Le Haut Conseil pour le climat juge les efforts de la France toujours "insuffisants" 

Les efforts de la France pour lutter contre le réchauffement climatique sont toujours "insuffisants" pour respecter ses objectifs, estime le Haut Conseil pour le climat (HCC) qui a publié ce 30 juin son rapport annuel, remis au Premier ministre deux jours avant. Alors que les deux-tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés au risque climatique, le HCC appelle à accélérer la transition bas-carbone, notamment en finalisant "au plus vite les stratégies locales" qui doivent "converger vers les objectifs nationaux" et en intégrant "systématiquement" l’adaptation au changement climatique dans les politiques aux échelons nationaux et territoriaux.

"Les efforts actuels sont insuffisants pour garantir l'atteinte des objectifs de 2030, et ce d'autant plus dans le contexte de la nouvelle loi européenne sur le climat" qui devrait revoir à la hausse les objectifs français, écrit le Haut Conseil pour le climat (HCC) dans son rapport annuel 2021 publié ce 30 juin après avoir été remis au Premier ministre deux jours avant.
La France s'est à ce stade engagée à réduire ses émissions de CO2 de 40% d'ici à 2030 par rapport à 1990. Dans cette optique, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) fixe des plafonds d'émissions. Mais le premier "budget carbone" 2015-2018 a été dépassé - valant une condamnation de l'Etat pour carence par la justice administrative (lire notre article) . Et le gouvernement a remonté les plafonds pour 2019-2023, reportant de fait l'effort à accomplir.
Dans ce contexte, ces deux dernières années, les émissions ont effectivement diminué "plus rapidement qu'attendu", mais le "relèvement du plafond" et l'impact des mesures prises contre le Covid-19 "en sont les principaux facteurs explicatifs", estime le HCC.  En 2019, la baisse des émissions s'est légèrement accélérée, à -1,9% sur un an. En 2020, la diminution liée à la pandémie a été spectaculaire (-9%) mais elle "est temporaire et ne reflète pas de changement structurel durable", a insisté la présidente du Haut Conseil Corinne Le Quéré, soulignant la nécessité d'accélérer le rythme. "En raison du retard accumulé par la France, le rythme actuel de réduction annuelle devra pratiquement doubler pour atteindre au moins 3,0% dès 2021 et 3,3% en moyenne sur la période du troisième budget carbone (2024-2028)", prévient le rapport qui note en outre une fragilisation des forêts françaises et de leur aptitude à capter le carbone.
Si le rapport regrette des politiques publiques encore trop peu alignées sur les objectifs climatiques, il salue toutefois des "progrès", "certains d'ordre structurel", dans les secteurs du bâtiment, de l'industrie et de la transformation d'énergie. En revanche, les émissions des transports, premier secteur émetteur (31%), stagnent, et le secteur agricole voit ses émissions diminuer lentement.

Emissions des régions en baisse

"La plupart des régions de France ont vu leurs émissions diminuer sur la période 2015-2018, parfois de manière significative", note aussi le HCC, qui fait figurer pour la première fois ces données régionales dans son rapport. Les baisses les plus importantes concernent l’Ile-de-France (-2,6% par an), Centre-Val-de-Loire (-1,7% par an) et Auvergne-Rhône-Alpes (-1,2% par an). "Certaines régions voient néanmoins leurs émissions stables ou à la hausse sur 2015-2018, telles que la Guyane (+4,0%), la Guadeloupe (+1,4% par an), la Normandie (+0,3% par an) et les Hauts-de-France (-0,1% par an)", relève le HCC qui constate aussi que les émissions des transports sont à la hausse dans la plupart des régions sur 2015-2018. L’Ile-de-France est la seule région présentant une réduction moyenne annuelle significative (-1,7% par an), La Réunion, la Guadeloupe et la Bourgogne-Franche-Comté présentant les évolutions à la hausse les plus importantes (de +1,6 à +2% par an).
Les émissions des bâtiments sont à la baisse dans la majorité des régions sur 2015-2018, en cohérence avec la valeur observée en France (-1,9% par an). La région Centre-Val-de-Loire présente la réduction moyenne annuelle la plus importante pour ce secteur (-4,4 % par an) alors que La Réunion et la Guadeloupe présentent quant à elles des évolutions à la hausse, de respectivement +3,8% par an et +0,4% par an. Les émissions de l’agriculture présentent de faibles disparités entre régions sur 2015-2018, à l’exception de la Martinique (-2,5% par an), de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (+1,5% par an) et de la région Occitanie (-1,2% par an) du fait d’une diminution de la surface agricole utile pour cette dernière. Le secteur de l’industrie montre quant à lui les évolutions les plus diverses d'une région à l'autre sur 2015-2018. L’Ile-de-France, la Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine présentent les plus fortes réductions moyennes annuelles pour ce secteur (respectivement -6%, -5,2% et -4% par an), tandis que les Hauts-de-France et la Normandie présentent une évolution de +1,5% par an et +1,6% par an.

Engager des changements structurels

De manière générale, le HCC insiste sur la nécessité d'une baisse structurelle des émissions.  Il estime ainsi que le plan de relance post-pandémie "est bien positionné à l'échelle mondiale", avec un tiers (28 milliards d'euros) destiné à la baisse des émissions, mais appelle toutefois à pérenniser ces financements pour contribuer aux changements structurels vers une économie bas-carbone. Pour accélérer cette transition, il suggère certaines mesures comme avancer la date d'arrêt de vente des véhicules thermiques à 2030, la sortie des énergies fossiles pour le chauffage des bâtiments ou la fin des exemptions de taxes sur le fioul, notamment à usage agricole.
Mais le HCC juge que" trop d’incertitudes persistent encore sur la mise en œuvre des politiques publiques". Leur pilotage et leur suivi "reste partiel, malgré les efforts récents" regrette-t-il, bien que l’élaboration en cours de plans d’action par ministère soit "une avancée positive à souligner". Si l’évaluation des lois au regard du climat a peu évolué, pointe-t-il encore, "le suivi du plan de relance démontre un effort de transparence notable qui doit encore mieux prendre en compte les enjeux de la transition bas-carbone".

Besoin d'évaluation des Sraddet

Le rapport note aussi que onze des treize régions de métropole ont mis à jour un plan de développement durable (Sraddet), "une avancée qui doit progressivement converger avec la stratégie et les calendriers nationaux". "Ces plans devront être évalués six mois après la prise de fonction des nouveaux exécutifs régionaux", recommande le HCC. L’élaboration des plans climat des établissements publics intercommunaux quant à elle "rattrape son retard". "Il est essentiel d’articuler l’action territoriale aux objectifs de la SNBC et de la programmation pluriannuelle de l’énergie, alors que des premières études montrent que les résultats des actions menées décrochent par rapport aux prévisions et à la trajectoire zéro émission nette", souligne le rapport, d'autant qu'iI existe un enjeu général d’alignement des documents de planification territoriale sur les documents qui leur sont supérieurs dans la hiérarchie des normes." "Il est nécessaire d’améliorer la concertation entre les différents échelons territoriaux et de synchroniser les documents avec la révision avec la SNBC", estime le HCC qui appelle les pouvoirs publics à utiliser les leviers juridiques "plus systématiquement" "pour accélérer la transition bas-carbone, alors que "la préoccupation de la population française reste forte pour le climat et l’environnement, en dépit de la pandémie et de ses conséquences socio-économiques".
Le HCC appelle d'autre part le gouvernement à s'appliquer ce qu'il prône à l'extérieur : "Le pays se positionne comme un acteur majeur dans la lutte contre le réchauffement dans le cadre des négociations européennes mais peine à atteindre ses propres objectifs nationaux". "Nous pensons toujours que nous sommes capables d'atteindre notre objectif de 2030", répond-on à Matignon.
Alors que Bruxelles doit présenter le 14 juillet un nouveau paquet climat pour relever l'ambition européenne de baisse des émissions de 40 à 55% d'ici à 2030 - impactant forcément la France -, le gouvernement travaille "pour muscler les objectifs français", a-t-on ajouté, envisageant l'annonce après l'été d'éventuelles "mesures complémentaires de façon à tenir nos ambitions".

Pour une stratégie nationale d'adaptation au changement climatique

Se penchant pour la première fois sur l'adaptation aux impacts du réchauffement, le HCC appelle Etat et territoires à mieux se préparer aux désastres qui se multiplient. "Les deux-tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés aux risques climatiques", a insisté Corinne Le Quéré. Et ce n'est que le début alors que la France a déjà gagné +1,7°C depuis l'ère pré-industrielle (contre +1,1°C au niveau mondial). "Il est extrêmement important de faire en sorte que l'atténuation et l'adaptation aillent de pair", a insisté Magali Reghezza-Zitt, membre du HCC. "L'adaptation ne peut pas être un prétexte à l'inaction sur les politiques de réduction des émissions. Et à un moment donné, l'ampleur du changement va faire qu'on ne pourra plus s'adapter".
Selon le rapport, le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) comporte  une soixantaine d’actions "disparates", qui "gagneraient à définir une trajectoire plus ambitieuse". "Au niveau local, l’adaptation est traitée de façon inégale, constate-t-il. Comme au niveau national, elle relève de plusieurs champs d’action (gestion de crise et d’urgence, prévention, protection, préparation, relèvement post-crise et capacité d’apprentissage), tout en s’appuyant sur des transformations incrémentales (par actions ponctuelles et sectorielles, qui ne modifient pas fondamentalement le système, ndlr) et structurelles au sein des territoires". Or, pour le HCC, chaque échelon territorial a un rôle à jouer. "Les instruments et leviers sont multiples et doivent reposer sur un lien renforcé entre aménagement et adaptation, dépasser les approches en silos et se projeter à différentes échelles temporelles et spatiales", souligne le HCC. Pour "mettre en cohérence l’ensemble des outils et des actions entre les territoires et les divers échelons", "offrir une vision à long terme en garantissant la continuité de l’action et intégrer les enjeux de transition juste", il recommande donc d'élaborer une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique, "dotée d’objectifs quantifiés et de délais précis, en identifiant des secteurs prioritaires avec l’ensemble des parties prenantes et des territoires."

 
Les forêts françaises, puits de carbone "en difficulté"
Indispensables dans la lutte contre le réchauffement climatique, les forêts françaises n'ont capté que les trois quarts du carbone escompté entre 2015 et 2019, s'inquiète le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dans son rapport 2021. Comme de plus en plus de pays, la France s'est engagée à la neutralité carbone pour 2050. L'objectif est d'abord de réduire au maximum les émissions de gaz à effet de serre (avec une étape de -40% d'ici 2030 par rapport à 1990), mais un certain volume d'émissions étant incompressible, les capacités de séquestration du carbone pour compenser ces émissions sont indispensables.
 A ce stade des recherches, aucun puits de carbone artificiel n'étant capable d'absorber le carbone à une échelle suffisante, l'attention en France se porte en particulier sur les forêts, qui constituent la majeure partie du puits de carbone naturel, avec l'agriculture. Mais entre 2015 et 2019, ces forêts françaises "n'ont capté que les trois quarts du carbone anticipé", note le rapport du HCC.
"ll y a un manque à gagner au regard des objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), manque à gagner concernant le puits de carbone des forêts, nécessaire pour atteindre la neutralité carbone", a commenté Jean-Francois Soussana, membre du HCC et vice-président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
L'inventaire national des émissions de gaz à effet de serre établi par le Citepa estime par exemple qu'en 2019, les forêts, prairies et autres sols agricoles ont représenté un puits net de 30,7 Mt d'équivalent CO2 contre 39 Mt anticipé par le scénario de la SNBC.
Et "la diminution de la capacité de stockage de la forêt en est la cause première", estime le HCC, montrant du doigt le réchauffement. 
"La capacité de stockage des forêts dépend de leur superficie, et de la croissance des peuplements, qui est fonction de l'âge, mais aussi de l'état de santé des forêts et des modes d'exploitation", explique Jean-François Soussana. "Et ces dernières années, le changement climatique a augmenté l'intensité et la fréquence des sécheresses, des tempêtes, voire des incendies, qui affectent la croissance des arbres", poursuit-il.
Une situation qui favorise le développement des insectes xylophages, notamment les scolytes, et l'augmentation de la mortalité forestière. Cette tendance à la dégradation des puits forestiers, qui menace l'Hexagone mais aussi la plus grande forêt française en Guyane, "reste encore peu visible dans les résultats d'inventaire" mais "elle est sans doute appelée à augmenter et peut remettre en cause une partie des gains attendus d'un stockage de carbone dans l'écosystème forestier national", met en garde le HCC, qui plaide pour une "stratégie à long terme pour préserver les forêts françaises". "Ça demande des investissements et c'est urgent: plus on attendra, plus ces forêts se dégraderont et plus notre potentiel en termes de puits de carbone sera difficile à atteindre", a insisté Jean-François Soussana.

 

 

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