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Enfance / Asile - Le contrôleur général des lieux de privation de liberté veut interdire le placement d'enfants en centres de rétention

Dans un avis publié au Journal officiel du 14 juin, le contrôleur général des lieux de privation de liberté se prononce sur "l'enfermement des enfants en centres de rétention administrative". En effet, l'an dernier, plus de 300 enfants ont été placés en centre de rétention administrative (CRA) avec leurs parents. Car si une telle situation est exclue pour les mineurs non accompagnés (MNA) - pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) -, elle est en revanche possible pour des enfants accompagnés de leurs parents. Dans ce cas, au nom de l'unité familiale, l'enfant suit ses parents lors de leur placement en centre de rétention.

De 41 enfants en CRA en 2013 à 305 en 2017

La question n'a rien de théorique. Le nombre d'enfants placés en CRA ne cesse en effet de croître depuis quelques années. De 41 en 2013, leur nombre est ainsi passé à 305 en 2017, avec une nette accélération à partir de 2015, année de début de la crise migratoire. Le nombre d'enfants concernés est déjà de 77 sur les quatre premiers mois de 2018.
Tout en reconnaissant "l'amélioration des conditions matérielles d'accueil" ces derniers temps, Adeline Hazan, le contrôleur général, "recommande que l'enfermement d'enfants soit interdit dans les CRA et a fortiori dans les LRA [lieux de rétention administrative, ndlr], seule la mesure d'assignation à résidence pouvant être mise en œuvre à l'égard des familles accompagnées d'enfants".
Rappelant l'article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 - "Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale" -, elle considère en effet que "l'enfermement d'enfants en centre de rétention est contraire à leurs droits fondamentaux". Adeline Hazan s'inquiète aussi de constater que "l'enfermement des enfants est devenu, pour quelques préfectures, une pratique destinée à faciliter l'organisation de la reconduite".
De façon plus large, le gouvernement précédent, déjà saisi par le contrôleur général, avait fait valoir que "la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers précise, pour la première fois dans le droit de l'éloignement, les conditions exclusives du placement en rétention d'un étranger accompagné d'un enfant mineur. Elle est en parfaite conformité avec les exigences européennes qui ne prohibent pas l'accompagnement d'un étranger retenu par ses enfants mineurs, mais imposent des conditions spécifiques en pareil cas". Une circulaire du 2 novembre 2016, sur l'application, de la loi, rappelait toutefois à nouveau que le placement d'enfants en rétention "doit rester exceptionnel", mais les chiffres semblent quelque peu la contredire.

Une position largement partagée

La prise de position d'Adeline Hazan n'est pas une surprise, dans la mesure où elle avait déjà saisi à plusieurs reprises le ministère de l'Intérieur de cette situation. Elle ne fait d'ailleurs que rejoindre les prises de position sur cette question du Défenseur des droits, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme ou des cinq associations autorisées à intervenir au sein des CRA (dans un rapport commun de 2015).
Pour sa part, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France dans un arrêt Popov du 19 janvier 2012 pour violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en considérant que "l'intérêt supérieur de l'enfant ne peut se limiter à maintenir l'unité familiale, mais que les autorités doivent mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin de limiter autant que faire se peut la détention de familles accompagnées d'enfants et préserver effectivement le droit à une vie familiale".
A la suite de cet arrêt, une instruction du ministère de l'Intérieur aux préfets leur demandait d'ailleurs de veiller "dans le cas de familles parentes d'enfants mineurs, à appliquer la procédure d'assignation à résidence plutôt que le placement en rétention" (voir notre article ci-dessous du 19 mars 2012).

Quel sort pour l'amendement du Sénat interdisant l'enfermement des enfants en CRA ?

Si la prise de position du contrôleur général n'est pas une surprise, elle intervient en revanche en pleine actualité, avec l'examen par le Parlement du projet de loi "pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie". Le texte ne comporte aucune disposition spécifique sur le placement des enfants en rétention, mais il porte en revanche la durée maximale de la rétention de 45 jours à 90 jours. Soit trois mois d'enfermement, alors que l'avis du contrôleur général, évoquant les conséquences de l'enfermement, souligne les "traumatismes qu'il provoque chez de jeunes enfants et [...] ses conséquences délétères sur les relations entre parents et enfants. L'exercice même de l'autorité parentale se trouve nécessairement mis à mal lorsque des parents, sous les yeux de leurs enfants, sont menottés, privés de toute liberté de mouvement, et dans l'incapacité de prendre la moindre décision concernant la vie quotidienne de leurs enfants".
En outre, si le Sénat, qui a adopté le projet de loi par un vote solennel le 26 juin (voir ci-dessous notre article de ce jour), a sensiblement durci la plupart des aspects du texte, il a en revanche adopté un amendement interdisant tout enfermement d'un mineur en centre de rétention administrative (voir aussi notre article du 11 juin 2018). A cette occasion, Philippe Bas, le président (LR) de la commission des lois du Sénat, avait indiqué que "le texte adopté par l'Assemblée nationale autorisait à enfermer un enfant pendant trois mois, dans des locaux totalement inadaptés", ce qui ne "correspondait pas à [sa] conception de la République française".
La question est donc désormais posée du sort de cette question lors de la réunion prochaine de la commission mixte paritaire et de sa place éventuelle dans le texte final qui sera adopté par l'Assemblée...

Références : contrôleur général des lieux de privation de liberté, avis du 9 mai 2018 relatif à l'enfermement des enfants en centres de rétention administrative (Journal officiel du 14 juin 2018).

 

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