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Institut Montaigne : les régions, fer de lance des acteurs publics ?

Un temps déboussolées et plombées par les fusions en 2016, les régions ont su devenir des "laboratoires de la transformation publique", souligne l'Institut Montaigne dans un rapport. La crise, à laquelle elles ont su répondre rapidement, a conforté leur rôle de mise en synergie des acteurs locaux. À moins de deux semaines des élections régionales, le groupe de réflexion estime que c'est dans cette mission que se trouve précisément l'avenir des régions.

Alors qu'elles avaient déjà des habitudes "technocratiques", les régions ont vu leur fonctionnement s'alourdir au moment des fusions le 1er janvier 2016, de l'aveu même de fonctionnaires qui les emploient. "Nous sommes devenus plus gros, plus procéduriers, moins agiles", témoigne une directrice en fonction dans les services de la région Nouvelle-Aquitaine. "On se retrouve avec une énorme machine, où on a parfois du mal à savoir qui fait quoi", affirme de son côté un responsable de la région Grand Est, rencontré lui aussi par Nicolas Bauquet. Selon le directeur de la recherche et de la transformation publique de l’Institut Montaigne – auteur du rapport –, le mandat 2015-2021 a démarré avec ce constat peu glorieux. Mais, selon lui, les régions "ont pris le mammouth par les cornes", en accélérant leur "transformation interne".

En complément du siège du conseil régional (Strasbourg) et des hôtels de région (Metz et Châlons-en-Champagne), 12 maisons de la région couvrent les 57.000 km² du Grand Est. La région a aussi créé une école de management interne et s'est convertie au design de service. De son côté, l'Île-de-France a transféré son siège, du cœur de Paris vers la ville de Saint-Ouen, située en périphérie, où elle a fait le choix de l'open space. Un symbole qui marque la volonté de la région de changer ses méthodes de travail. La région a investi également massivement dans les équipements numériques de ses personnels et le télétravail.

"Révolution managériale"

En conduisant notamment à déployer largement le télétravail, la crise sanitaire a accéléré les processus de changement qui étaient en cours dans les administrations régionales. Nicolas Bauquet évoque une "révolution managériale profonde, basée sur la confiance, la responsabilisation et une approche par objectifs." Le Covid-19 a bousculé bien des choses : "Des hiérarchies et des organisations gravées dans le marbre sont soudain devenues obsolètes." La crise a aussi été "un tournant dans la lutte pour installer une culture de service au public dans les administrations régionales et achever le passage d’une culture du schéma à une culture du service à l’usager".

En cette période inédite, les régions ont fait preuve de réactivité et d'inventivité. C'est ce que mettent en lumière certaines initiatives, comme le transfert de malades du Grand Est vers les États limitrophes – une solution qui doit beaucoup au président, Jean Rottner – ou l'organisation en Auvergne-Rhône-Alpes d'une campagne de tests antigéniques avant les fêtes de la fin de l'année 2020, qui a touché 800.000 personnes. Initiée par la région, la formation d'un groupe WhatsApp avec les 1.200 maires d’Île-de-France, pour créer une boucle d’échanges directs et informels, était moins spectaculaire. Mais elle a été "largement utilisée tout au long de la crise, sur l’ensemble des sujets d’intérêt commun".

"Maison commune"

Le succès de telles opérations et, plus généralement, la présence des régions dans la gestion de la crise, notamment aux côtés des entreprises, ont indéniablement conforté leur légitimité à agir, et ce vis-à-vis de l'ensemble de leurs partenaires (entreprises, État, collectivités territoriales). La région a assurément gagné des galons, son leadership s'est accru. Mais celui-ci ne s'est pas exercé de manière traditionnelle, via la légitimité démocratique, l'exercice de compétences et l'attribution de subventions. La reconnaissance que les acteurs locaux ont accordée à la région est venue de sa capacité à fédérer, à constituer des réseaux, à être "un point de ralliement".

C'est dans l'affirmation de ce rôle de "plate-forme", ou encore de "maison commune" que se trouve l'enjeu des prochains mandats régionaux, selon l'auteur. Qui, au passage doute de l'utilité des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) mises en place par la loi Maptam de janvier 2014, et plus largement de "dispositifs formels et codifiés", pour aller dans cette direction. Dans cet objectif, "la transformation interne de l’administration régionale" et "la révolution des données" lui paraissent indispensables.

État distant

Pour réussir ce défi, la région peut compter sur des équipes de direction "compétentes" et diverses, provenant de l'État, mais aussi parfois du monde de la recherche universitaire. Des "nouveaux talents" attirés parfois par le sentiment qu'ils pourront "créer, inventer, écrire une nouvelle histoire". Un bon point. Mais les régions devront faire face à une défiance persistante de la part de hauts fonctionnaires d'un État qui "s'est parisianisé", ce dont témoignent plusieurs cadres régionaux rencontrés par Nicolas Bauquet.

"Même lorsqu’un accord politique intervient au plus haut niveau, les hauts fonctionnaires régionaux doivent s’user dans de longues batailles administratives pour en obtenir l’exécution", fait-il remarquer. "Après l’accord intervenu à la fin du mois de juillet 2020 entre le Premier ministre et les présidents de région, le plus dur commence", raconte par exemple le directeur général des services d'une région. En ajoutant : "Il nous fallait remplir des dossiers de subvention pour simplement recevoir l’argent que l’État avait décidé de nous verser (…). Cela a été six mois de réunions avec les cabinets ministériels (…). Il y a vraiment une absence de volonté de travailler ensemble, et derrière, il y a toujours le sentiment que l'État fait mieux que les régions."

Mais si le dialogue entre l'État et les régions doit vraiment progresser, ces dernières devront apprendre à penser et agir sans l'État, souligne Nicolas Bauquet. "La force des régions viendra, et vient déjà, de leur capacité à avancer sans attendre, et accompagner la société", conclut-il.