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Hyper-fréquentation touristique : vers une nouvelle police spéciale pour les maires

Une proposition de loi signée Jérôme Bignon a été adoptée en commission au Sénat. L'idée est de renforcer la capacité juridique d'intervention des maires confrontés à l'"hyper-fréquentation" d'un site naturel ou patrimonial. Les ambitions du texte ont toutefois été réajustées afin d'éviter une "extension trop large des pouvoirs de police générale du maire".

Jérôme Bignon, sénateur de la Somme, et une trentaine de ses collègues des groupes Les Indépendants-République et Territoires, LR, RDSE et Union centriste (dont Catherine Morin-Dessailly, la présidente de la commission de la culture et de l'éducation) ont déposé une proposition de loi "portant diverses mesures tendant à réguler l'hyper-fréquentation dans les sites naturels et culturels patrimoniaux". L'exposé des motifs explique que "les maires sont par définition les premiers concernés et ont une capacité d'intervention et d'action qui conduit à interroger la définition qui est aujourd'hui retenue de l'ordre public général".

Une rédaction initiale un peu trop ambitieuse

En effet, si les maires disposent d'un pouvoir de police assez large, celui-ci est néanmoins cantonné à la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques. Or, "la jurisprudence administrative censure les arrêtés municipaux réglementant ou limitant l'accès à certaines zones ou à certains sites dans l'objectif de protéger l'environnement, la biodiversité et/ou le caractère des lieux, au motif qu'ils ne visent pas à garantir la tranquillité, la sécurité ou la salubrité publiques". Ceci incite les maires confrontés à des phénomènes d'hyper-fréquentation "à déguiser leur intervention sous de faux prétextes de sécurité publique, ce qui est de nature à fragiliser juridiquement leur décision".

Dans sa rédaction initiale, qui comptait quatre articles, la proposition de loi complétait l'article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), en faisant de la protection de l'environnement et du caractère des sites une nouvelle composante de l'ordre public général, "consacrant ainsi la notion d'ordre public écologique, depuis longtemps promue par la doctrine juridique spécialisée".

"Les conséquences d'une telle évolution juridique ne sont pas maîtrisées"

Le problème est que le rapporteur du texte – qui est aussi en l'occurrence l'auteur de la proposition de loi – s'est rapidement rendu compte que "les conséquences d'une telle évolution juridique ne sont pas maîtrisées". Il a en effet été alerté, au cours des auditions qu'il a menées, sur "un certain nombre de conséquences non maîtrisées auxquelles pourrait donner lieu une telle extension trop large des pouvoirs de police générale du maire" : exposition du maire à une responsabilité nouvelle susceptible de donner lieu à des poursuites pour inaction fautive (alors que le maire dispose rarement des moyens techniques, juridiques et humains appropriés), problèmes d'articulation avec les autorités disposant de pouvoirs de police spéciale équivalents, mais aussi d'articulation avec les pouvoirs dont le maire dispose déjà en matière d'environnement dans le cadre de son pouvoir de police générale, d'une part en matière de pollutions de toute nature et de prévention des fléaux et, d'autre part, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale (déchets...). Le risque serait aussi qu'"une mauvaise interprétation de ces dispositions pourrait laisser penser que les maires sont désormais compétents de manière générale en matière de protection de l'environnement".

Enfin, le rapporteur découvre – un peu tardivement – que "dans la plupart des cas, les risques pesant sur l'environnement dans les espaces et sites naturels ou patrimoniaux remarquables peuvent déjà être gérés par les outils existants".

Oui à une police spéciale, mais complémentaire des outils existants

Ces constats ont donc conduit le rapporteur à proposer et la commission à adopter un texte quelque peu allégé. La solution retenue consiste certes à créer une nouvelle police spéciale pour le maire, mais complémentaire des outils existants. Du coup, la proposition de loi, ramenée à un article, étend l'article L.2213-4 du CGCT en autorisant le maire à réglementer – et non plus seulement à interdire – l'accès et la circulation des personnes – et non plus seulement des véhicules motorisés – à certaines voies ou certaines portions de voies ou à certains secteurs de la commune, via un arrêté motivé. Cette possibilité est ouverte dès lors que cet accès est de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la qualité de l'air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristique.

Eu égard à la diversité des groupes signataires, la proposition de loi devrait être adoptée sans difficulté par le Sénat en séance publique, le 21 novembre. Son sort est plus incertain à l'Assemble, mais compte tenu du caractère très consensuel du texte et des préoccupations croissantes des maires sur les questions de surfréquentation touristique, il pourrait néanmoins être adopté également.

Références : proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler l'hyper-fréquentation dans les sites naturels et culturels patrimoniaux (adoptée en les 13 novembre 2019 en commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, examinée en première lecture en séance publique le 21 novembre 2019).

 

 

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