incendiées", intégré dans le "mécanisme de reconstitution de la forêt France 2030", sera lancé "dès fin 2023 début 2024". Ce dispositif évoluera ensuite en un "cadre pérenne et stable" reposant sur la "finance carbone", avec la mobilisation de fonds publics et privés. Emmanuel Macron entend ainsi solliciter les compagnies aériennes qui doivent déjà obligatoirement compenser leurs émissions, afin que "le carbone émis dans nos airs soit en quelque sorte pleinement capté par nos pins, nos chênes, nos forêts et financé par ceux qui produisent ce carbone". Mais pour Sylvain Angerand, président de l’ONG Canopée, la plantation d’un milliard d’arbres est "un effet de manche" qui masque les vrais enjeux : "Nos forêts souffrent des changements climatiques mais aussi d’une gestion forestière qui privilégie les coupes rases et les nouvelles plantations au détriment des écosystèmes. Et sur ce virage à prendre, le gouvernement entretient le flou", estime-t-il.