Indépendance énergétique : le plan de Bruxelles accordera "un rôle essentiel" aux villes et régions

La Commission européenne a présenté ce 18 mai son plan d’action REPowerEU pour mettre fin à la dépendance énergétique de l’UE et lutter contre le changement climatique. Elle y propose renforcement des économies d’énergie, diversification des approvisionnements et accélération du déploiement des énergies renouvelables, le tout pour un coût estimé à 210 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2027. Des investissements qui pourraient notamment être financés par des prélèvements sur les dotations des fonds de cohésion et du Feader.

Face aux conséquences de la guerre en Ukraine en matière énergétique, la Commission a présenté, comme demandé par le Conseil, ce 18 mai, son nouveau plan d’action REPowerEU. Il vient amender "en urgence" certaines mesures de son paquet Fit for 55 (voir notre article du 15 juillet 2021) – dont l’essentiel est toujours en discussion – et compléter sa communication du même nom du 8 mars dernier ainsi que sa stratégie sur la sécurité d’approvisionnement et le prix de l’énergie abordable du 23 mars dernier.

L’urgence, c’est celle de mettre fin à la dépendance énergétique à l’égard de la Russie, "qui est utilisée comme une arme économique et politique et coûte chaque année près de 100 milliards d’euros aux contribuables européens". Mais c’est aussi celle de "s’attaquer à la crise climatique", indique la Commission, réaffirmant ainsi la volonté qu’il n’y ait "pas de pause" en la matière (voir notre article du 21 mars).

Ce nouveau plan, qui sera discuté par les 27 lors du conseil des 30 et 31 mai prochains, vise dans le détail quatre principaux objectifs : économiser l’énergie ; diversifier les approvisionnements ; accélérer le déploiement des énergies renouvelables ; "combiner intelligemment investissements et réformes".

Économiser l’énergie : les collectivités en première ligne

La "chasse au gaspi" est de nouveau ouverte. Cette campagne lancée en 1979 par le ministère de l’Industrie en pleine crise pétrolière aura marqué les esprits des plus anciens. La crise ukrainienne la remet au goût du jour, la Commission faisant des économies d’énergie le premier axe de sa stratégie. Elle y consacre une communication dédiée, détaillant les changements comportementaux de court terme qui permettraient de réduire la demande de gaz et de pétrole de 5%. Des mesures qui ne sont pas sans rappeler celles préconisées en avril par l’Agence internationale de l’énergie dans son programme "Jouer mon rôle" (dimanche sans voiture, télétravailler trois jours par semaine, éteindre les lumières, adopter l’écoconduite, etc.), sur lesquelles les États membres sont invités à communiquer, en visant particulièrement les ménages et l’industrie. Présentant ce nouveau plan, la Représentation permanente de la Commission en France a pour sa part insisté sur le "rôle essentiel qui doit être donné aux villes et aux régions dans la mise en œuvre de ces actions", et notamment les nécessaires "sensibilisation et accompagnement des concitoyens, pour que chacun joue son rôle".

À court terme, pour aider ces concitoyens à faire face à la hausse du prix de l’énergie, la Commission encourage à nouveau les États membres à prendre les différentes mesures, notamment fiscales, qu’ils sont autorisés à débloquer pour alléger leur facture en favorisant l’efficacité énergétique (voir notre article du 13 octobre 2021).

À moyen terme, elle propose surtout de rehausser de 9% à 13% l’ambition en matière d’efficacité d’énergétique en 2030 (par rapport aux effets consentis dans le scénario de référence de 2020), dans le cadre de la révision en cours de la directive sur l’efficacité énergétique. Si tous les secteurs sont appelés à l’effort commun (avec l’introduction de mesures obligatoires pour le transport et l’industrie), celui de la rénovation des bâtiments est mis en avant par la Représentation, "alors que 80% des bâtiments existants dans l’UE seront encore là en 2050 et que leur consommation d’énergie est inefficace pour 60% d’entre eux".

Le pire n’étant pas à exclure, la Commission invite dans le même temps les États membres à mettre en place des plans d’urgence pour faire face à un éventuel black-out cet hiver. Un plan européen coordonné de réduction de la demande, qui visera singulièrement l’industrie, devrait ainsi être mis en place. La Commission publiera également un guide, qui fixera entre autres des critères pour identifier les consommateurs prioritaires non protégés.

Diversification des approvisionnements gaziers

La Commission réitère ses propositions d’augmenter les importations non russes de GNL (en provenance des USA, d’Égypte, du Qatar et d’Afrique de l’Ouest) et par gazoduc (Azerbaïdjan, Algérie, Norvège). Dans un document dédié, elle présente notamment les différents partenariats de long terme qu’elle entend conduire (y compris dans l’hydrogène), et le rôle qu’elle entend voir jouer par la plateforme énergétique de l’UE récemment créée. Visant dans un premier temps la mise en commun volontaire d’achats de gaz, de GNL et d’hydrogène afin d’optimiser l’utilisation des infrastructures, la Commission ambitionne dans un second temps de développer via cette plateforme un mécanisme d’achat conjoint, comme cela a été mis en place pour les vaccins contre le Covid. La Commission envisage par ailleurs des mesures législatives afin d’exiger une diversification de l’approvisionnement en gaz des États membres.

La Représentation rappelle de son côté l’objectif de remplir à 80% au moins les infrastructures de stockage existantes d’ici le 1er novembre (niveau abaissé le 23 mars, après l’avoir initialement fixé à 90% le 8 mars – taux qui resterait en revanche l’objectif pour les années suivantes). En outre, elle confirme que de nouvelles infrastructures gazières, "très limitées, et à la condition qu’elles puissent être à terme dédiées à l’hydrogène", sont prévues et pourront bénéficier de financements. Une concession que la Commission avait dû faire dans le cadre de la révision du règlement RTE-E (voir notre article du 7 avril), à laquelle le Conseil vient d’ailleurs de donner le feu vert définitif le 16 mai dernier.

Augmentation massive des énergies renouvelables

L’objectif de la part du renouvelable dans le bouquet énergétique à horizon 2030 est à nouveau revu à la hausse. Alors que la Commission proposait de le porter de 32 à 40% dans le cadre de Fit for 55, elle ambitionne désormais les 45% (soit 1.236 GW, contre 1.067 GW dans le scénario à 40%).

À court terme, elle entend miser massivement sur le solaire, "le plus rapide à déployer" (elle vise 320 GW d’installations nouvelles d’ici 2025, et près de 600 GW d’ici 2030). Entendre administrativement parlant, puisque le délai moyen pour l’obtention d’un permis dans l’UE ne serait "que" de 4 ans et demi, contre 9 ans pour l’éolien. La Commission proposera prochainement une stratégie spécifique, prévoyant notamment "l’équipement obligatoire en panneaux solaires en toiture des bâtiments publics et commerciaux de 200 m2 et plus", précise la Représentation.

La Commission escompte également accélérer le déploiement à grande échelle des pompes à chaleur – 10 millions d’unités d’ici cinq ans – et moderniser le chauffage urbain. Un plan spécifique est par ailleurs prévu pour porter la production du biométhane à 35 milliards de m3 annuels (notamment en recourant aux fonds de la PAC). Sans surprise, le déploiement de l’hydrogène vert fait aussi l’objet de toutes les attentions, avec l’objectif d’atteindre une production interne à l’UE de 10 millions de tonnes par an et des importations du même ordre d’ici 2030.

La Commission proposera également une nouvelle recommandation pour accélérer et simplifier la délivrance des autorisations environnementales, en facilitant notamment les "approches participatives". Le 13 juin, elle organisera à cette fin une réunion "entre experts des énergies renouvelables et experts en évaluation environnementale" afin de déterminer les bonnes pratiques. La directive sur les énergies renouvelables serait également amendée afin de reconnaitre au développement de ces dernières le statut "d’intérêt public supérieur". Des zones dédiées aux énergies renouvelables devraient en outre être mises en place par les États membres, au sein desquelles les processus d’autorisation seraient raccourcis et simplifiés.

Autant d’ambitions qui passent notamment par un renforcement des capacités de production, ce qui suppose de régler tant les problèmes d’approvisionnement en matériaux et matières premières que de main-d’œuvre. La Commission invite d’ailleurs les parties prenantes à bien quantifier leurs besoins en la matière.

"Combiner intelligemment investissements et réformes"

La Commission estime à près de 210 milliards d’euros les investissements supplémentaires nécessaires d’ici 2027. Une partie serait compensée par de moindres importations, pour un montant évalué entre 80 à 100 milliards d’euros. Pour le reste, la Commission propose notamment que les États membres puissent utiliser les prêts – à ne pas confondre avec les subventions ! – non utilisés de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), soit 225 milliards d’euros (360 milliards étaient disponibles initialement). Ils pourraient également bénéficier de "nouvelles subventions de la FRR financées par la mise aux enchères des quotas du système d’échange de quotas d’émission (Seqe), actuellement détenus dans la réserve de stabilité du marché" (mécanisme absorbant les permis "excédentaires" afin d’empêcher la baisse des prix du carbone), et ce "pour une valeur de 20 milliards d’euros". Relevons pour mémoire que les recettes de ce Seqe figurent déjà au rang des nouvelles ressources propres espérées… pour financer le remboursement du plan de relance !

La Commission propose par ailleurs d’amender la réglementation relative à la FRR pour intégrer dans les plans de relance et de résilience des États membres un chapitre dédié au plan REPowerEU "afin de canaliser les investissements vers les priorités de ce plan". Les États membres pourraient notamment transférer volontairement jusqu’à 12,5% de leurs dotations fonds de cohésion (aux 5% déjà possibles s’ajouteraient donc 7,5%) et jusqu’à 12,5% de leurs dotations Feader vers le plan de relance pour financer exclusivement ces actions REPowerEU. Un transfert de fonds à n’en point douter (politiquement) risqué…

La Commission précise enfin que les prochaines recommandations du Semestre européen tiendront également compte de ce nouveau plan, incluant des mesures spécifiques à chaque État membre.

 

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