Emploi dans les quartiers prioritaires : mieux adapter les dispositifs aux difficultés des habitants

Dans un rapport publié le 20 juillet, la Cour des comptes dresse un bilan sévère des "dispositifs en faveur de l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville". Malgré la mobilisation des services publics de l’emploi et les 800 millions d’euros par an en faveur de l’emploi des habitants des QPV, le taux de chômage y est toujours presque trois fois plus élevé qu’ailleurs. La raison ? Une méthode inadaptée aux profils des habitants qui cumulent les difficultés.

L’enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande en juin 2021 de la commission des finances de l’Assemblée nationale, aboutit à un bilan plutôt négatif sur les "dispositifs en faveur de l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV)" sur la période 2015-2021. Le rapport qui en ressort, publié le 20 juillet, révèle essentiellement que la méthode déployée n’a tout simplement pas atteint son objectif, celui de réduire de moitié l’écart de taux d’emploi entre les territoires prioritaires et l’agglomération de référence, en particulier au bénéfice des jeunes. Et qu’il convient donc d’en réajuster le tir en prenant davantage en compte les spécificités des QPV.

En effet, plutôt qu’une amélioration de l’emploi des QPV depuis la création en 2014 et la mise en œuvre de dispositifs dédiés, la Cour des comptes constate une "dégradation" de leur situation. Selon l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV), entre 1999 et 2019, le taux de chômage des habitants des quartiers prioritaires a toujours été supérieur, entre 1,9 et 2,7 fois, à celui des unités urbaines englobantes. "Malgré une amélioration continue entre 2014 et 2019, ce rapport demeure identique, oscillant entre 2,6 et 2,7 fois", cite la Cour des comptes. "L’écart entre les deux taux d’emploi a au contraire augmenté : de 21 points en 2014 il est passé à 21,3 points", pointe le rapport. Le taux d’activité de la population âgée de 15 à 64 ans y est de plus inférieur à celui des autres quartiers (de 12,1 points en 2014 et de 14,2 points en 2019). 

Des dispositifs trop nombreux et complexes

Ces quartiers cumulent les handicaps par rapport aux autres unités urbaines : taux de scolarisation des adolescents et niveau de qualification des habitants plus faible, forte présence d’étrangers (barrière de la langue), taux de chômage supérieur et taux d’activité de la population en âge de travailler inférieur, revenus très inférieurs dont le quart provient des prestations sociales… "Le critère déterminant qui distingue les habitants des QPV des autres quartiers est leur éloignement du marché du travail", rappelle la Cour des comptes : 41,5% des adultes de 15 à 64 ans résidant en QPV sont inactifs contre 27,3% dans les autres quartiers des unités urbaines englobantes.

L'échec des diverses politiques publiques proviendrait du fait qu’elles ne tiennent pas suffisamment compte de "deux caractéristiques socio-éducatives" spécifiques aux habitants de ces quartiers : la pauvreté (les QPV concentrent 25% des personnes les plus pauvres) et le décrochage ou l’échec scolaire. "Non seulement l’orientation scolaire doit être améliorée", suggèrent les conseillers de la Cour, mais "les efforts pour faciliter l’accès des jeunes des QPV à l’apprentissage devraient être amplifiés". Car dans ces quartiers, "les personnes les plus vulnérables, éloignées du travail ou en sortie négative de dispositifs d’insertion, qui devraient représenter le cœur de cible de la politique de l’emploi dans les QPV, sont en réalité difficilement atteignables". Aussi, les dispositifs en faveur de l’emploi, trop nombreux et complexes, en concurrence les uns avec les autres, instables et dont l’accès est de plus en plus dématérialisé, "ne sont pas en mesure de réduire les écarts entre ces derniers et le reste de la population".

Changement méthodologique et organisationnel majeur

La Cour estime à 800 millions d’euros en 2018 et 2019 le montant des dépenses imputées au budget de la mission Travail et emploi en faveur de l’emploi des habitants des QPV et à 600 millions celui attribué dans le cadre du plan "1 jeune, 1 solution". Mais dans le total des dépenses, ces montants représentent moins que la part des habitants et des jeunes issus des QPV dans les demandeurs d’emploi de leur âge. Certes, signale également la Cour des comptes, "face à ce constat d’échec sur le long terme, la mise en œuvre d’une approche nouvelle est tentée autour, notamment, de 'l’aller vers' et des 'parcours sans couture'". Mais tout aussi pertinentes soient-elles, "ces démarches demeurent entravées, limitées ou inabouties". Aussi, "un changement méthodologique et organisationnel majeur est nécessaire pour amorcer une dynamique de réduction des écarts en matière d’emploi au bénéfice des habitants des QPV", préconise entre autres la Cour (lire encadré ci-dessous). Ce changement imposerait "une meilleure connaissance des fortes spécificités des QPV et un décloisonnement entre administrations".

Spie et cités de l'emploi : deux organisations concurrentes

Pour la Cour des comptes, l'efficacité du déploiement des dispositifs reste dépendante de la capacité des préfets et de leurs délégués à mobiliser différents acteurs du bassin d'emploi ou du QPV. Elle pointe toutefois le manque de cohérence dans le "déploiement récent de deux organisations concurrentes visant des objectifs proches" avec, d'un côté, le service public de l'insertion et de l'emploi (Spie) par le ministère du Travail et, de l'autre, les cités de l'emploi par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Cela "reflète", toujours selon la Cour, "l'insuffisance de la collaboration interministérielle au niveau national". Aussi, "au-delà de la sur-mobilisation des ressources humaines dans des temps réservés à la concertation, le risque existe de doublonner le suivi des cohortes de bénéficiaires". Enfin, les principaux axes d'amélioration de l'action publique en faveur de l'emploi des habitants des QPV, avec le décloisonnement des modes d'intervention et l'écoute des habitants, consisteraient à "développer la démarche d’aller au-devant des publics en difficulté, avec l'appui du milieu associatif et l'intégration plus systématique de l'entreprise".

  • Les préconisations de la Cour des comptes

1. Pour chaque dispositif de la politique de l’emploi, suivre le nombre de bénéficiaires habitant en QPV et les dépenses associées et fixer un objectif de résultat propre à cette population (ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion).

2. Simplifier la palette des dispositifs de la politique de l’emploi et harmoniser autant que possible leurs conditions d’éligibilité et le montant des allocations qui leur sont associées (ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion).

3. Instaurer des indicateurs de suivi spécifiques pour mieux piloter le développement de l’accès des jeunes des QPV à l’apprentissage et améliorer l’efficacité des prépa-apprentissage (ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion).

4. Mettre en cohérence les objectifs assignés aux dispositifs de droit commun concernant les habitants des QPV et les moyens alloués aux différents acteurs de l’insertion professionnelle (ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, ANCT).

5. Développer le travail collaboratif entre la DGEFP et l’ANCT pour établir un diagnostic partagé en amont de la conception des dispositifs d’insertion dans l’emploi et mieux y intégrer les spécificités des QPV ; tenir compte, dès le stade de la conception des dispositifs, des contraintes inhérentes à leur évaluation (ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, ANCT).

6. Fusionner d’ici 2023 les services publics de l’emploi locaux, les services publics de l’insertion et de l’emploi et les cités de l’emploi (ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, ANCT).

7. Organiser régulièrement des rencontres avec l’ensemble des acteurs de l’insertion professionnelle des habitants des quartiers et des représentants des habitants eux-mêmes, pour mieux prendre en compte les remontées de terrain dans la définition et le pilotage des dispositifs (ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, ANCT).

Référence : Les dispositifs en faveur de l'emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville