Hélène Guillet : "Les tensions de recrutement touchent aussi les fonctions de direction générale"

Après quinze années à la tête du syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT), Stéphane Pintre vient de passer le témoin à sa collègue Hélène Guillet, directrice générale du centre de gestion de Loire-Atlantique. Celle qui a été élue mi-septembre à l'unanimité à la présidence du syndicat, détaille sa feuille de route dans une interview à Localtis. Elle évoque également l'évolution récente des fonctions de direction générale, en s'inquiétant qu'elles attirent moins de candidats. Le syndicat demande la reconnaissance explicite des missions des directeurs généraux et directeurs généraux adjoints des collectivités.

Localtis : Quelle est votre feuille de route ?

Hélène Guillet : Mon projet pour le mandat comporte trois grands axes et l'équipe que j'ai constituée est organisée pour les mettre en oeuvre. Le premier vise à développer encore la capacité de production, déjà importante, de nos collègues directeurs généraux et directeurs généraux adjoints, dans le champ de leurs compétences et responsabilités. Nous allons aussi partager cette production, parce que nous partons de l'idée que ce que nous produisons est susceptible de susciter des avancées. Cela vaut sur des sujets comme l'attractivité de la fonction publique, les grandes questions comme le développement durable, les finances publiques, la qualité de vie au travail. Mais aussi sur les grands sujets de réforme, tel que le nouvel acte de décentralisation que le président de la République a récemment annoncé. Un deuxième grand axe de ma feuille de route va consister à continuer à développer les coopérations, les synergies, dans l'objectif d'être présents sur les grands chantiers et partie prenante de l'amélioration de l'action publique. Enfin, le troisième axe, qui est la promotion et la valorisation des fonctions de direction générale, est vraiment en lien avec la raison d'être du syndicat.

Le SNDGCT va-t-il conclure de nouveaux partenariats ?

Des discussions ont été engagées, il y a plusieurs mois, avec l'AMF [Association des maires de France] et nous sommes proches de la finalisation. Par ailleurs, j'avais engagé avant mon élection des discussions avec la Fédération nationale des centres de gestion : nous nous sommes mis d'accord sur le principe d'un partenariat, mais il faut qu'on travaille à sa formalisation. Nous allons aussi voir comment amplifier les échanges avec l'Association nationale des directeurs de centres de gestion, ainsi qu'avec un certain nombre d'autres associations de territoriaux, dont l'ADGCF [Association des directeurs généraux des communautés de France]. Nous amplifions ces coopérations non pas pour le plaisir de signer des conventions, mais afin d'obtenir des résultats, de se serrer les coudes, de faire bloc, au-delà de nos différences. On vit à une époque où on ne peut plus se permettre des petites batailles, des petites mesquineries. Il y a des enjeux qui sont bien plus forts et sur lesquels les publics et les agents nous attendent, et qui sont vraiment cruciaux. L'idée vaut à l'échelle nationale, mais ensuite, il faut qu'elle puisse être déclinée en proximité.

Quelles sont les priorités du syndicat pour la défense des missions et du statut des directeurs généraux de collectivités ?

On ne parle plus vraiment de statut concernant les personnels de direction générale, mais on met davantage en avant la notion de reconnaissance de nos fonctions. C'est un sujet très important. En effet, nous portons des responsabilités pouvant entraîner des mises en causes d'ordre civil ou pénal. Mais, dans le même temps, notre fonction de direction générale est la seule à ne pas avoir vu ses responsabilités être reconnues dans les textes. Les directeurs d'hôpitaux et les directeurs de CCAS [centres communaux d'action sociale] ont un périmètre de fonctions qui ont été reconnues, tandis que pour nous, le flou le plus complet existe.

La définition de vos missions doit, selon vous, être rédigée dans un décret...

C'est en effet ce que nous souhaitons. Sur ce sujet, nous avons travaillé durant plusieurs années en lien avec les ministères et les associations d'élus. On nous a dit : mettez-vous d'accord avec les associations d'élus et, ensuite, on pourra le prendre en compte. Nous sommes donc parvenus à un texte qui recueille l'approbation des associations d'élus. Amélie de Montchalin [l'ex-ministre de la Transformation et de la Fonction publiques] nous a écrit que les choses pouvaient être engagées sur cette base. Son successeur au ministère, Stanislas Guerini, doit se pencher sur le sujet.

Les dernières élections locales ont-elles entraîné de nombreuses mobilités ?

Il fut une époque où le "mercato" concernait plutôt les grandes collectivités, après les élections municipales, départementales ou régionales. Toutefois, les choses évoluent depuis une petite dizaine d'années, avec une amplification des mobilités. On observe toujours un pic après les élections municipales, avec des fins de détachement sur emploi fonctionnel qui surviennent même lorsqu'il n'y a pas de changement politique dans la collectivité. Mais celles-ci interviennent désormais aussi, et de plus en plus fréquemment, durant le mandat. La crise liée au Covid-19 n'a fait qu'accentuer le phénomène. Si l'autorité territoriale décide que le lien de confiance est rompu, un processus juridique très précis est engagé, au terme duquel intervient la fin des fonctions. Celle-ci prend effet le premier jour du troisième mois suivant l’information de l’assemblée délibérante. Avec pour effet une perte de rémunération qui est de l'ordre de 50 à 60% parfois pour la personne concernée. Nous n'avons pas de parachute doré ! C'est l'une des raisons pour lesquelles nous demandons une forme de reconnaissance.

Avec leurs risques inhérents, les fonctions de DGS et DGA demeurent-elles attractives ?

Les difficultés de recrutement qui touchent certains métiers dans les collectivités territoriales concernent aussi les postes de direction générale. Le phénomène n'est pas documenté sur le plan statistique. Mais nous le voyons très clairement : nombre de collègues quittent la fonction de direction générale. C'est un vrai sujet.

À quoi ces difficultés de recrutement sont-elles liées ?

D'abord, la fonction de direction générale n'est pas suffisamment connue et visible. Ensuite, les difficultés tiennent à la fonction même, qui est à l'articulation entre le politique et l'administratif et en accompagnement des équipes pour traduire les projets dans les territoires. Au croisement de beaucoup de pressions et tensions, la fonction comporte des zones de risques énormes : ils sont d'ordre pénal ou civil et liés à une fonction à laquelle il peut être mis fin brutalement. L'action publique est aussi devenue plus complexe, tout comme le management. Avec la crise sanitaire, il existe un certain nombre de fragilités dans les équipes. La fonction est très enthousiasmante, mais elle demande beaucoup d'investissement. Certains collègues sont épuisés. A cela s'ajoute une difficulté en termes de rémunération : les grilles des emplois fonctionnels se sont tassées au fil des années. Mais les tensions de recrutement varient selon les territoires, car ceux-ci sont plus ou moins attractifs.

La question de l'attractivité touche de nombreux emplois dans des collectivités de toutes tailles. Quelles solutions faut-il selon vous privilégier ?

Compte tenu du marché de l'emploi, les collectivités sont en concurrence très forte, sur bon nombre de métiers, avec le secteur privé qui est plus attractif. Je n'ai pas de baguette magique ! Mais il y a un vrai sujet autour de la question de la rémunération après douze ans de quasi-gel du point d'indice et une revalorisation récente qui n'est en fait raisonnable ni pour les agents, ni pour les employeurs, au regard des tensions financières qu'elle provoque et qui, de toute façon, ne règle pas les questions de fond, à savoir la revalorisation des grilles, la refonte complète des déroulements de carrière… La question est donc : comment on attire de nouveaux actifs dans la fonction publique et comment on les garde avec des trajectoires professionnelles permettant d'allier contenu et attractivité financière ? Tout en notant que les jeunes générations n'arrivent plus toujours dans la fonction publique pour dérouler une carrière.

Au-delà de la rémunération, sur quels autres leviers peut-on agir ?

Il y a un deuxième sujet qui concerne les conditions d'emploi au sens large. Ce sont les questions de logement et de facilité d'accès à son lieu de travail, qui se posent de manière plus aigüe dans les bassins de vie dynamiques. Ce sont aussi les questions de l'emploi du conjoint ou de la conjointe, du coût des déplacements, de la vie sociale et culturelle, qui peuvent se poser en revanche davantage dans les bassins de vie moins dynamiques. On ne peut pas parler d'attractivité de la fonction publique sans penser aussi à ces questions-là. Sur les points que j'ai évoqués, les employeurs territoriaux n'ont pas toutes les clés en main, parce que les solutions ne relèvent pas que de leur décision. Mais il y a un troisième volet, celui du projet et du sens, qui est du ressort, pour le coup, de leur responsabilité et de celle des équipes de direction générale. On peut l'appeler "marque employeur" ou "grand projet". Chacun y va de son libellé. Mais la question est toujours la même : à quoi on sert, pourquoi on travaille ? Il y a là un sujet, car la notion d'utilité sociale est l'une des premières motivations des agents publics. Un dernier point me paraît également essentiel : la reconnaissance de la valeur de l'action publique et, donc, des agents publics. Le "fonctionnariat bashing" s'est certes un peu tassé pendant la crise sanitaire. Mais il réapparaît sous d'autres vocables, que je trouve assez difficiles à entendre. Les agents publics sont réduits à de la "masse salariale" et quelques think tanks n'hésitent toujours pas à dire qu'il y aurait trop de fonctionnaires. Comment on donne envie à des jeunes gens de venir s'investir pour le service public, quand on est réduit à de la "masse salariale" ou à du fonctionnaire en trop ? Il existe une vraie responsabilité collective autour de cette question. Et un vocabulaire à changer : oui les gens sont importants et utiles. Ce qui ne veut pas dire qu'on fait tout et n'importe quoi. Finalement, les quatre sujets - rémunération, conditions d'emploi au sens large, contenu et sens du management et reconnaissance versus "fonctionnariat bashing" - sont étroitement imbriqués.

Vous êtes la première femme à être présidente du SNDGCT. Faut-il voir dans votre élection le signe que l'égalité femmes-hommes est en progrès au sein des métiers de direction générale des collectivités ?

Je suis à la tête du syndicat, non pas parce que je suis une femme, mais parce que mes pairs m'ont reconnu une capacité de leadership et parce que j'avais un projet. Le syndicat a aussi permis l'accès d'une femme à cette fonction. Il est d'ailleurs l'une des rares organisations de cette taille (quatre mille adhérents) à l'avoir fait. C'est un signe de modernité. J'ajoute que j'exerce ma fonction dans le cadre de mon exécutif, qui n'est pas complètement paritaire, mais que j'ai renouvelé en veillant aux équilibres hommes-femmes.

 

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