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Logement - La commission des finances de l'Assemblée fustige le "Pinel", un dispositif "coûteux" à l'efficacité "incertaine"

Recentrage tardif, coût exhorbitant, impact sur l'offre locative difficile à apprécier, effet régulateur sur les loyers non avéré, contrôle insuffisant de l'administration... le dispositif Pinel instauré en 2014 pour favoriser l'investissement locatif n'a assurément pas les faveurs du rapport d'application de la loi fiscale (Ralf) rédigé par les députés Joël Giraud et Cendra Motin. Le dispositif PTZ, lui, s'en sort bien mieux.

 

Dans leur rapport d'application de la loi fiscale (Ralf) - fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale -, Joël Giraud, député (LaREM) des Hautes-Alpes et rapporteur général de la commission des finances, et Cendra Motin, députée (LaREM) de l'Isère, se penchent sur de nombreux dispositifs fiscaux. Ils ne pouvaient donc pas manquer de s'intéresser au "Pinel", ce dispositif de réduction d'impôt en faveur de l'investissement locatif intermédiaire instauré en 2014 et portant le nom de la ministre du Logement de l'époque.
Un dispositif qui, comme tous ses prédécesseurs (Périssol, Besson, Robien, Borloo, Scellier, Duflot...), fait l'objet de critiques récurrentes, notamment de la part de la Cour des comptes (voir nos articles ci-dessous des 10 et 19 avril 2018). Le Ralf 2018 ne fait pas exception. Joël Giraud et Cendra Motin estiment que le Pinel est "un dispositif coûteux, dont l'efficacité n'est pas certaine".

Le dernier maillon d'une chaîne ininterrompue depuis trente ans

Après avoir souligné que le Pinel est "un avantage bien assis dans le paysage fiscal français" - dans la mesure où il est le dernier maillon en date d'une chaîne ininterrompue de dispositifs similaires depuis trente ans -, le rapport rappelle la finalité de cette réduction d'impôt : accroître l'offre locative intermédiaire dans le parc privé, en consentant un avantage fiscal en contrepartie d'un engagement de louer le bien acquis pendant une durée minimale de six à neuf ans à des ménages répondant à certaines conditions sociales et avec des loyers plafonnés. Le taux de la réduction d'impôt varie en fonction de la durée d'engagement sur la mise en location (de 12% à 29% pour le taux initial, avec des conditions plus favorables pour les investissements outre-mer).

Des investisseurs propriétaires de logements impossibles à louer

Après des abus de promoteurs et intermédiaires financiers, y compris au détriment des investisseurs qui se retrouvaient propriétaires de logements impossibles à louer dans des zones ne présentant aucun besoin en la matière, le Pinel avait été recentré sur les zones les plus tendues (A bis, A et B1). Des dérogations étaient toutefois possibles - sur agrément du préfet de région, après avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement - en zones B2 et C. Un décret du 4 mai 2017, pris juste avant le second tour des dernières élections présidentielles, a toutefois assoupli plus largement les possibilités de mise en œuvre du Pinel dans les communes de zone C comptant plus de 5.000 habitants et présentant "des besoins particuliers en logement locatif liés à une dynamique démographique ou économique particulière" (voir notre article ci-dessous du 9 mai 2017).

Un coût générationnel de sept milliards d'euros sur 2019-2035

Le coût total de la prorogation pour la période 2019-2035 (coût générationnel tenant compte de la durée de la déduction fiscale) est évalué par la direction de la législation fiscale (DLF) de Bercy à 6,9 milliards d'euros, avec une apogée en 2024 (816 millions d'euros), avant une diminution progressive jusqu'à extinction en 2035 (12 millions d'euros).
Le rapport prend soin de préciser "qu'à ces estimations totales, s'ajoutent le coût associé aux dispositions transitoires permettant de maintenir l'éligibilité à la réduction d'impôt des investissements dans les communes situées en zones B2 et C, ainsi que celui des investissements réalisés dans des communes couvertes par un CRSD" (contrat de redynamisation de site de défense).
L'ensemble des coûts s'expliquent par une rapide progression des foyers déclarant une réduction d'impôt "Pinel", passés de moins de 5.000 en 2014 à plus de 72.000 en 2016.

"L'immense majorité des bénéficiaires" relève des déciles supérieurs

Côté social, le rapport constate que "l'immense majorité des bénéficiaires se situe dans les déciles supérieurs", ce qui n'est pas vraiment étonnant s'agissant d'investissements locatifs. Plus de 70% des foyers fiscaux bénéficiaires ont ainsi un revenu fiscal de référence (RFR) compris entre 53.000 et 60.000 euros.
Enfin, en termes d'impact du dispositif sur l'offre locative, les rapporteurs estiment que le Pinel présente "une efficacité difficile à apprécier". Les "réservations à investisseurs", selon les chiffres fournis par la FPI (Fédération des promoteurs immobiliers), sont ainsi passées de 34.307 en 2013 à 67.284 en 2016, mais sans qu'il soit possible de déterminer les motivations des investisseurs et le rôle du Pinel. Elles stagnent en revanche en 2017 (69.508 réservations à investisseurs, selon la FPI), alors qu'il s'agit pourtant d'une année de très net redressement de la production de logements.

Les loyers maîtrisés laissent à désirer...

Les effets modérateurs des dispositifs de type Pinel sur les loyers de marché ne sont pas non plus avérés et la Cour des comptes a d'ailleurs relevé certaines situations critiques. Ainsi, dans certaines zones, il a été constaté que les loyers pourtant plafonnés relevant du Pinel étaient respectivement de l'ordre de 10 à 20% et de 5 à 15% plus élevés que les loyers de marché en zone B1 et en zone B2...
Enfin, le rapport s'étonne du "contrôle insuffisant" du Pinel par l'administration. Selon le Ralf, "les données informatiques détenues par l'administration ne sont pas exploitées et ne font que rarement l'objet de contrôles fiscaux".

La suppression du Pinel n'est pas à l'ordre du jour... pour l'instant

Pour autant, le rapporteur général de la commission des finances ne préconise pas une suppression du dispositif, mais se contente de demander un renforcement des contrôles de cohérence et un rétablissement de l'interdiction, pour le contribuable, de louer son bien à l'un de ses ascendants ou descendants, "étant donné que l'objectif d'accès au logement semble peu compatible avec le fait que ce soient des contribuables aux revenus les plus élevés qui bénéficient des réductions d'impôt".
Au tout début de ce quinquennat, le gouvernement n'avait pas exclu une remise en cause, voire une suppression pure et simple, du Pinel, ce qui avait aussitôt suscité une levée de boucliers de la part des promoteurs et des élus locaux (voir notre article ci-dessous du 21 juillet 2017). Pour sa part, dans sa réponse au référé de la Cour des comptes, Edouard Philippe indiquait que "le gouvernement a décidé de le reconduire [le Pinel, ndlr] pour quatre ans dans les zones A bis, A et B1", mais que cette décision "s'inscrit dans le cadre d'une démarche d'évaluation précise de cette dépense fiscale qui doit permettre d'envisager, le cas échéant, de nouvelles réformes avant la fin du quinquennat".
 

Satisfecit pour le prêt à taux zéro
Le Ralf est en revanche beaucoup plus indulgent pour le prêt à taux zéro (PTZ). Ce prêt ne portant pas intérêt, consenti par les établissements de crédits et les sociétés de financement (et compensé par l'État sous forme d'une réduction d'IS) en faveur des ménages pour contribuer au financement de la primo-accession à la propriété, devait s'éteindre au 31 décembre 2018. Il a finalement - et sans surprise - été prolongé pour quatre années supplémentaires par la loi de finances pour 2018. L'aide a toutefois été recentrée sur les zones les plus tendues en matière de logement (voir nos articles ci-dessous du 14 septembre 2017 et du 4 janvier 2018) et, après quelques hésitations, le dispositif a été maintenu dans le cas de l'accession dans l'ancien (22% des PTZ en 2017).
Malgré une dépense fiscale conséquente (935 millions d'euros en 2016, 776 millions en 2017 et 951 millions estimés en 2018 pour environ 108.000 PTZ attendus), les rapporteurs portent un jugement positif sur ce dispositif, en constatant notamment que "les PTZ concernent principalement les employés, ouvriers et professions intermédiaires, qui constituent 81,7% des bénéficiaires en 2017". Autre signe de cette vocation sociale : au premier trimestre 2018, le revenu moyen d'un ménage bénéficiaire d'un PTZ était de 24 723 euros annuels.
Les rapporteurs se montrent également favorables au recentrage sur les zones les plus tendues, une mesure jugée nécessaire lorsqu'on sait qu'en 2017, les PTZ accordés dans les zones A et B - les plus tendues - étaient minoritaires (voir notre article ci-dessous du 20 novembre 2017).

 

Références : Assemblée nationale, rapport d'information fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur l'application des mesures fiscales (enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 18 juillet 2018).