Financement des AESH : un sujet majeur pour le prochain quinquennat

Le financement des accompagnants des enfants en situation de handicap dans le cadre scolaire pose un problème depuis son origine. Mais alors que la jurisprudence penchait pour faire peser sa charge sur l'État, le Conseil d'État a rebattu les cartes fin 2020. Depuis, les élus locaux sont inquiets et en appellent à l'État. La prochaine législature pourrait être l'occasion de repréciser les règles de financement et de recrutement.

L'information est passée inaperçue au cœur d'un hiver encore dominé par la crise sanitaire. Le 11 février 2022, les présidents des trois plus grandes associations d'élus (AMF, ADF et Régions de France) adressaient un courrier conjoint au Premier ministre. Le but de cette lettre à Jean Castex ? Attirer l'attention sur la question du financement des AESH, les accompagnants des enfants en situation de handicap à l'école.

Dans leur missive, David Lisnard (AMF), François Sauvadet (ADF) et Carole Delga (Régions de France) évoquent les conséquences découlant de l'arrêt du Conseil d'État du 20 novembre 2020. Un arrêt qui a opéré un retournement de jurisprudence et provoqué incompréhension et inquiétude, tant chez les élus locaux que dans les familles concernées par l'accueil des élèves handicapés à l'école. Mais avant d'en venir à cet arrêt, un coup d'œil dans le rétroviseur s'impose…

Quand le Conseil constitutionnel tranche…

En 2003, la loi du 30 avril crée les assistants d'éducation. Outre leurs missions de surveillance et d'encadrement des élèves, ces derniers doivent également participer à l'effort engagé pour améliorer l'accueil et l'intégration des enfants handicapés à l'école. L'article 2 de la loi précise que les assistants d'éducation peuvent être mis à la disposition des collectivités territoriales pour participer aux activités périscolaires.

Certains députés craignent alors "la disparité des moyens qui […] seraient alloués par les collectivités" et la question se pose très vite de savoir qui de l'État ou des collectivités doit prendre en charge financièrement cette mise à disposition. Le Conseil constitutionnel tranche : l'article 2 de la loi du 30 avril 2003, dit-il, "n'a ni pour objet ni pour effet de permettre aux collectivités territoriales de financer des emplois d'assistants d'éducation pour exercer les missions incombant à l'État".

Dans un arrêt du 20 avril 2011, le Conseil d'État confirme cette interprétation en s'appuyant sur l'article L. 916-1 du Code de l'éducation qui dispose que les assistants d'éducation peuvent être recrutés notamment pour "l'aide à l'accueil et à l'intégration scolaires des élèves handicapés, y compris en dehors du temps scolaire". Et cela au nom de la mission d'organisation générale du service public de l'éducation qui oblige l'État à "prendre l'ensemble des mesures et […] mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif." La règle est alors posée avec limpidité : "La prise en charge par [l'État] du financement des emplois des assistants d'éducation qu'il recrute pour l'aide à l'accueil et à l'intégration scolaires des enfants handicapés en milieu ordinaire n'est pas limitée aux interventions pendant le temps scolaire."

… et le Conseil d'État retranche

Sur le terrain, les choses ne sont pourtant pas aussi simples. De nombreuses communes voient leur demande de prise en charge par l'État des assistants d'éducation sur le temps périscolaire, et notamment durant la pause méridienne, rejetée par les Dasen (directeurs académiques des services de l'Éducation nationale). Et cela, même si une circulaire du ministre de l'Éducation nationale du 3 mai 2017 précise que l'aide à la prise des repas fait bien partie des modalités d'intervention des AESH. Les contentieux pleuvent. Et finissent de nouveau par remonter jusqu'au Conseil d'État.

Le 20 novembre 2020, un arrêt de la Haute Cour administrative tombe. Et renverse la jurisprudence. Dans cette nouvelle décision, le Conseil d'État estime que la formule selon laquelle les AESH peuvent intervenir "y compris en dehors du temps scolaire" doit être interprétée comme une simple possibilité de "mise à la disposition de la collectivité territoriale". Et dans cette éventualité, ajoute-t-il, il revient à la collectivité territoriale d'assurer la charge financière de cette mise à disposition qui relève, nous dit encore le Conseil d'État, de l'organisation facultative des activités périscolaires par la collectivité. Et la Haute Cour insiste : l'aide individuelle "ne peut concerner que le temps dédié à la scolarité". D'où est tirée cette dernière assertion ? Le Conseil d'État reste évasif. Il nous informe toutefois que sa décision a été éclairée par les travaux préparatoires de la loi de finances pour 2014. Que vient faire ce texte dans cette histoire ? C'est celui qui a "professionnalisé" les AESH en les intégrant aux emplois de la mission "enseignement scolaire" du budget de l'État. Le raisonnement du Conseil d'État aurait alors consisté à considérer que, puisque les AESH font partie, au même titre que les enseignants, du budget "enseignement scolaire", ils ne sauraient être rémunérés pour une mission dépassant ce cadre.

Au 1er avril, on coupe les vannes

Où en est-on aujourd'hui ? Les académies, sur la base de l'arrêt du Conseil d'État du 20 novembre 2020, refusent plus que jamais de prendre en charge l'intervention des AESH sur le temps périscolaire, y compris à la cantine. Émilie Kuchel, présidente du RFVE (Réseau français des villes éducatrices) et adjointe au maire de Brest chargée de l'éducation, décrypte : "Les notifications des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées [CDAPH, qui accordent les aides individuelles ou mutualisées aux élèves handicapés et en déterminent la quotité horaire, ndlr] donnent des droits mais ne créent pas de devoirs. Chaque académie fait selon ses moyens. Sur Brest, la pause méridienne était prise en charge quand l'AESH avait suffisamment de temps octroyé par la CDAPH. Mais l'académie de Rennes nous a informés que la prise en charge sur le temps méridien cessait au 1er avril 2022. C'est désormais aux collectivités de la financer." Et l'élue de craindre que dans les académies où l'Éducation nationale finançait encore l'intervention des AESH, des inégalités apparaissent : "Les collectivités vont devoir faire un choix et cela va être très compliqué pour les familles." Et cela d'autant plus que le principe de la compensation d'une charge nouvelle pour la collectivité n'a pas été débattu. "On parle d'enfants spécifiques qui ont des besoins autres que ceux de l'aménagement des temps périscolaires", pointe Émilie Kuchel.

Mais le casse-tête ne se réduit pas à une équation financière. La multiplication des employeurs sur une journée pose d'autres problèmes : "On peut entendre que ce soit aux collectivités de payer ce temps-là, analyse Émilie Kuchel. Mais l'Éducation nationale devrait rester l'employeur. Car aujourd'hui, non seulement les AESH vont repasser à 21 heures hebdomadaires au lieu de 24 heures, alors qu'elles ne gagnent déjà pas beaucoup, mais cela dégrade leurs conditions de travail." Dans sa ville, où environ 400 notifications de CDAPH attribuent des aides humaines aux élèves handicapés, soixante AESH sont nécessaires pour la pause méridienne. Des AESH qui peuvent se trouver à un endroit le matin, à un autre l'après-midi, et qui, désormais, vont organiser leur temps de travail en dehors des temps périscolaires... et devront le cas échéant accepter de travailler une heure avec un temps de pause non rémunéré si elle accompagne un élève à la cantine pour le compte de la collectivité. Cela ajouté aux problèmes de recrutement… "Si on veut une école inclusive, allons-y et mettons un cadre derrière tout ça. Aujourd'hui, le cadre n'y est plus du tout. Nous n'avons pas les notifications qui sont adressées à l'Éducation nationale. Nous ne sommes donc pas informés, il n'y a pas de coordination alors que la moitié du temps de prise en charge relève de notre responsabilité. À la ville de Brest, j'ai un service costaud derrière moi, mais imaginez les élus des petites collectivités", déplore l'élue Brestoise.

Deux propositions de loi sur la table

Chez les connaisseurs du dossier, on estime souvent que ce système ne permet pas de prendre en compte l'accueil de l'enfant dans sa globalité car il peut conduire à faire intervenir plusieurs AESH auprès d'un même enfant. Alors même que l'article D. 351-16-1 du Code de l'éducation prévoit que la notification de la CDAPH puisse prendre en compte "la nécessité que l'accompagnement soit effectué par une même personne identifiée".

Comment régler ce problème alors que 400.000 élèves handicapés sont actuellement scolarisés en milieu ordinaire et que leur nombre a augmenté de 19% en cinq ans ? Pourquoi pas par une décision politique ?... Durant sa récente campagne électorale, le président de la République Emmanuel Macron a avancé sa solution : "Je veux qu'on parachève ce travail qu'on a commencé à faire pour les accompagnants des élèves en situation de handicap en leur permettant en particulier d'accompagner du temps périscolaire et d'avoir un vrai contrat de trente cinq heures." Les plus optimistes y verront la volonté de l'État de prendre en charge les AESH sur tout le temps de l'enfant à l'école. Si tel est bien le cas, deux propositions de loi (ici et ) sont d'ores et déjà prêtes…