Isolement des personnes fragiles : les premières mesures d'un plan de mobilisation nationale

Dans le contexte de la crise sanitaire et du confinement, l'isolement de personnes âgées et fragiles est amplifié et, si les initiatives solidaires se sont multipliées ces dernières semaines, le risque est qu'une partie de ces personnes échappent aux radars des acteurs. Missionné sur le sujet par le ministre des Solidarités et de la Santé dès le 24 mars, l'ancien président de département Jérôme Guedj a remis ses propositions. Olivier Véran en retient d'ores et déjà plusieurs, dont le fait de faciliter le partage de fichiers (APA, PCH en particulier) entre départements et communes pour suivre de façon plus exhaustive les personnes fragiles. Au cœur du dispositif : le contact téléphonique et la coordination de toutes les bonnes volontés par le maire ou le CCAS.      

Comment lutter contre l'isolement des personnes vulnérables à l'heure de la crise sanitaire que nous traversons ? Principalement avec une arme inventée il y a près de 150 ans : le téléphone. Suite à la remise du rapport de Jérôme Guedj, ancien président du département de l'Essonne, missionné le 24 mars 2020 sur la lutte contre l'isolement des personnes âgées et fragiles en période de confinement, le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran a annoncé le 8 avril les premières mesures d'un "plan de mobilisation nationale" en la matière.

Mis en place dès le 20 mars 2020 par la Croix-Rouge, le numéro vert (09 70 28 30 00) dédié à l'écoute des personnes fragiles isolées sera en premier lieu "[renforcé] d'ici la fin de cette semaine", selon le communique du ministère. Diffusée largement par une campagne de communication, la ligne mobilisera de nouveaux écoutants mis à disposition notamment par des sociétés d'assistance et des mutuelles. Selon le rapport, ce numéro aura trois fonctions : une écoute indifférenciée, un soutien psychologique et une orientation sociale vers des lignes spécialisées (France Alzheimer par exemple), vers la conciergerie solidaire de la Croix-Rouge ou des équipes citoyennes locales, vers "des réponses de proximité quand un besoin matériel est exprimé". Réponses locales qui seraient coordonnées par une "cellule de coopération" animée notamment par les centres communaux d'action sociale (CCAS).

Sécuriser juridiquement le transfert des fichiers APA et PCH aux communes

Alors que de nombreuses collectivités se sont rapidement mises en ordre de marche pour téléphoner régulièrement aux personnes âgées et fragiles pendant le confinement, le gouvernement appelle communes et départements à généraliser cette pratique en se coordonnant. Utilisé notamment par les CCAS, le "registre canicule" est jugé "partiel" car "déclaratif et volontaire", et ne recoupant que peu les fichiers de bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH) dont disposent les départements, la caisse nationale d'assurance vieillesse (pour les personnes âgées en GIR 5 et 6 bénéficiaires de son action sociale) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). À ces catégories de personnes fragiles, le rapport ajoute les majeurs protégés.

"Après consultation de l'Assemblée des départements de France", le gouvernement "prendra des dispositions pour faciliter le partage d'informations et la coordination entre collectivités locales." Une circulaire pourrait prochainement sécuriser les collectivités – les départements notamment – dans ce partage de fichiers. Dans le contexte d'état d'urgence sanitaire, l'option mise en avant dans le rapport serait "le transfert aux communes et CCAS de ces fichiers, à fin de suivi renforcé durant la période épidémique et avec destruction des fichiers à l’issue".

Un "plan d'action municipal" et une "cellule de coopération territoriale" pour coordonner l'action et mobiliser les ressources

En effet, le maire qui est "en contact direct avec l’ensemble des acteurs de proximité" est le véritable "ensemblier du maintien du lien social et de la réponse aux enjeux de fragilité de nos aînés", peut-on lire dans le rapport. Ce dernier propose donc la mise en place d'un "plan d'action municipal à partir des dix besoins essentiels des personnes âgées et fragiles" (voir notre encadré ci-dessous). Le maire ou le CCAS est également invité à coordonner une "cellule de coopération territoriale" s'appuyant sur tous les acteurs et ressources locales – dont les dispositifs de coordination gérontologique type Clic, les associations ou encore les équipes citoyennes Monalisa. "La cellule se signalera auprès des médecins de ville et pharmacies, des bailleurs sociaux et des gardiens d’immeuble, des commerçants, du tissu associatif local, etc."

En termes de ressources bénévoles pour téléphoner ou rendre des services, le ministère des Solidarités rappelle que 30.000 jeunes en service civique se mettent à la disposition de leur mairie et que 230.000 personnes se sont inscrites sur la plateforme jeveuxaider.gouv.fr – une partie de ces volontaires ne se sont pas vu attribuer de mission à ce jour. Pour le repérage des plus fragiles, il s'agit également de mobiliser les 70.000 gardiens d'immeubles et les bailleurs sociaux et privés, alors que certains tels que le groupe Gambetta, ont pris l'initiative d'appeler l'ensemble de leurs résidents de plus de 70 ans.

Mise à disposition d'outils et compilation de ressources et bonnes pratiques

Les "bonnes pratiques" et "initiatives locales" en matière de lutte contre l'isolement seront prochainement recensées dans une plateforme portée par le ministère des Solidarités et de la Santé. Ce dernier mettra également à disposition des "outils très concrets" à destination des communes et des départements, tels qu'une "grille d’évaluation téléphonique de la fragilité", dont les bases figurent dans le rapport. On y trouve aussi un annuaire des outils et solutions offertes par les acteurs de la Silver économie pour lutter contre l'isolement des personnes âgées vivant à domicile ou en établissement. Parmi les thèmes abordés à travers ces solutions : l'activité physique, culturelle et cognitive, l'aide aux aidants, l'alimentation, l'aide au domicile. Autant de "leviers" identifiés avec une trentaine d'experts, élus et acteurs de terrain mobilisés pour ce rapport.

Plusieurs propositions portent aussi sur la nécessité de "rompre l'isolement en Ehpad", dans le contexte de l'interdiction des visites et du confinement en chambre. Jérôme Guedj plaide pour "des aménagements au cas par cas" pour permettre notamment, lorsque les équipements de protection le permettent et sur décision des équipes de l'établissement, la présence d'un proche dans les situations de fin de vie. Des adaptations que devrait faciliter la généralisation du dépistage dans les Ehpad (voir notre article du 8 avril 2020). Outre l'utilisation des outils numériques, suggestion est faite de "jumeler chaque Ehpad de France avec une école", pour que les enfants envoient des dessins et lettres aux résidents. Un projet "délicat, mais pas impossible" à lancer dans le contexte actuel ; "cet exemple souligne l’importance de développer ces initiatives intergénérationnelles en amont", ajoute l'auteur du rapport. ?

Au-delà des propositions directement opérationnelles en période de crise, l'accent est ainsi mis au fil du rapport sur la nécessité de prévenir et de mettre en place une véritable politique de lien vis-à-vis des personnes fragiles et isolées, même en dehors de toute situation exceptionnelle. Toutes les initiatives mises en place en amont donnent en effet une longueur d'avance aux personnes concernées, lorsque la crise advient et que les sujets de préoccupation se multiplient.

"La mission confiée à Jérôme Guedj se poursuivra pour décliner les mesures retenues, entraîner la société, diffuser les bonnes pratiques", précise le ministère des Solidarités. Cela en articulation avec les dispositifs portés en direction plus spécifiquement des personnes en situation de handicap (voir notre article du 6 avril 2020). Si l'"enjeu immédiat est bien de limiter les conséquences délétères de ce nécessaire confinement pour les personnes âgées et fragiles", l'auteur du rapport espère que ces formes de solidarité qui naissent et se consolident dans l'urgence "perdurent et innervent la société hors période de crise".

Les "dix besoins essentiels des personnes âgées et fragiles"

Ces "dix besoins essentiels" sont présentés dans le rapport de Jérôme Guedj comme devant servir de cadre général à l'élaboration d'un plan de mobilisation à l'échelon municipal :

- faire les courses ; pouvoir se nourrir?;

- prendre soin de soi et se soigner ;?

- parler avec autrui ;?

- pouvoir sortir et maintenir une activité physique ;

- être informé et écouté ;

- retirer de l’argent ;?

- se prémunir des arnaques ;?

- s’occuper et se cultiver ;?

- organiser sa vie quotidienne (poubelles, courrier, animal de compagnie, petit bricolage) ;

- maintenir des rituels symboliques ou spirituels.

 

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