Archives

Le big data territorial, entre promesses et désillusions

Le salon Smart grid / Smart city organisé début octobre à Paris consacrait plusieurs conférences à l'internet des objets (IoT, internet of things) dans les territoires. Si les perspectives ouvertes par ces technologies suscitent l'intérêt, les projets concrets sont encore rares, faute de technologies matures et, surtout, de données.

La présence exclusive de prestataires et l'absence de collectivités aux tables rondes consacrées à la smart city début octobre dans le cadre du salon Smart grid / Smart pouvaient avoir valeur de signal. Aujourd'hui, le big data et ses déclinaisons - intelligence artificielle, IoT (internet des objets), capteurs et autres "data lakes"… - restent peu déployés dans les territoires, le sujet étant davantage porté par l'offre de "solutions" plutôt que par les collectivités elles-mêmes.

Créer des modèles prédictifs

Lors d'une session consacrée à l'intelligence artificielle dans les territoires, les intervenants ont du reste centré leur propos sur les potentiels, faute de cas documentés. Le cas de la "maintenance prédictive" d'équipements comme les chaudières ou les infrastructures urbaines a par exemple été développé. Grâce aux données collectées par des capteurs (humidité, température, CO2…) et aux capacités d'apprentissage des algorithmes, ceux-ci permettent de détecter les signaux annonciateurs de la panne. "Les gains peuvent être très importants puisqu'aujourd'hui on répare soit quand ça ne marche plus - ce qui génère un arrêt du service et donc des coûts - soit par anticipation, alors que la pièce fonctionne encore", a illustré  le représentant de la société Necio.

L'IA peut aussi se nourrir de l'open data, a fait remarquer un autre intervenant en présentant le projet NaonedIA. Ce collectif de chercheurs et d'entreprises nantaises soutenu par la métropole travaille en effet sur une IA éthique et profitable à tous. Une démonstration de faisabilité (POC) a ainsi été élaborée en utilisant différentes sources open data croisées avec les données fournies par les utilisateurs pour estimer en quelques clics un bien immobilier sur la métropole.

Dans ce même esprit de "data sobriété", la société Entropy propose des études de mobilité basées sur des modèles mathématiques évitant de coûteuses enquêtes terrain. La société a en effet créé des archétypes comportementaux à partir de gisements de données existants (origine-destination, comptage routier, données spatiales et socio-démographiques…). "Dès lors ces modèles peuvent être répliqués à d'autres territoires pour réaliser des simulations avec peu de données entrantes car les comportements des usagers varient peu d'un territoire à l'autre", affirme son fondateur. Des méthodes et schémas qui fonctionnent aussi avec le stationnement pour calculer le taux de remplissage d'un parking ou encore sur les prévisions de circulation.

La plateforme de données comme préalable

Pourquoi y a-t-il aujourd'hui si peu d'usages ? Sans doute parce que l'IA génère encore beaucoup de fantasmes. Certains la voit menaçante pour l'emploi, générant des freins au lancement des projets, alors qu'elle ne constitue, au dire des intervenants, qu'une aide à la décision des agents. D'autres estiment qu'elle manque encore singulièrement… d'intelligence. Et de rappeler qu'il faut des millions d'images de chats pour qu'une IA reconnaisse automatiquement un félin quand un enfant de 4 ans a besoin de voir deux fois l'animal pour l'intégrer, une fois pour toute, à son bestiaire… Si le terme algorithme apparaît plus approprié que celui d'IA, une chose est certaine : ces technologies ne peuvent fonctionner sans données pertinentes. C'est du reste ce qu'a rappelé Cédric Villani dans son rapport sorti il y a un peu plus d'un an. Or ces données sont aujourd'hui en silo, rarement disponibles et exploitables en dehors de leur usage métier.

Quant aux capteurs, objet d'un autre atelier, la situation tient aujourd'hui du "Far West", aux dires d'un intervenant; avec une multiplicité de solutions, de standards, de protocoles, de prestataires qui complique beaucoup les choix. Le capteur seul est ensuite de faible utilité : il faut un réseau pour collecter la data, une plateforme pour la traiter et être en capacité de gérer l'intégralité de son cycle de vie… "Si chaque direction métier déploie ses propres capteurs, cela ne peut pas fonctionner. Un capteur doit être pensé en transversalité. Un capteur d'air dans un stade peut par exemple servir à mesurer la pollution, à gérer l'arrosage, le chauffage des vestiaires ou encore être utile à une association d'apiculteurs…", a expliqué Claire Hugonet consultante IOT. La plateforme de données partagée au sein de la collectivité serait notamment la clé de voûte de toute stratégie IOT/big data.

Pour Florent Boithias, en charge des projet ville intelligente au Cerema, "il est important de tester, d'expérimenter pour que les territoires montent en compétence sur ce sujet. À une condition cependant : partir d'un besoin métier clairement identifié". Une approche frugale, par petits pas, dont le mérite serait aussi de limiter l'impact environnemental de ces technologies. Car non seulement les capteurs utilisent des métaux rares mais ils sont aussi énergivores, si l'on considère tout le flux de donnée qu'ils génèrent : collecte, traitement et stockage dans les data centers.

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis