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La réforme du foncier agricole risque une nouvelle mise en jachère

Le ministère de l'Agriculture écarte l'idée d'un projet de loi sur le foncier agricole d'ici la fin du quinquennat. Les deux députés de la mission parlementaire qui a planché sur le sujet tout au long de l'année 2018 divergent eux-mêmes sur l'opportunité d'une loi. 

La perspective d’une grande loi sur le foncier agricole, réclamée par de nombreuses voix, dont celle de la Fédération nationale des Safer, s’éloigne. Contacté par Localtis, le ministère de l’Agriculture indique que rien n’est prévu en ce sens d’ici la fin du quinquennat. Or l’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Travert avait pourtant ouvert la porte, fin  2017, à "une rénovation des outils de régulation du foncier agricole". Il reste donc à s’en remettre à l’initiative parlementaire et donc à l’Assemblée puisqu'une mission parlementaire a planché presque toute l’année 2018 sur le sujet. Présidée par Jean-Bernard Sempastous (LREM, Hautes-Pyrénées) avec comme rapporteurs Anne-Laurence Petel (LREM, Bouches-du-Rhône) et Dominique Potier (Nouvelle Gauche, Meurthe-et-Moselle), elle a remis son rapport le 4 décembre dernier, dans une relative discrétion. La terre est "un bien commun hors du commun", soulignent les deux députés. Ils se retrouvent sur un certain nombre de propositions communes (mettre en place un indicateur de qualité des sols dans les Scot et les Plui, couvrir l’intégralité du territoire en Scot et Plui d’ici à 2025, recenser la totalité des transactions foncières, réaliser un inventaire des friches agricoles, limiter la construction de parkings aériens…), mais ils divergent sur bon nombre d’entre elles et sur l’opportunité même d’une loi. Anne-Laurence Petel, qui préfère s’en remettre à l’intelligence territoriale, n’est pas favorable à une loi "qui s’applique de façon homogène". À l’inverse de Dominique Potier qui avait déjà tenté, en 2017, d’améliorer les outils de régulation, alors que la précédente réforme gouvernementale de 2014 était restée au milieu du gué. Le texte du député, qui permettait de mieux contrôler les cessions de parts de sociétés agricoles, avait été en partie retoqué par le Conseil constitutionnel. 

"Assauts sans précédents"

Les deux parlementaires partagent néanmoins le constat. Depuis plusieurs années, le foncier agricole est victime d’"assauts sans précédent", alertent-ils : "gaspillage au profit de l’urbanisation, pollutions diverses ou simple rétention foncière des propriétaires de parcelles", ces derniers espérant au gré d’un changement d’affectation une plus-value importante.
C’est "l’intuition d’un enjeu grave pour la planète, pour la souveraineté alimentaire de la France et pour l’autonomie [des] exploitants agricoles" qui  a guidé leurs travaux. Le "fait déclencheur" a été "le rachat de 1.700 hectares de terres arables en 2016 dans le département de l’Indre par un consortium chinois", indiquent-ils. L’affaire, qui avait fait grand bruit, "a mis la lumière sur le risque d’accaparement des terres agricoles par des sociétés extérieures au monde agricole, qu’elles soient françaises ou étrangères", expliquent les rapporteurs. Année après année, le Fédération nationale des Safer (FnSafer) n’a de cessé d’alerter sur ce phénomène d’accaparement des terres aux mains de grosses exploitations qui se combine à celui de l’artificialisation des sols. C’est-à-dire l’étalement et l’émiettement urbains sur des terres arables souvent de très bonne qualité, souvent pour construire des lotissements. Le phénomène est bien connu et pourtant, soulignent les rapporteurs, il est encore sujet à discussion. Deux outils permettent de le mesurer mais ils ne parviennent pas aux mêmes résultats. Corine Land Cover estime la croissance de l’artificialisation à 16.000 hectares par an entre 2006 et 2012, quand Teruti-Lucas calcule 61.200 hectares par an entre 2006 et 2014. Soit la disparition de la surface agricole d’un département moyen tous les 5 ou 6 ans. Si la manière de calculer diffère, la tendance reste celle d’une forte progression avec des conséquences irréversibles sur les espaces naturels et la biodiversité. La France "doit impérativement se doter d’un outil de mesure", insistent les deux députés, alors que le foncier agricole subit une pression très forte : une terre agricole rendue constructible voit sa valeur multipliée par 55 ! Un observatoire a pourtant bien été créé : l’Observatoire national de consommation des espaces agricoles (Oncea) transformé en 2016 en Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers (Oenaf). Il est resté une coquille à moitié vide. Que l’on en juge : cet observatoire "n’a tenu que trois réunions en séance plénière en 2013, 2014 et 2016 et deux réunions de son comité technique en 2016 et 2017". Et sa présidence est vacante depuis 2017.

Un principe supérieur de "neutralité de dégradation des terres"

Les rapporteurs constatent un "empilement d’outils" aux effets insuffisamment protecteurs. C’est le cas des 53 ZAP (zones agricoles protégées), créées à partir de 1999, et des 23 Paen (protection des espaces agricoles et naturels périurbains), nés en 2005, qui peuvent "avoir pour effet pervers de déprécier les autres terres agricoles et de servir de caution à des projets d’artificialisation d’envergure". À ce stade, les Sraddet (schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) créés par la loi Notr de 2015 demeurent des "documents généralistes, à tiroirs, qui ne porteront une exigence en matière de protection des espaces que s’il y a une volonté régionale". Les Scot et les Plui sont des documents d’urbanisme "qui contribuent à la protection des espaces mais leur création est récente et leur mise en œuvre longue". Les rapporteurs réclament leur généralisation d’ici à 2025.
Dominique Potier défend de surcroît "un principe supérieur de neutralité en termes de dégradation des terres", sur le modèle de la neutralité carbone. Principe qui n’est pas sans rappeler celui d’"artificialisation nette" défendu par l’ancien ministre de l’Écologie Nicolas Hulot lors de la présentation du plan Biodiversité, le 4 juillet 2018, et qui reste à mettre en pratique. Le député invite ainsi à "changer de paradigme" et à faire de la zone agricole protégée non plus l’exception mais la règle. Il propose ainsi d’inscrire le sol à l’article L. 110-1 du code de l’environnement afin qu’il soit reconnu "élément du patrimoine commun de la nation".

Concentration des terres

L’autre préoccupation de la mission est la question du partage du foncier. Avec, en filigrane, la concentration des terres dans un nombre de plus en plus restreint de mains. "Entre 2010 et 2016, l’augmentation de la taille des exploitations (+ 11 %) a été inversement proportionnelle à la diminution de leur nombre (- 12 %)", soulignent les députés. Le phénomène passe de plus en plus souvent par la forme sociétaire qui représente désormais 60% de la surface agricole utile contre 2% seulement en 1970. Or les transactions par le biais de sociétés (ventes de parts) échappent le plus souvent aux Safer et il est parfois difficile de savoir qui se cache derrière de véritables holdings. "Sur la période allant du 1er mars au 31 décembre 2016, sur 5.200 cessions de parts enregistrées par les Safer, seulement 200 concernent des cessions totales, le reste étant de cessions partielles. Ainsi, si le droit de préemption de Safer ne devait concerner que les cessions totales de parts de société, il toucherait moins de 4 % des cessions." Une imperfection que Dominique Potier avait tenté de corriger dans sa proposition de loi. Il revient à la charge et propose ici de "lever le verrou constitutionnel pour étendre le droit de préemption des Safer aux cessions partielles de parts sociales de sociétés dont l’objet est agricole". Une agriculture "aux mains d’investisseurs risque de conduire à l’éviction des exploitants des processus de décision avec un risque non moindre de substitution des agriculteurs de métier par des salariés", met-il en garde. Il ajoute un risque de standardisation des productions. "Les surfaces agricoles perdant en diversité, les territoires ruraux perdent aussi en attractivité car l’industrie agroalimentaire peut moins valoriser les productions." "Je suis très attaché à ce que nous puissions accroître le contrôle, la maîtrise des terres agricoles et du rachat des terres agricoles", avait déclaré le président de la République, Emmanuel Macron, le 22 février devant les agriculteurs. Le débat national lui en offre l'occasion.

 

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