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Le CAE propose que 30% du pass culture soit consacré à des offres culturelles territorialisées

Dans sa dernière note "La culture face aux défis du numérique et de la crise" publiée le 16 février, le Conseil d'Analyse économique entend "repenser la politique culturelle" et "mettre en place une véritable stratégie numérique, au service de l’ensemble des citoyens français" et propose, entre autres, un pass culture centré sur l'offre territoriale et un plan de relance "territoires de la culture".

"La culture représente un enjeu économique capital, en raison du poids qu’elle occupe dans la richesse nationale, de son rôle dans l’attractivité des territoires et de son impact positif sur le bien-être des habitants. Les évolutions en cours, liées à la pandémie et la numérisation, constituent une occasion [...] de repenser la politique culturelle et de mettre en place une véritable stratégie numérique, au service de l’ensemble des citoyens français". Ainsi se conclut la dernière note du Conseil d'analyse Economique (CAE), intitulée "La culture face aux défis du numérique et de la crise", présentée le 16 février 2022. Dans ce document de 12 pages, les co-auteurs, Olivier Alexandrea, Yann Alganb et Françoise Benhamou, avancent plusieurs recommandations pour "renouer avec une politique culturelle ambitieuse".

Un pass culture centré sur l’apprentissage et l’offre culturelle territoriale

L'une d'elles concerne le "pass culture" que les auteurs préconisent de "centrer sur l’apprentissage par la pratique et l’offre culturelle territoriale". Car "les praticiens deviennent des consommateurs durables de la culture", ont-ils réaffirmé durant leur conférence de presse du 16 février 2022. Fort du constat que "la numérisation n’a pas réduit les inégalités d’accès en termes géographique, de genre et de catégories sociales" et qu'elle a même "accentué les effets d’âge", le CAE s'interroge : "Comment réduire les inégalités d’accès à la culture ?". D'autant plus que le temps passé par les moins de 25 ans sur les écrans mobiles a augmenté, tandis que les professionnels du spectacle vivant et des salles de cinéma rendent compte d’un vieillissement accéléré de leurs publics…. Selon la note, le pass culture est un "outil de mieux en mieux structuré et identifié au sein de la population", avec un abaissement de l’éligibilité à 15 ans. "Nous proposons de réserver un minimum de 30% de la somme allouée au financement d’un apprentissage dans le domaine culturel", écrivent les auteurs. Ils suggèrent par ailleurs que 30% du pass soit consacré à "des offres culturelles territorialisées dont la fréquentation serait occasionnelle ou plus établie – via un abonnement – d’un établissement culturel ou d'achats de livres". Selon le CAE, ces mesures contribueraient à "dynamiser les pratiques culturelles au sein des territoires, en mobilisant un réseau d’enseignement, tout en soutenant l’économie locale". Et le reste de la somme serait alloué à des achats dans le respect des règles déjà établies ; à savoir ni Amazon, ni Netflix, ni Amazon Prime et Disney, mais accessibilité possible aux plateformes françaises et européennes.
Par ailleurs, la note établit que "la socialisation à la culture procède principalement via trois matrices : la cellule familiale et amicale, l’école et les associations". Par conséquent "un programme d’avenir nécessite de prendre en compte ces leviers, avec une consolidation de la place de la culture dans le temps scolaire dédié dans et hors des programmes scolaires, sorties, interventions d’enseignants et d’artistes, etc.", est-il préconisé.

114 euros par habitant, soit 6 % du budget des communes et intercommunalités

En France, rappelle le CAE, le secteur culturel bénéficie d’un important soutien de la puissance publique, sous la forme de commandes, de subventions, de taxes affectées, d’exonérations fiscales et de régulation. Et, fait non négligeable, "à côté de l’action de l’État, les communes et intercommunalités sont l’échelon le plus important en termes de dépenses culturelles publiques". Selon les chiffres cités par l'instance économique, communes et intercommunalités dépensent en moyenne 114 euros par habitant, soit 6% de leur budget. Ces statistiques sont à rapprocher des enquêtes SRCV (Statistiques sur les ressources et conditions de vie) de l’Insee. Le CAE rapporte qu'elles indiquent qu’une majorité des individus effectue au moins une sortie par an dans un musée, lieu patrimonial, théâtre ou autre lieu de spectacle vivant (56,2%). Parmi ceux qui n’en effectuent pas, ils ne sont que 6% à l’imputer à des équipements qui seraient trop éloignés géographiquement, quand 17% invoquent des ressources financières insuffisantes et 37% une absence d’intérêt.

Les auteurs de la note réfutent l'hypothèse de "désert culturel" en France mais soulignent les "grandes disparités en termes de dépenses publiques". Exemple : les dépenses à Paris (1) atteignent 300 euros par habitant, contre seulement 80 euros pour les villes isolées (2). Ce rapport inégal se retrouve au niveau du nombre de théâtres et lieux de spectacles par habitant, avec cinq fois plus de ce type d’équipements par habitant à Paris (5,6 pour 100.000 habitants) que dans les villes isolées (1,1). Sans surprise, c’est aussi en Île-de-France que l’on trouve la majorité des écoles, formations, sociétés de production, de distribution, ainsi que la plus forte proportion d’emplois artistiques. "Les politiques publiques tendent à renforcer la concentration des activités culturelles en Île-de-France", relèvent les économistes avant de s'intéresser à une étude "originale" qui fait l'objet d'un focus.

Lien entre dépenses culturelles et....abstention 

Cette étude est une analyse économétrique de Beuve et al. (3). Elle montre "un lien important et robuste entre dépenses culturelles par habitant et abstention, prise comme mesure du bien-être et de l’intégration politique des territoires". Pour deux communes comparables en taille et en composition (part d’ouvriers, taux de chômage, niveau moyen d’études, etc.) et avec une abstention similaire aux élections municipales de 2014, celle qui a alloué 100 euros en plus aux dépenses culturelles de fonctionnement a en moyenne un taux d’abstention inférieur de 0,9 % aux élections municipales de 2020. Ainsi, "l’analyse à l’échelle individuelle conclut à l’existence d’une relation forte entre pratiques culturelles et satisfaction". Concrètement, déclarer avoir au moins une pratique culturelle est associé à "une satisfaction déclarée équivalente à une hausse du revenu disponible du ménage de 1%", soit 420 euros par an, illustre le focus. Cette relation monte à 1,65 % pour les enquêtés ayant des pratiques culturelles régulières, soit 693 euros par an. On comprend donc que "vivre dans une commune avec de plus fortes dépenses culturelles accroît également la probabilité d’avoir des pratiques culturelles, favorisant ainsi indirectement le bien-être des citoyens".

Plan de relance "territoires de la culture"

Autre proposition émise dans cette note du CAE : l’élaboration d’une "véritable politique publique du numérique" qui "passe par la création au sein du ministère de la culture d’un service transversal qui coordonne les actions portées du côté des industries culturelles et celles des opérateurs publics". Dans la perspective d’une "coordination sur l’ensemble du territoire et d’une mobilisation active des collectivités locales, il conviendrait de généraliser ce dispositif au sein des directions régionales des affaires culturelles (Drac), en les dotant d’un référent numérique", suggère la note du CAE.

"La crise a accéléré un changement de paradigme pour les milieux de la culture, passés progressivement d’une logique de rareté […] à une logique d’abondance", analyse le CAE. Et ce sont ces évolutions, liées à la pandémie et l’accélération de la numérisation, qui "appellent une refonte des politiques culturelles" passant par le plan "territoires de la culture'", selon lui. Ce plan doit permettre de "rééquilibrer les soutiens publics sur l’ensemble du territoire, tout en accompagnant la sortie du Prêt Garanti par l'Etat (PGE) pour les entreprises les plus fragiles et en renforçant le soutien aux associations culturelles". Le CAE recommande donc à nouveau "de veiller au rééquilibrage des soutiens publics à la culture, trop fortement centrés sur l’Île-de-France et la ville de Paris". Et, "dans une même logique, en cas de prolongation de la crise sanitaire, il estime que le soutien public à la culture doit être poursuivi sur l’ensemble du territoire, particulièrement en direction des filières les plus dépendantes de la sortie (notamment le cinéma et le spectacle vivant), des petites entreprises et aussi des associations culturelles". 

(1) En cumulant dépenses municipales et subventions aux associations culturelles

(2) unités urbaines composées d’une unique commune, le plus souvent des villes petites ou moyennes

(3) a Beuve J., M. Péron et C. Poux (2022) : "Culture, bien-être et territoires", Focus du CAE, n° 079-2022, février.