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Transports alternatifs - Le fluvial prêt à sortir la tête de l'eau

Le fret fluvial boit-il la tasse ? Ceux qui voient le verre à moitié vide parlent d'un naufrage face au camion, solution flexible qui lui dame systématiquement le pion. Ceux dont le verre est à moitié plein égrènent sans relâche ses atouts - capacité de chargement, disponibilité, fluidité, bilan carbone, sécurité - et son potentiel de développement. Le 6 mars, la table-ronde avec des acteurs du secteur organisée par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, non sans lien avec le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM), a aidé à analyser la situation et proposer des pistes d'amélioration.

Le constat est connu : la France dispose du plus grand réseau navigable d’Europe mais le fret n'y est guère à la hauteur. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Pour évaluer le trafic, le secteur a pour boussole la tonne-kilomètre (t-km). La pertinence de cette unité de mesure est contestée mais elle aide à se situer par rapport aux voisins européens. Une comparaison peu flatteuse : avec autour de sept milliards de t-km en 2018, la France transporte huit à neuf fois moins de marchandises par voie d'eau que l'Allemagne, bien moins aussi que les Pays-Bas et s'est fait depuis des années doubler par la Belgique et la Roumanie. "Nous sommes à la traîne, c'est de pire en pire chaque année. Il y a un gros problème de moyens. Dans mon département, la Meuse, doté de deux canaux, cela prend l'eau de toutes parts ! Les communes qui ont misé sur la voie d'eau n'ont plus que leurs yeux pour pleurer : les péniches n'y transitent que six mois par an", déplore le député Bertrand Pancher. 

Tel n'est pas le constat de Voies navigables de France (VNF) qui, dans son dernier bilan, estime que le trafic est resté "robuste malgré des événements climatiques exceptionnels". Crues importantes, étiages d'amplitude, la navigation sur le Rhin a même été stoppée pendant un mois : "Du jamais vu, cela ne sera pas sans conséquences, surtout sur l'économie allemande", commente Thierry Guimbaud, directeur général de VNF. "Sortons des postures et du 'tout va mal', il y a de bonnes nouvelles, sur l'axe Rhône notamment, le report modal en utilisant la voie d'eau à partir de Marseille s'accroît nettement", positive Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) du ministère des Transports. Le fret fluvial est en effet pieds et poings liés à la dynamique exportatrice des ports maritimes. "Au Havre, sur le conteneur, le port reprend des parts de marché à la route", estime François Philizot, délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine. Ce fleuve n'en reste pas moins sous-exploité : "Cet axe est fragile. Des ouvrages, longs à réparer, tombent en panne. Suite à la crue, certains ne l'ont pas été. Et ce alors que, même sans grands travaux, quatre fois plus de bateaux pourraient y transiter", rebondit Thierry Guimbaud.

Valoriser la pertinence du fluvial

Réseau d’un gabarit souvent trop faible, dont l’entretien nécessite des investissements massifs et qui accueille des bateaux également d’un gabarit trop faible pour être compétitifs et répondre aux besoins des chargeurs, le surplace est en partie dû à des défauts d'infrastructure, d'équipement. Le manque de stratégie a eu pour effet corollaire de ternir l'image de la voie d'eau auprès des industriels. Des logisticiens y relancent toutefois des trafics : "Ce sont eux qui ont la main, il faut qu'ils intègrent mieux le fluvial dans leur politique d'offre", défend Nicolas Trift. Pour gagner en attractivité, il reste du chemin à faire. "Derrière le discours unanime sur ses vertus apparaissent une méconnaissance du secteur et une vision souvent ludique de la voie d'eau. À Paris y compris, on a du mal à faire entendre les enjeux économiques. Il faut faire œuvre de pédagogie, que les collectivités prennent conscience de sa pertinence et intègrent ce mode dans leurs documents d'urbanisme", propose François Philizot. Les financements dans le secteur restent difficiles à trouver : "Les banquiers le connaissent mal et rechignent". L’apport de l’Agence de financement des infrastructures de transport (Afitf) à VNF, en ligne avec le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM), offre un bol d'air à l'établissement : "Nous travaillons ainsi sur un budget de 165 à 170 millions d'euros, contre 130 l'an dernier", constate avec soulagement Thierry Guimbaud.

Constitution d'une interprofession, développement de l'électrification, appui à la batellerie artisanale, travail avec les autorités "gemapiennes" sur des projets hydrauliques, les autres enjeux évoqués lors de cette table-ronde sont nombreux. Sur l'axe Rhône-Saône, pourtant bien structuré, Anne Estingoy, vice-présidente de la fédération Agir pour le fluvial, a ajouté que "cela se passe mal à Marseille avec les opérateurs de manutention et qu'il faut réguler les comportements et mieux accompagner en inscrivant cela dans la LOM". Selon elle, "l'action publique a un rôle à jouer en défendant des schémas de desserte fluviale et, face au réflexe du routier, en incitant à vérifier systématiquement si des alternatives existent et si les marchandises transportées sont 'fluvialisables'". Enfin, le tourisme fluvial, plutôt en bonne santé, n'a pas été oublié. Chiffre mis en avant : dix millions de touristes par an empruntent la voie d'eau à un moment donné durant leur séjour. Thierry Guimbaud invite les acteurs impliqués à renforcer "l'approche globale qui est essentielle pour cette dynamique qui ne se bâtit pas seule mais à terre avec les collectivités".