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L'avion décarboné, une opportunité pour "le désenclavement territorial"

Les régions ont un grand rôle à jouer dans la structuration d’une filière aéronautique décarbonée, souligne un rapport parlementaire. À moyen terme, l’avion vert offrira des opportunités pour améliorer les interconnexions régionales et désenclaver les territoires.

Durement frappée par la crise et l’arrêt du trafic aérien, la filière aéronautique peut rebondir grâce "à une accélération de sa décarbonation", estiment les députés Jean-Luc Lagleize (Modem, Haute-Garonne) et Sylvia Pinel (Parti radical de gauche, Tarn-et-Garonne), dans un rapport présenté devant la commission des affaires économiques, mercredi 12 janvier. D’autant que l'avion doit faire face à un autre défi : l’impact environnemental du transport aérien, et une forme d'"aerobashing", pour reprendre le terme des députés, appartenant tous deux à l’une des principales régions aéronautiques françaises, l’Occitanie.

Fin 2020, la filière représentait 7% du total des emplois industriels en France (691.000 salariés, dont 263 000 dédiés à l’activité aérospatiale). Elle constitue le principal "moteur du commerce extérieur français", avec une balance commerciale en souffrance depuis 2005. 30% des emplois se situent en Île-de-France, 27% en Occitanie et 10% en Nouvelle-Aquitaine. Seulement les rapporteurs sont très inquiets de la "fragilisation inédite" de la filière depuis l’apparition de la crise sanitaire. L’emploi y a chuté de 8% en 2020, quatre fois plus vite que pour l’ensemble de l’économie hexagonale. "Le réchauffement climatique interroge le rapport de notre société à l’aérien", a souligné Jean-Luc Lagleize, lors de la présentation de ce rapport "sur l’avenir de ce secteur aéronautique en France" qui formule 46 propositions pour relever les défis à venir. Mais lui en est certain : "L’aéronautique fait toujours rêver." "C’est le progrès technologique et les capacités d’innovation qui permettront d’accélérer la transition du secteur vers une aviation décarbonée", soulignent les rapporteurs.

Améliorer les interconnexions régionales

À court terme, le renouvellement des flottes (avec incitations fiscales), les carburants alternatifs (SAF) et l’optimisation de la gestion des flux en vol (vols en formation par exemple) et au sol peuvent permettre de nettes améliorations. À cet égard, les aéronefs de dernière génération garantissent des gains de carburants et d’émissions de CO2 de 15 à 25%. Le rapport suggère aussi d’introduire des critères environnementaux dans les appels d’offres pour les délégations de service public auxquelles sont soumises certaines dessertes comme Paris-Rodez ou Limoges-Lyon. Alors que la loi Climat et Résilience (article 145) interdit, à compter du 31 mars 2022, les services réguliers de transport aérien public de passagers en France en avion lorsqu’il existe une alternative en train de moins de 2h30, les députés demandent la publication "dans les meilleurs délais" de son décret d'application, afin de connaître les modalités de dérogation à cette règle.
À moyen terme, les députés portent leurs espoirs sur l’avion électrique ou à hydrogène. L’avion électrique "constitue une opportunité pour améliorer les interconnexions régionales". Ces avions "d’une capacité variant généralement de deux à une vingtaine de places sur les modèles en cours de développement" seraient réservés "plutôt à de courtes distances". Plusieurs modèles sont en cours de développement en France, dont celui d’Aura Aéro baptisé ERA, "un avion électrique de 19 places, qui devrait effectuer son premier vol en 2024". Autre exemple cité dans le rapport : VoltAéro qui travaille "sur un modèle électrique hybride de 4 à 10 places, appelé Cassio". Avions Mauboussin "travaille sur une motorisation hybride 'évolutive vers l’hydrogène' avec son modèle Zéphyr"…

Dernier kilomètre

L’avion électrique n’a pas vocation à parcourir de longues distances mais il "pourra contribuer au désenclavement territorial", estiment les députés. Il peut aussi être pensé comme un moyen de transport du "dernier kilomètre". Il donne la possibilité de s’approcher plus facilement des zones urbanisées que les gros porteurs, "grâce à des nuisances sonores et une pollution réduites". "Plusieurs acteurs ont relevé que l’aviation générale, l’aviation d’affaires ou encore les écoles de pilotage pouvaient constituer des terrains d’expérimentation intéressants pour les avions électriques, tout comme pour les avions à hydrogène", soulignent les rapporteurs.
Mais les deux députés estiment que les soutiens de l’État ne sont pas assez orientés en ce sens. Même Bpifrance reconnaît que "ces acteurs ne trouvent pas de financement autre que celui des conseils régionaux". À cet égard, la région Occitanie se montre particulièrement entreprenante, notamment à travers un appel à manifestations d’intérêt mené en partenariat avec Aerospace Valley, baptisé Maele (voir notre article du 13 octobre 2021).
L’hydrogène constitue l’autre solution d’avenir, il "peut être un atout déterminant pour les vols régionaux et continentaux". Mais il pose des contraintes très lourdes (notamment pour le stockage dans des réservoirs cryogéniques à -253°C) et les avis restent très "contrastés sur la possibilité de mettre en service un tel avion d’ici 2035".

Un champion national de formation

Quoi qu’il en soit, les députés demandent de réfléchir dès à présent à un travail de certification et d’adapter le cadre juridique au plus vite afin de démarrer les appels d’offres. Ils mettent en avant la question de l’approvisionnement et préconisent une cartographie européenne de l’hydrogène "pour recenser les projets existants et décider de l’emplacement stratégique de hubs, notamment par rapport aux usages dans le secteur aérien". Là encore les régions sont à la manœuvre pour soutenir le déploiement de hubs à hydrogène dans le cadre de partenariats… Le plan France 2030 est amené à accroître les investissements en R&D.
À côté des besoins de financements, les députés alertent sur les enjeux de formation et appellent à un recensement national des métiers en tension dans la filière. Ils soutiennent la création d’un champion national de formation aux métiers de l’aéronautique et de l’aérien à Toulouse, regroupant l’ISAE-Supaéro, l’Enac, l’Onera et l’IRT Saint-Exupéry, qui "pourrait permettre de s’imposer définitivement dans la compétition mondiale en la matière".