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Ingénierie territoriale : les élus "n’ont pas besoin de poissons, ils ont besoin qu’on leur apprenne à pêcher"

La création de l’ANCT rebat les cartes de l’ingénierie territoriale. Mais entre structures nationales et décentralisées, publiques et privées, l’architecture ne s’est pas encore trouvée, laissant les élus locaux perplexes face à des projets de plus en plus complexes. Un débat organisé au Sénat en a témoigné. Le recours massif aux appels à projets, qui plus est à l’heure de la relance, est une source d’inquiétude supplémentaire pour les petites communes. L'ANCT vient d'apporter de nouveaux éléments de réponse et le Cerema entend se rapprocher davantage des collectivités.

"S’il n’y a pas d’ingénierie, il n’y a pas de financement. C’est la double peine pour les collectivités." Le sénateur Jean-François Longeot, président de commission de l'aménagement du territoire et du développement, a résumé, mercredi 31 mars, tout l’enjeu de l’ingénierie territoriale au moment où les projets paraissent de plus en plus "complexes" aux élus, notamment pour tout ce qui touche aux grandes transitions en cours : écologique, numérique, démographique... Mais cette ingénierie est à l’image de la décentralisation, un paysage en construction, sept ans après le vide laissé par la suppression de l’Atesat. Alors que la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est venue rebattre les cartes, la commission sénatoriale a souhaité dresser un état des lieux, dans le cadre d’un cycle d’auditions plus larges sur l’aménagement du territoire. Et ce dans la continuité d’un rapport de juillet 2020, "Les collectivités et l'ANCT au défi de l'ingénierie dans les territoires". Le constat est peu amène. "La vélocité de l’action locale a beaucoup diminué depuis les années 1990, c’est un facteur de découragement", a considéré Jean-François Longeot, en introduction, rejoint par Gilbert Favreau (Deux-Sèvres, LR) pour qui "les élus ont besoin de proximité et de simplicité". "Actuellement, ils n’ont ni l’un ni l’autre."

Pour Hélène Jacquot-Gimbal, vice-présidente de l’université Gustave-Eiffel, l’ancien modèle à été "cassé" mais "n’a pas été remplacé". "Les liens qui fonctionnaient sans y penser ne fonctionnent plus. L’État faisait à peu près tout (…). La profession globale a été extrêmement sectorisée."

Fonds d'ingénierie

Le modèle à trouver "doit se situer dans la décentralisation" et "surtout pas un retour en arrière vers des formes directes ou indirectes des subdivisions des DDE (directions départementales de l’équipement)", a déclaré en écho Patrice Vergriete, président délégué de la Fnau (Fédération nationale des agences d’urbanisme). "Il est illusoire de chercher dans le passé une solution à nos problèmes de demain, les sujets montent en complexité", a-t-il déclaré. "Les élus locaux ont faim mais n’ont pas besoin de poissons, ils ont besoin qu’on leur apprenne à pêcher, qu’on leur donne les moyens de pêcher", a illustré le maire de Dunkerque. Selon lui, l’ingénierie doit être "locale, pérenne et fondée sur l’intérêt général". Si l’ingénierie doit se "structurer financièrement", "je préférerais que l’État distribue un fonds d’ingénierie" et "promeuve l’ingénierie existante, les agences urbanisme, les CAUE, les Adil…", a-t-il préconisé. Ce qui implique selon lui de "changer la logique de l’ANCT". Cette dernière "n’a pas vocation à apporter de l’expertise mais à apporter des experts pérennes". Il l’invite donc à "faire la carte des ingénieries pérennes territoriales : agence d’urbanisme, agences départementales, CAUE…". Son idée de fonds d’ingénierie pourrait prendre la forme de "chèque ingénierie" réservé aux petites intercommunalités, situées par exemple en zone de montagne qui, pour des raisons géographiques, n’ont pas la possibilité de mutualiser davantage leurs moyens. Pour ce qui est de la définition des "critères de justice et d’équité" d’éligibilité à ce chèque, l’élu s’en remet "à la sagesse du Sénat". Il suggère enfin d’intégrer un volet ingénierie dans les CRTE (contrats de relance et de transition écologique).

À noter que sur ces deux points, l'ANCT a apporté des éléments de réponse puisqu'elle vient de confirmer la gratuité de ses prestations aux petites communes, avant d'annoncer ce 2 avril, qu'elle allait accompagner 400 collectivités dans l'élaboration de leur CRTE, "soit en mobilisant son marché d’ingénierie, soit par subvention directe" (voir encadré ci-dessous).

Le Cerema en pleine restructuration

Sur la mise en œuvre de la nouvelle organisation autour de l’ANCT, le directeur général du Cerema, Pascal Berteaud, invite à un peu de patience. "Le processus est en train de monter en puissance. Donnons-lui sa chance." Selon lui, il ne faut par ailleurs pas opposer le national et le local. Certains sujets, comme les ouvrages d’art, nécessitent une expertise internationale qui ne peut être pourvue qu’au niveau national.

Quant au Cerema, il entend se rapprocher davantage des collectivités. Confronté à une baisse continue des subventions de l’État depuis 2017, avec de nombreuses suppressions de postes à la clé, il est lui-même en pleine restructuration. "Nous souhaitons être au service des collectivités locales, beaucoup plus que nous ne le sommes actuellement, en complément avec les acteurs locaux", a indiqué sa présidente, Marie-Claude Jarrot, précisant qu’elle souhaitait voir son statut évoluer d’établissement public national à celui d’établissement public local, ce qui permettrait de faciliter le recours à ses services par les collectivités. Une fenêtre de tir se présente avec le projet de loi 4D qui, à l’article 38, permettrait au gouvernement de modifier son statut par ordonnance.

Parallèlement, le Cerema se recentre sur la performance énergétique des bâtiments, les mobilités durables, les transports, les infrastructures, l’environnement et les risques naturels, avec comme fil rouge l’adaptation au changement climatique, a développé sa présidente.

La multiplication des appels à projets est un "danger"

Pour les sénateurs, la multiplication des appels à projets est un vrai sujet de préoccupation. Un "danger" même. "On voit très bien que ces dispositifs pénalisent les petites communes", a lancé le sénateur de l’Allier Bruno Rojouan (LR). "On n’a jamais été aussi efficace que quand on est sorti de la logique d’appels à projets", a confirmé Pascal Berteaud, prenant l’exemple des contrats de transition écologique (CTE).

  • Contrat de relance et de transition écologique : l'ANCT va accompagner 400 collectivités

L'Agence nationale de la cohésion des territoires a annoncé, le 2 avril, qu'elle allait accompagner 400 collectivités dans l'élaboration de leur contrat de relance et de transition écologique (CRTE), "soit en mobilisant son marché d'ingénierie, soit par subvention directe". Cela représente pas loin de la moitié des 833 CRTE envisagés à travers le territoire. L'agence devrait ainsi "soutenir entre trois et cinq CRTE par département". La sélection des territoires se fera "par les préfets, afin de répondre de manière personnalisée aux besoins des collectivités les plus urgents". L'intervention de l'ANCT se fera de trois manières. 100 CRTE bénéficieront d'une offre d'ingénierie totalement gratuite de l'agence. Les 300 autres recevront une subvention de 20.000 euros pour financer leurs propres prestations. Enfin, pour l'ensemble des 833 CRTE, l'ANCT mettra à disposition des "ressources (modèle de cahier des charges, portraits de territoires)" et "mobilisera les acteurs publics et privés de l'ingénierie membre de son réseau de partenaire".

 

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