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GeoBaPa, "meetic" des terres excavées

Engagé en 2016, le projet GeoBaPa visant à faciliter les transferts "sains" de terres excavées dans la vallée de la Seine (régions Ile-de-France et Normandie) vient d'arriver à son terme. Ses promoteurs estiment qu'en rythme de croisière, l'utilisation de la cartographie des fonds pédo-géochimiques réalisée dans ce cadre devrait permettre de réemployer près de la moitié des terres excavées de la région et se traduire par une forte réduction des émissions de gaz à effet de serre induites par ces transferts.

"Nous ne voulions pas qu'avec le projet du Grand Paris, la Normandie devienne la poubelle de l'Ile-de-France". C'est de manière volontiers provocatrice que Hubert Dejean de la Batie, vice-président de la région Normandie, a en quelque sorte justifié la participation de "sa" région au projet GeoBaPa, coordonné par la société Soltracing, aux côtés de la région Ile-de-France, de l’Ademe Île-de-France et de la Délégation Interministérielle au développement de la vallée de la Seine (DIDVS). Engagé en 2016, ses résultats ont été présentés à la presse ce 15 avril.

"A peine 10% des terres excavées aujourd'hui réemployées"

L'objectif de GeoBaPa ? Cartographier les fonds pédo-géochimiques de l'ensemble du territoire des régions Ile-de-France et de Normandie afin de faciliter des transferts "sains" de terres excavées. "Des transferts de terres chimiquement incompatibles peuvent générer de lourds dommages environnementaux", avertit Emmanuel Cazeneuve, président de Soltracing. "Lors de l'établissement du plan régional de prévention et de gestion des déchets, nous avions identifié cet écueil, précise Hubert Dejean de la Batie. Aussi, si nous étions prêts à accepter de tels transferts, c'était à la condition que cela ne soit pas des déchets, mais une matière utilisable pour notre propre développement. Notre volonté était donc de connaître le volume et la nature des flux."

Le volume est potentiellement plus que conséquent. "Plus de 850.000 millions de tonnes de terres excavées sortent chaque année des chantiers en Europe. En Ile-de-France, le chiffre serait de l'ordre de 30 à 40 millions de tonnes", indique Emmanuel Cazeneuve. Ces terres représenteraient la moitié des déchets produits en France.

Leur nature était plus difficile à cerner. "Aujourd'hui, la réutilisation des terres nécessite de conduire des études de compatibilité chimique au cas par cas, sur le site donneur et sur le site potentiellement receveur, ce qui prend beaucoup de temps et n'est donc pas compatible avec le cycle de vie des chantiers", explique Emmanuel Cazeneuve, qui estime "qu'à peine 10% des terres excavées d'Ile-de-France sont aujourd'hui réemployées, le reste étant mis en décharge au mieux, abandonné dans des dépôts sauvages au pire".

Une recension de l'ensemble des sols, à la qualité chimique très variable

Pour mettre fin à ce gâchis, les acteurs du projet se sont donc employés à déterminer et recenser la teneur des terres de l'ensemble du territoire des deux régions, à partir de 7.700 échantillons collectés auprès de 5 grands maîtres d'ouvrage et de plus de 200 sondages réalisés ad hoc. "C'est dans cette volonté de couvrir l'ensemble des territoires pour tester leur potentiel que résidait l'originalité et la principale difficulté du projet", souligne François Philizot, délégué interministériel de la vallée de la Seine. "Avec les travaux conduits par l'Inra, les terres en milieu rural sont plutôt bien connues, mais ce n'est pas le cas en milieu urbain, où classiquement on étudie surtout que les sites et sols pollués", précise-t-il.

Des sols dont l'étude a montré que leur qualité chimique est très variable d'une zone à l'autre – quinze zones de réutilisation ont été déterminées –, particulièrement lorsqu'ils ont été remaniés par les activités humaines. A tel point qu'in fine ont été établies non pas une, mais deux cartographies du territoire : l'une relative aux terrains "naturels" et l'autre à ceux ayant déjà "subi des modifications anthropiques significatives" – entendre de précédents remblais avec des matériaux allochtones qui influencent fortement la qualité chimique des sols, principalement dans les zones urbanisées, qui sont principalement concernées.

"Désormais, d'un coup d'œil, le responsable du chantier pourra déterminer les endroits où recycler sans dommage ses terres excavées", s'exclame Emmanuel Cazeneuve. Selon le dirigeant de Soltracing, couplé avec le développement de bourses de terre en ligne, ce référentiel – public et accessible sans frais – pourrait en rythme de croisière conduire à la réutilisation de 40% des terres excavées d'Ile-de-France (jusqu'à 50% des terres sur près de 20% du bassin parisien) et à la substitution induite de matières premières, notamment lors de la réhabilitation de friches industrielles, qui nécessite souvent un apport de terre. "Techniquement, un taux plus important pourrait être atteint, mais il restera toujours le problème de la coïncidence d'une offre et d'un besoin", précise-t-il. Le tout à un instant T, car "les terres ne sont jamais stockées, mais déplacées immédiatement". En favorisant l'optimisation des distances de transport, Emmanuel Cazeneuve estime en outre que l'utilisation de l'outil pourrait réduire jusqu'à 70% l'empreinte carbone induite par les transferts.

Discours de la méthode

Emmanuel Cazeneuve estime à environ 1 million d'euros le coût total du projet, financé pour un quart par les acteurs privés et aux trois quarts par les deux régions et l'Ademe, cette dernière assurant la moitié de l'investissement public – 342.000 euros, précise Jérémie Almosni, directeur régional de l'Ademe Ile-de-France. Saluant en conclusion "cette démarche originale entre acteurs publics et privés", François Philizot a insisté sur le fait que ce projet témoignait "des difficultés et potentialités de l'économie circulaire, en montrant l'importance de construire de véritables filières économiques, fondées sur une exigence scientifique de connaissance de la matière – l'importance des données et de leur partage – et en intégrant les apports de l'ensemble des partenaires". Et de conclure : "l'économie circulaire, c'est bien sûr du volontarisme, mais c'est aussi de la méthode."

 

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