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Congrès des maires - Emmanuel Macron : "Nous devons réinventer notre territoire"

En s'exprimant ce 19 novembre devant les maires réunis pour leur 102e congrès, Emmanuel Macron a mis en avant la nécessité, dans le sillon du Grand Débat, de "recoudre" les "fractures" par un "aménagement nouveau du territoire". L'"acte 2" serait d'abord cela. Il avait par ailleurs choisi de mettre l'accent sur la sécurité, la transition écologique, l'éducation, la santé. Il n'a en revanche pas souhaité répondre "point par point" aux interrogations de l'Association des maires de France en matière de finances, d'intercommunalité ou de décentralisation.

Le Grand Débat est passé par là et aurait changé beaucoup de choses. "J'ai tant appris de nos échanges", qui ont "agi comme un concentré de l'expérience", leur a-t-il d'emblée déclaré. Le désormais fameux "acte 2" – acte 2 du quinquennat, acte 2 de la décentralisation… – serait donc d'abord celui d'une vision présidentielle renouvelée par les heures de débat post-gilets jaunes avec les maires, ces longues séquences qui se sont succédé durant des semaines, en début d'année, un peu partout en France, de Grand Bourgtheroulde à Cozzano en passant par Souillac, Bourg-de-Péage ou Gargilesse-Dampierre.

Ce fut en tout cas le positionnement choisi par Emmanuel Macron pour entamer ce mardi 19 novembre sa longue allocution devant plusieurs milliers d'élus réunis Porte de Versailles à Paris pour l'ouverture du 102e congrès des maires de France. Mouvement des gilets jaunes et Grand Débat seraient, surtout, venus redire combien le pays souffre de "trop de fractures", "comme si la France n'était plus une". Et donc confirmer l'urgence de "recoudre cette France trop souvent déchirée entre la ville, la banlieue, la campagne" afin que la République "ne se réduise pas à un archipel".

Ce fil rouge a permis au chef de l'Etat de passer en revue tout ce qui a été enclenché ou déployé depuis un an en matière de cohésion des territoires, avec le souci d'une "égalité qui ne s'attache pas seulement aux femmes et aux hommes mais aussi aux territoires". Regrettant de "subir depuis deux ans et demi les conséquences de décisions" prises avant le début de son quinquennat, Emmanuel Macron dit vouloir "être jugé sur les actes". Et a à ce titre cité, tous azimuts : le programme de revitalisation des centres-villes, les 173 mesures de l'Agenda rural, les maisons France Services (dont la première sera inaugurée par ses soins ce vendredi à Amiens, a-t-il glissé), les mobilités avec la loi LOM (votée le soir même à l'Assemblée), l'Agence nationale de cohésion des territoires (le décret officialisant sa création avait été publié le matin même), la "couverture numérique du territoire" avec "le très haut débit pour tous en 2022", les "1.000 nouveaux cafés" qui ouvriront dans les villages, les 42 Quartiers de reconquête républicaine, la politique de la ville avec l'augmentation du budget de l'Anru, Territoires d'industrie… "Les actes, c'est ça", a-t-il tranché.

Et il va falloir poursuivre. "Ce que nous avons collectivement à faire, c'est réinventer notre territoire." Que ce soit par exemple à travers le développement du télétravail ou "la redynamisation des centres-villes", cette "réinvention" du territoire implique selon Emmanuel Macron une rupture : plus question, comme ce fut le cas jusque dans les années 90, de "séparer nos espaces selon les usages et les temps". "Il nous faut retisser tout cela", créer "de nouvelles formes du vivre-ensemble, de l'habitat, du travailler"… à travers "des projets qu'on doit vous aider à porter". Certes, cet "aménagement nouveau du territoire" ne portera pas ses fruits tout de suite, "cela va prendre du temps".

Sécurité, laïcité, "civilité"

Mais "tenir la cohésion du pays", c'est aussi penser sécurité, qu'il s'agisse de prévention du terrorisme ou de "violences urbaines". C'est "travailler ensemble pour assurer la sécurité du quotidien". Avec, là encore, un rappel de ce qui a déjà été fait, notamment les "10.000 postes supplémentaires en priorité dans les quartiers de reconquête républicaine" et la volonté de "dégager du temps pour les policiers et les gendarmes". "Cet effort se poursuivra, nous devons faire mieux", a assuré le président, indiquant avoir demandé au gouvernement d'"étudier toutes les propositions très concrètes" visant à "améliorer le continuum de sécurité". "Vous en avez déjà fait, il faut qu'on avance là-dessus", a-t-il dit aux maires, jugeant bon de préciser qu'il ne s'agissait pas pour l'Etat de se "désengager" mais uniquement de "mieux coopérer avec les collectivités". Comme un écho à ce que dit souvent l'Association des maires de France, par la voix de son président, François Baroin : "Lorsqu'une ville fait un effort en matière de sécurité, l'Etat en profite pour diminuer d'autant le sien."

Au chapitre sécurité toujours, Emmanuel Macron a tenu à mettre l'accent sur "le sujet radicalisation", sur la "société de vigilance" qu'il entend promouvoir et qui "appelle une réponse conjointe" de l'Etat et des maires, ceux-ci étant "bien placés pour percevoir les signaux faibles". Il s'est à ce titre félicité que "150 chartes" de confidentialité pour l’échange d’informations aient à ce jour été signées avec autant de collectivités.

Suivra "la question du communautarisme, de l'islamisme radical". Le chef de l'Etat a cité parmi d'autres exemples "les revendications de non-mixité" dans certains équipements publics ou "les services communautaires qui cherchent à se substituer" aux services publics, a rappelé que "douze lieux de culte, quatre écoles hors contrat, neuf établissements associatifs et 130 débits de boissons" ont été fermés et a fait savoir que "le ministère de l'Intérieur donnera de nouvelles directives aux préfets dans les prochains jours".

Mais, a-t-il aussitôt ajouté, "je veux nous appeler collectivement à ne pas tout confondre". Or "on confond bien souvent la laïcité, la civilité et l'ordre public. La laïcité et la loi de 1905 ne sont "pas un cadre de combat ou d'exclusion". "Ce cadre, faisons-le appliquer", point. S'agissant en revanche de la "civilité", il y aurait "là, peut-être, de nouvelles dispositions à prendre".

Alors, difficile, à quelques mois des municipales, d'éluder la question des "listes communautaires" qui font beaucoup parler d'elles ces temps-ci avec, entre autres, le récent dépôt d'une proposition de loi du sénateur Bruno Retailleau. Emmanuel Macron s'est dit "ouvert à toutes les propositions"… à condition que celles-ci soient "efficaces". Et s'est ensuite employé à démontrer que ce n'est pas en "proclamant l'interdiction" que l'on réglera le problème. "Comment les définir, qui en serait le juge, selon quels critères ?", s'est-il interrogé. Ce serait "faire preuve de naïveté", sachant que de telles listes "ne se présenteront pas à visage découvert" : "Ce qui compte, c'est le combat politique, c'est faire tomber les masques", "les débusquer, fermer des écoles, des associations… c'est ainsi qu'il faut mener le combat".

"Une écologie de la liberté"

Sur ce sujet comme sur d'autres, sur "les nouveaux défis à relever" face aux mutations "technologiques, climatiques, démographiques", face à "la fin d'une époque"… "j'ai besoin de vous", a scandé Emmanuel Macron. En choisissant de mettre l'accent sur deux sujets qui n'étaient pourtant pas en première ligne dans les discours que François Baroin et André Laignel, le premier vice-président délégué de l'AMF, venaient de prononcer pour l'accueillir.

Premier sujet : "la transition écologique, l'environnement". Son credo : "Je crois à une écologie de la liberté, de l'innovation." Place à "l'écologie du quotidien", "l’écologie concrète, l’écologie française, celle des territoires", car "c'est bien dans les territoires et par les communes que cette transition se fait concrètement".

Là aussi, la liste des actions citées par le chef de l'Etat sera longue : la protection des espaces naturels, "le combat pour la biodiversité", la rénovation thermique, les projets alimentaires territoriaux, les conversions au bio, les "transports propres" – qu’il s’agisse de bus à hydrogène, d’autopartage ou de vélo – les réseaux intelligents, les contrats de transition écologique… Tout cela "c'est vous", dira-t-il aux maires, en évoquant "de nouveaux appels à projets" dans "les prochains mois". En sachant aussi que la convention citoyenne sur le climat, dont les travaux se poursuivent au Cese, "proposera au gouvernement de nouvelles actions concrètes qui scanderont notre action collective dans les prochains mois".

Il a par ailleurs relevé "les tensions que peuvent faire naître ces sujets". A ce titre, il a souligné qu'un cinquième des maires sont d’anciens ou actuels agriculteurs, ce qui leur donnerait "quelque bon sens" permettant de "savoir gérer les choses sans conflit inutile". Applaudissements dans la salle. Mais il a aussi prévenu que "ce rôle ne doit pas conduire à prendre des décisions qui ne relèvent pas du pouvoir de police du maire", en référence évidente aux récents arrêtés municipaux anti-pesticides. "Quel sens cela a-t-il ? La toxicité des pesticides est-elle différente que l’on soit à Plougastel ou à Morlaix ? (…) C’est pour vous protéger que ce pouvoir ne vous est pas donné", a-t-il argumenté.

Evoquant, enfin, le projet de loi relatif à l’économie circulaire, dont l’examen débute à l’Assemblée nationale, et le "sujet particulièrement sensible de la mise en place d’une consigne pour les bouteilles en plastique", le chef de l'Etat a assuré que "rien ne sera fait sans l’accord des maires" : "C’est bien dans ce sens que j’ai demandé de poursuivre le dialogue au Parlement", afin de ne pas "pénaliser" les collectivités ayant "trouvé leur organisation" et ayant investi en conséquence.

Deuxième focus de ce discours aux maires, "la République sociale et solidaire" : "les missions locales, les CCAS, l'accompagnement des personnes âgées"… mais aussi les "deux politiques indispensables que sont l'école et la santé". Sur le terrain de l'éducation, il s'agissait principalement de revenir sur quelques engagements tenus : le fait qu'"aucune école ne soit fermée sans l'accord du maire", l'école obligatoire dès trois ans, le dédoublement des classes… en reconnaissant sur ce dernier point que "l'accompagnement de l'Etat n'a pas toujours couvert tout ce qui a été investi" pour l'aménagement des locaux mais que "des discussions sont en cours". En matière de formation et d'enseignement supérieur, ce sont cette fois les nouveaux CFA, les nouvelles antennes du Cnam et les campus connectés qui ont été cités afin d'illustrer une logique "à rebours de ce qui a été longtemps fait" : "Là aussi, c'est de l'aménagement du territoire", a insisté Emmanuel Macron.

En matière de santé, rappelant que cet enjeu était arrivé en tête des remontées du Grand Débat, le chef de l'Etat a assuré que "l'engagement de doubler le nombre des maisons de santé sera tenu", a évoqué le financement de postes d'assistants médicaux, le recrutement de médecins salariés… "Le gouvernement sera au rendez-vous pour mettre des moyens et les intensifier", a-t-il insisté, tout en réservant au lendemain des annonces plus précises.

Décentralisation... et responsabilité

François Baroin et André Laignel avaient naturellement beaucoup parlé finances, intercommunalité et décentralisation. Ce n'est pas sur ces sujets-là qu'Emmanuel Macron a été le plus loquace. Il avait certes d'emblée prévenu : "Si j'avais voulu répondre point par point, j'aurais fait ministre ou Premier ministre. C'est d'ailleurs pour ça que je vous les envoie." Plusieurs membres du gouvernement sont en effet les invités de nombre de plénières et forums durant ces trois jours de congrès et Edouard Philippe est attendu jeudi en clôture.

Le président a une nouvelle fois défendu sa réforme de la taxe d'habitation, insistant sur le fait que cette taxe n'avait, une fois n'est pas coutume, pas été "remplacée par un nouvel impôt local". "Si durant votre campagne, beaucoup de vos électeurs vous reprochent la baisse, faites-le moi savoir !", a-t-il ironisé, suggérant même que les élus locaux pourraient "empocher des félicitations".

Il y a un an, il avait par ailleurs entrouvert la porte à une réforme des dotations. Là-dessus, le chantier n'a guère avancé… mais reste ouvert : "Si le système des dotations doit être rendu plus intelligent, je suis preneur de toutes les propositions."

S'agissant des relations communes-intercommunalité, auxquelles le premier débat en plénière avait été consacré le matin même en présence de Sébastien Lecornu, Emmanuel Macron n'a pas directement abordé les points du projet de loi Engagement et proximité qui continuent de faire débat, à savoir notamment la question des compétences. Il considère que la future loi permettra bien un "assouplissement", permettra de "mieux s'organiser" et de "respecter les libertés locales", "renforcera les marges d'action", évitera aux maires de "ne pas être les récipiendaires d'instructions de l'intercommunalité" : "Vous avez un mot d'ordre, la souplesse. J'ai le même."

Il a par ailleurs évoqué le sujet des normes, avec la diminution du nombre de décrets, l'abrogation de nombreuses circulaires existantes mais devenues inutiles, le "rescrit normatif bientôt ouvert en préfectures", la "déconcentration des décisions administratives"…

En termes de déconcentration, Emmanuel Macron juge nécessaire d'"aller plus loin", y compris en déconcentrant davantage entre l'échelle régionale et le local : les grandes régions auraient créé "une nouvelle forme de concentration régionale" et "ça n'est pas bon", il faut aujourd'hui "être inventif dans l'organisation territoriale de l'Etat".

Déconcentration, différenciation, décentralisation… ou les "3D" du futur projet de loi Gourault. En matière de différenciation, Emmanuel Macron compte bien toujours "franchir un pas supplémentaire par la réforme constitutionnelle" et vante la logique des contrats particuliers ayant été signés avec des territoires comme la Creuse, les Ardennes ou la Bretagne.

Enfin, sachant que l'AMF continue évidemment de plaider en faveur d'une nouvelle étape de la décentralisation, le président a jugé utile de mettre l'accent sur le principe devant selon lui dicter la réflexion prévue dans les prochains mois. "Ma conviction est simple : quand on décentralise des compétences, il faut décentraliser les moyens et la dynamique de ces moyens." Autrement dit, "oui à la décentralisation s'il y a une décentralisation des financements qui vont avec, et offrant la bonne dynamique"… Sinon, "on fait de la bricole en permanence, on fait de la péréquation tous les matins".

Avec des moyens… mais aussi avec "une responsabilité claire". "L'aide sociale à l'enfance, le développement économique, l'emploi… tout cela pose la question des responsabilités", car "on veut parfois les compétences mais pas les responsabilités", a-t-il prévenu, concluant : "Une fois cela dit, je suis ouvert sur tous les sujets."

 

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