Léonore Moncond'huy : "Les programmes de l'Éducation nationale n'imposent pas d'être dans une salle de classe"

Alors que les premières Rencontres internationales de la classe dehors se tiennent jusqu'au 4 juin 2023, Léonore Moncond'huy, maire de Poitiers, qui accueille l'évènement, revient sur l'expérience que sa commune a lancée en la matière au début de son mandat.

Localtis - Comment définiriez-vous l'école dehors ou l'éducation dehors ?

Léonore Moncond'huy - L'éducation dehors, c'est tout ce qui consiste à sortir des murs de la classe pour aller, soit découvrir la ville, soit découvrir des espaces naturels. On assimile souvent l'éducation dehors à l'éducation à la nature, mais ça dépasse ce cadre. À Poitiers, nous avons ce qu'on appelle des classes de ville qui encouragent à aller à la découverte de l'espace urbain ou de lieux publics que les enfants ne connaissent pas, avec l'idée de sortir de l'enfermement géographique dans lequel se situent, même à l'échelle des quartiers, certains enfants.

Quand avez-vous mis en place cette éducation dehors à Poitiers ?

Dès le début de notre mandat, en 2020, nous avons monté un comité de pilotage "éducation nature" avec l'Éducation nationale, car nous sommes vraiment en coresponsabilité avec cette institution sur les enjeux éducatifs à l'échelle de la commune.

Comment cela se décline-t-il de manière concrète ?

D'abord par l'aménagement des espaces éducatifs. Nous avons végétalisé des cours d'école, nous avons implanté dans chaque école, soit des poulaillers, soit des potagers, autant d'outils pédagogiques concrets qui permettent aux enfants de se saisir des enjeux de l'éducation à la nature dans l'école. Nous avons formé l'ensemble de nos intervenants éducatifs aux pédagogies de l'éducation à la nature. Plus largement, nous avons des projets-phares, comme un centre qui accueille des enfants en classe-découverte au cœur d'une forêt et d'une ferme pédagogique. Un des grands projets du mandat est d'ouvrir un second centre immersif d'éducation à la nature, également au cœur d'une forêt, où l'on pourra accueillir des centres de loisirs, des classes-découverte, des camps de vacances en immersion totale dans la nature.

Quels sont, selon vous, les avantages de l'éducation dehors ?

De plus en plus d'études documentent le syndrome du manque de nature. C'est un mal de notre société d'avoir perdu toute connexion avec la nature. Nous sommes de plus en plus sédentaires et on sait que cela génère beaucoup de problèmes de santé ainsi que sur le bien-être mental. Cela a aussi un effet sur la sensibilité écologique : on ne protège que ce que l'on connaît, or on connaît de moins en moins les risques de la nature, la saisonnalité des aliments, ses réalités très physiques, et on a moins envie de la protéger. À l'inverse, mettre en place une éducation dehors, c'est répondre à tous ces enjeux, c'est contribuer au bien-être physique, au bien-être mental. Cela n'a rien à voir avec un intervenant qui vient avec une mallette interactive pour expliquer sur un tableau ce que sont les animaux. Là on sort, on expérimente. Concrètement, dormir sous une tente, aller observer les fleurs, les animaux la nuit, cela donne une approche sensible de la nature.

Comment s'organise-t-on pour mener à bien cette éducation dehors tout en respectant les programmes de l'Éducation nationale ?

Les programmes sont évidemment à respecter, mais ce que nous démontrons, à Poitiers comme ailleurs, c'est qu'il n'y a pas de contradiction entre le développement des compétences telles qu'elles sont requises par les programmes et le fait de faire l'école dehors. Nous avons une école qui fait classe dehors une à deux demi-journées par semaine et qui apprend à compter en allant ramasser des feuilles ou des fleurs. On peut faire du "land-art" pou développer la créativité, ce qui est particulièrement important pour les petites classes. On peut apprendre à écrire à partir de situations vécues à l'extérieur. Des recherches montrent même que le niveau de concentration des enfants est plus fort dehors, qu'il y a une dépense physique en parallèle. Changer d'environnement permet aussi une appropriation plus riche de certaines données. Enfin, les programmes disent ce que l'on doit apprendre, pas où on doit apprendre, ils n'imposent pas d'être dans une salle de classe.

Comment votre partenariat avec l'Éducation nationale se concrétise-t-il ?

Nous avons donné l'impulsion au début de notre mandat et nous avons eu des retours extrêmement positifs. Toutes les écoles ont, d'une manière ou d'une autre, un accompagnement pédagogique pour mettre en œuvre l'éducation à la nature. Nous recevons les projets et nous les instruisons avec l'Éducation nationale avant d'allouer des moyens en plein accord. L'Éducation nationale a aussi un label E3D (école en démarche de développement durable) qui concerne déjà presque la moitié des écoles de Poitiers, et l'académie a l'ambition, que nous partageons, d'atteindre 100% de labellisation d'ici 2025. C'est la reconnaissance d'un engagement conjoint entre la ville et l'académie. On ne peut pas faire les uns sans les autres.

Quels moyens consacrez-vous à l'éducation dehors et quel bilan en tirez-vous à ce jour ?

Végétaliser une cour d'école, cela coûte assez cher en raison de la "débétonisation", soit 200.000 à 300.000 euros par cour. Nous l'avons déjà fait pour deux cours. Depuis juin 2020, nous avons aussi consacré 200.000 euros à de petits aménagements : potagers, poulaillers, etc. Au total, sept cours ont fait l'objet d'aménagements plus ou moins lourds. Aujourd'hui, nous avons un très fort engouement pour l'éducation dehors à Poitiers. 28 écoles pratiquent la classe dehors, soit plus de la moitié des établissements. Cette année, 39 classes ont été transplantées et 804 enfants ont profité d'une pédagogie en plein air. 60 classes et 4.000 enfants ont profité du programme Classe de ville qui a cumulé 216 séances.

Y a-t-il des points de vigilance à observer dans la mise en place de l'éducation dehors ?

Tout n'a pas toujours coulé de source. Les écoles ont été transformées en quelque chose de très "hygiénisé", elles ressemblent presque à des hôpitaux. Il y avait la peur que tout devienne sale quand les enfants rentreraient de l'extérieur. Même les parents étaient réticents à ce que les enfants aient de la gadoue sur les mains ou les pieds en rentrant chez eux. Si on veut qu'enfants et enseignants s'approprient ces mesures, il faut les accompagner d'une formation des personnels, montrer qu'on peut trouver des solutions, par exemple en remettant ses chaussons à l'école, car il y avait des résistances de la part des personnels de ménage qui avaient peur de devoir nettoyer plus. Tout cela demande une petite adaptation des usages et un accompagnement pédagogique pour rassurer sur le fait que les bénéfices sont bien plus grands ce qu'on peut considérer comme des risques en termes de saleté, de froid, etc. Un discours d'accompagnement peut produire des effets très rapides. Personnellement, je me bats aussi parfois contre une éducation à la nature qui serait uniquement décorative. La nature ne se découvre pas sur un écran interactif ou dans une cour artificialisée. Je plaide pour que l'éducation à la nature se fasse réellement dans la nature, qu'on ne fasse pas de "greenwashing" avec nos espaces éducatifs. On voit bien trop d'exemples de cours-oasis qui n'ont rien de naturel. Il faut limiter l'artificiel au maximum.