Habitat partagé : un collectif d’acteurs appelle à relever l’ambition des "150.000 en 2030"

L’habitat inclusif, ou encore l’habitat "accompagné, partagé et inséré dans la vie locale", est aujourd’hui présenté par les pouvoirs publics comme une solution d’avenir pour le logement des personnes âgées. Ces petites unités de vie permettent en effet aux personnes de vieillir dans un logement adapté et de partager des services d’accompagnement et de moments collectifs conviviaux dans des espaces communs. Malgré un contexte favorable, seules quelques milliers de personnes vivent aujourd’hui dans ce type de colocations adaptées. Un collectif de douze acteurs appelle aujourd’hui les pouvoirs publics à simplifier les procédures pour accélérer le déploiement de ces habitats partagés partout en France.  

Si la future loi "Grand Âge et autonomie" devait réserver une place importante au bien vieillir à domicile et en établissement, avec un enjeu fort autour de l’humanisation des Ehpad suite au scandale Orpéa (voir notre article de mars 2022 ), la troisième voie qui se dessine autour de l’habitat inclusif ne sera pas en reste. C’est en tout cas le souhait que porte le collectif des "150.000 en 2030", récemment créé par 12 entreprises et associations de l’habitat partagé pour personnes âgées et handicapées (1). Ces acteurs ont choisi de parler d’une voix commune en se plaçant sous l’égide du rapport Piveteau-Wolfrom de 2020 intitulé "Demain, je pourrai choisir d’habiter avec vous !". "Il est à la fois ambitieux mais pas impossible de se fixer collectivement pour cible de permettre d’ici 2030 à 150.000 personnes (100.000 personnes âgées, 50.000 personnes en situation de handicap) d’occuper un logement API", soit un logement "accompagné, partagé et inséré dans la vie locale", énonçait ce rapport en 2020.

"Aujourd’hui, on est très loin du compte. Il n’y a pas de recensement officiel mais nous estimons que 4.000 à 5.000 personnes logent dans ce type d’habitat", explique à Localtis Simon Vouillot, co-fondateur d’Âges & vie, au nom du collectif. Avec la vague démographique qui arrive et l’isolement d’un grand nombre de seniors - 2 millions de personnes âgées seraient isolées en 2022 -, il importe pour ces acteurs d’offrir le choix au plus grand nombre. "Quand on crée un habitat partagé pour 10, 15, 20 personnes, on ne résout pas le problème de l’habitat partagé en France… Donc l’idée est de créer massivement ces solutions-là", met en avant Laurence Boluda, directrice de La maison de Blandine, également au nom du collectif.

Aide à la vie partagée : des critères d’attribution qui changent d’un département à l’autre

Ce modèle qui comporte bien des atouts (voir notre encadré ci-dessous) convainc tant les autorités que des financeurs tels que la Banque des Territoires qui a investi dans plusieurs projets. Les politiques nationale et locales de soutien à l’habitat inclusif ont commencé à se structurer, à travers différents leviers que sont l’aide à la vie partagée (AVP), qu’un département peut attribuer pour soutenir un projet d’habitat inclusif après avoir lui-même conclu une convention avec l’État et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), et l’aide à l’ingénierie de projets dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt "Habitat inclusif dans les petites villes de demain" (voir nos articles ci-dessous).         

Si tous les voyants sont apparemment au vert, les opérateurs du collectif des "150.000 en 2030" déplorent des lenteurs et des difficultés administratives sur le terrain. Près d’un an et demi après le lancement de l’AVP, seuls vingt départements ont signé une convention avec la CNSA. Et, de la signature de la convention à l’attribution de l’aide, il peut se passer du temps. "À propos des appels à projets lancés par ces départements, nous avons beaucoup de questionnements car les critères changent d’un département à l’autre et cela manque parfois de précision et de transparence", met en avant Laurence Boluda. Autre difficulté rencontrée : les résidents ne touchent pas toujours le crédit d’impôt lié aux services à la personne car les espaces partagés de l’habitat ne sont pas reconnus par tous les départements comme étant du "domicile" pour les personnes. "Nous ne rentrons pas dans une case et c’est aussi ça qui les gêne", poursuit la directrice de La maison de Blandine.   

"Faire confiance aux acteurs dans leur diversité pour répondre quantitativement à la demande"

Après la définition de l’habitat inclusif dans loi Elan de 2018, le collectif attend une reconnaissance dans la future loi Grand âge et la promesse d’une "politique ambitieuse" permettant de déployer ce type d’habitats partout en France. Il demande une simplification des procédures et une équité de traitement entre départements, mais également entre les différentes catégories de porteurs de projet.

"Pour répondre quantitativement à la demande, parce qu’on sait que les baby-boomers vont arriver en dépendance en 2030, il est nécessaire de faire confiance aux acteurs qui ont des solutions différentes, de reconnaître cette diversité", affirme Simon Vouillot. "Cela ne veut pas dire qu’on laisse faire n’importe qui, n’importe quoi, et notre collectif doit aussi être capable de faire émerger des critères de qualité communs", poursuit-il. Cette diversité des acteurs et des solutions répond à l’enjeu de la liberté de choix des personnes, selon le collectif qui estime qu’un modèle-type "tuerait l’humain que ces projets cherchent à maintenir"… Le meilleur indicateur de qualité, pour Laurence Boluda, c’est la satisfaction des personnes, qui "habitent chez elles mais pas tout seules, et c’est vraiment ça la différence".

  • Vieillir chez soi, mais pas tout seul" : les atouts de l’habitat partagé

Solution intermédiaire entre le domicile et l’institution type maison de retraite ou Ehpad, l’habitat partagé est une sorte de colocation réunissant cinq à 25 personnes. Ces dernières ont chacune leur chambre ou leur appartement privé et partagent des espaces de vie, des services et des temps collectifs animés par une équipe. Selon les projets, les personnes accueillies sont très âgées et dépendantes ou pas, avec parfois également des jeunes qui habitent sur place et constituent une présence rassurante la nuit. "Nous proposons des solutions différentes mais nous sommes toujours au cœur des bourgs, à proximité des commerces, du tissu associatif, des crèches, des écoles, pour créer ce lien. Le premier objectif est vraiment de rompre l'isolement et la solitude, de redonner un sentiment d’utilité aux personnes qui sont accompagnées individuellement et qui participent chacune à leur manière au projet de vie social et partagé", décrit Laurence Boluda. "Dans notre diversité, nous portons tous l’idée qu’il ne faut pas couper la personne de son environnement, à la fois son environnement géographique – la commune, le quartier… – et son environnement affectif – ses amis, sa famille qui jouent pleinement leur rôle parce que l’endroit est accueillant", ajoute Simon Vouillot.

Le collectif des "150.000 en 2030" met donc en avant plusieurs atouts pour ce modèle émergeant : la possibilité pour ces personnes de concilier liberté et sécurité (sécurité dans un logement adapté, du fait d’un accompagnement adapté, mais également "sécurité affective" avec les liens qui se créent), la prévention de la perte d’autonomie (parce que les personnes sont actrices du projet et de leur quotidien), mais également la possibilité de maîtriser les restes à charge (de l’ordre de 1.200 à 1.600 euros par mois) par la mutualisation d’espaces de vie et de services, ou encore des effets positifs tant sur l’équilibre économique des services d’aide à domicile concernés que sur les conditions d’exercice et l’attractivité renouvelée des auxiliaires de vie et autres accompagnants qui retrouvent du sens dans leur travail.

"Notre force, c’est aussi de créer du lien entre les différents acteurs d’une commune qui répondent aux personnes âgées", estime enfin Laurence Boluda. Les communes, notamment via les centres communaux d’action sociale (CCAS), seraient pleinement parties prenantes de projets qui leur permettent de regrouper en cœur de bourg des personnes auparavant isolées.

C.Megglé

(1) Les membres du collectif des "150.000 en 2030" sont Les pénates, Epic coliving, La maison de la diversité, Villa nouvelle, La maison de Blandine, Vitalliance, Âges & vie, Watt home, Auxilife, Domani, Cosima et Monsenior. 

 

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