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Asile / Enfance - Le Conseil d'État ne laisse pas le choix aux départements sur la mise à l'abri des MNA

Dans un référé liberté du 25 janvier 2019, le Conseil d'État procède à une ferme mise au point sur les obligations des départements en matière de prise en charge des personnes se déclarant mineurs non accompagnés (MNA). Ce référé est pris sur la base de l'article L.512-2 du code de justice administrative, prévoyant que "le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale".

Un rendez-vous six semaines plus tard

En l'espèce, M. B... A..., ressortissant malien, déclarant être né le 12 mars 2002, ne pas avoir de famille en France et être sans abri, se présente, le 18 décembre 2018, à l'accueil du service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) du département d'Indre-et-Loire, dont il a sollicité la protection. En réponse, il lui est proposé un rendez-vous en vue de l'évaluation de sa situation le 28 janvier 2019, soit près de six semaines plus tard, sans que cette proposition soit accompagnée, dans cette attente, d'une mise à l'abri.

L'intéressé demande donc au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans d'enjoindre au président du conseil départemental d'Indre-et-Loire de le faire bénéficier d'un accueil provisoire d'urgence sous astreinte de 200 euros par jour de retard et d'enjoindre à la préfète d'Indre-et-Loire de lui assurer un hébergement d'urgence jusqu'à ce qu'il soit orienté vers une structure d'hébergement stable. Mais le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans rejette ces demandes par une ordonnance du 27 décembre 2018, en retenant notamment les arguments invoqués par le département : augmentation du nombre de mineurs isolés et contrainte liée, dans nombre de cas, à la nécessité de recourir à un interprète.

"Une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission d'accueil"

Dans sa décision, le juge des référés du Conseil d'Etat rappelle au département d'Indre-et-Loire et au tribunal administratif d'Orléans que, "sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l'évidence pas remplie, il incombe aux autorités du département de mettre en place un accueil d'urgence pour toute personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, confrontée à des difficultés risquant de mettre en danger sa santé, sa sécurité ou sa moralité, en particulier parce qu'elle est sans abri". Or, "lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale".

En l'espèce, et malgré les difficultés invoquées par le département, "le délai dans lequel a été convoqué M. A... pour bénéficier d'un accueil provisoire d'urgence est constitutif d'une carence caractérisée dans l'accomplissement de sa mission d'accueil par le département, qui, eu égard à ses conséquences pour l'intéressé, porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale".

Au regard de la situation de M.A..., "dont il n'est pas contesté qu'il ne dispose d'aucune solution d'hébergement", la condition d'urgence prévue par l'article L.521-2 du code de justice administrative est donc considérée comme remplie. Dans ces conditions, le juge des référés du Conseil d'État annule l'ordonnance du juge des référés d'Orléans, enjoint au président du conseil départemental d'Indre-et-Loire "d'accomplir toutes diligences utiles pour que M. A... bénéficie d'une mise à l'abri immédiate" et condamne le département à verser une somme de 1.500 euros à M. A...

Décision du Conseil d'État v/ décret du 30 janvier 2019 ?

Cette décision du Conseil d'État est quasi concomitante de la publication du décret du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d'évaluation des personnes se déclarant MNA et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes (voir notre article ci-dessous du 1er février 2019). Il n'y a toutefois pas de véritable contradiction entre ces deux éléments.

Le décret entend certes - parmi les objectifs affichés en toutes lettres dans le corps même du texte - "prévenir le détournement du dispositif de protection de l'enfance par des personnes majeures ou des personnes se présentant successivement dans plusieurs départements". Il répond ainsi aux attentes de nombreux départements, débordés par l'afflux de personnes se déclarant MNA, mais qui ne peuvent plus - ou plus difficilement - recourir aux tests osseux pour s'assurer de la minorité du demandeur.

Mais la décision du Conseil d'État leur rappelle fermement que, "sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l'évidence pas remplie", les départements ne peuvent se dérober à leur obligation légale de prise en charge des personnes se déclarant MNA, notamment par des arguments dilatoires (comme le renvoi à un rendez-vous six semaines plus tard). Tout au plus pourraient-ils, si les difficultés temporaires de prise en charge par l'ASE sont avérées, assurer une mise à l'abri temporaire des intéressés. En d'autres termes, il faut attendre la fin de la période d'évaluation de la condition de minorité et d'isolement pour mettre un terme, le cas échéant, à une prise en charge au titre de l'ASE qui ne peut être refusée au stade de la demande initiale.

Références : Conseil d'État, juge des référés, arrêt n°427169 du 25 janvier 2019, M. B... A..., département d'Indre-et-Loire.