"France Travail" : à la recherche de la bonne coordination des acteurs de l’emploi

Vue comme un gage d’efficacité, la coordination des acteurs du service public de l’emploi est au cœur du projet "France Travail". Un problème complexe que l’exécutif espère résoudre par la concertation, rejetant toute fusion. Une certitude : dans la future architecture, Pôle emploi tiendrait un nouveau rôle "d’animateur". Les collectivités insistent de leur côté à davantage de territorialisation des politiques de l’emploi.

"Le sens d’avoir des échanges avec vous, c’est qu’on est convaincus qu’il y a toujours, quelque part, quelques personnes qui ont trouvé la solution". Chargé par le gouvernement de préfigurer la future architecture de France Travail (lire notre article du 12 septembre), le haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises Thibaut Guilluy partait, ce jeudi 29 septembre, à la chasse aux bonnes pistes pour tendre vers le plein-emploi. Comment faire en sorte que le service public de l’emploi oriente plus de candidats vers les entreprises ? Aux DRH ou représentants d’entreprises, responsables de missions locales et d’agences Pôle emploi présents ce jour-là, au ministère du Travail, il assure que "ce qui compte, ce ne sont pas les idées, mais la mise en œuvre".

Cette ouverture et volonté de pragmatisme, plusieurs participants du comité des parties prenantes de France Travail qui a lancé la concertation, l’ont perçue. Alors que le projet du gouvernement alimente la crainte des missions locales d’être absorbées par Pôle emploi, le président de la commission de l'insertion des jeunes au sein du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, Antoine Dulin, estime au contraire que les propos d’Olivier Dussopt "ont été rassurants". "Je n’ai pas l’impression que la volonté du gouvernement soit de fusionner ou de supprimer différents organismes. L’objectif est plutôt de travailler à une meilleure efficacité et à un meilleur accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi", explique-t-il. "Les partenaires sont associés, très en amont", confie-t-on aussi à Départements de France, où l’on salue un exercice d’intelligence collective qui suscite un vif intérêt parmi leurs collectivités adhérentes.

Pôle emploi, "une machine très pyramidale"

Très prudent sur la question sensible des compétences, le ministère du Travail a précisé aux parties prenantes dans un document de présentation que France Travail n’était ni un projet de "régionalisation" ou de "départementalisation" du service public de l’emploi, ni un "vaste exercice de fusion entre acteurs". Ce projet s’apparenterait, en revanche, à "une mutualisation de l’offre de services entre partenaires", à un "partage des données" entre acteurs concernant les personnes en recherche d’emploi, à un "diagnostic partagé et une orientation sous égide France Travail à l’entrée pour les particuliers". Le document précise aussi qu’est envisagée "une mutation de l’opérateur Pôle emploi, à la fois acteur et animateur désormais".

Une lecture partagée par l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes). "Ce qu’ils veulent, c’est muter Pôle emploi dans sa capacité d’animation d’un réseau d’acteurs. Cela passe évidemment par une gouvernance partagée", confirme son directeur général, Sébastien Darrigrand. Tout l’enjeu sera, selon lui, de trouver "un endroit où l’on gère une articulation intelligente". L’organisation professionnelle, très préoccupée par les pénuries de personnel touchant l’ensemble des métiers de la cohésion sociale, réclame une "territorialisation des pratiques par l’ensemble des acteurs". "Il serait intéressant que Pôle emploi, dans sa stratégie, soit au courant qu’à tel endroit, une personne est accompagnée par une structure d’insertion et pourrait être recrutée sur un métier en tension", poursuit le responsable de l’Udes, qui estime que l’établissement public constitue, pour l’heure, "une machine très pyramidale et assez compliquée à mobiliser", notamment à la maille régionale ou locale.

"Aucune information" sur les moyens

Pour Régions de France, la solution est plus complexe qu’il n’y paraît. France Travail "ne fera pas l’économie d’une réflexion partagée sur l’organisation décentralisée du service public de l’emploi", alertant sur "les conséquences d’une réforme menée à la va-vite qui se limiterait à la création d’un guichet unique, sans transformation profonde". Dans une lettre adressée à la Première ministre Elisabeth Borne, le 20 septembre 2022, l’association déplore que les régions aient été considérées comme "un acteur parmi cinquante autres" dans le cadre du comité des parties prenantes. "Toute évolution qui reviendrait à recentraliser le service public de l’emploi, comme cela a été fait pour l’apprentissage par la loi du 5 septembre 2018, constituerait une grave erreur", a-t-elle averti.

"Si on veut réussir le challenge, il convient de se pencher sur les moyens mis par l’Etat pour porter cette question, ajoute Antoine Dulin. Dans une logique d’investissement social, le coût de l’accompagnement des jeunes ou de bénéficiaires du RSA très éloignés de l’emploi représente 2.000 à 3.000 euros par an et par personne. Ce qui est très loin de ce que financent aujourd’hui les départements, contraints par leurs budgets". Or, "nous ne disposons d’aucune information sur les moyens dont veut se doter l’État pour accompagner ce chantier", relève-t-il.

Cette question, pourtant, ressurgit rapidement. Lors de la table ronde consacrée aux besoins des entreprises et des demandeurs d’emploi, les discussions ont dérivé sur la taille excessive de leurs portefeuilles de personnes accompagnées. Alors que la philosophie de France Travail consiste à étendre la méthode du contrat d’engagement jeune à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, des missions locales ont témoigné de leurs difficultés. "Quand on a 30 jeunes en CEJ, et 160 jeunes à côté [par conseiller], l’accompagnement quotidien est impossible", déclarait une responsable, jeudi 29 septembre. Un autre a, de son côté, remis sur la table le sujet de la concurrence avec Pôle emploi (lire notre article du 28 juillet), qui pourrait miner la coopération souhaitée entre les deux institutions. "Pour que la simplification demandée par France Travail ne soit pas un vœu pieux, il faudra travailler avec les mêmes prérogatives", a-t-il souligné.

 

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