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Les relocalisations vues des Territoires d'industrie

Avec la crise du coronavirus, la question des relocalisations, déjà débattue depuis plusieurs années, revient au-devant de la scène. Les Territoires d'industrie s'emparent du sujet, à l'instar du Grand Chalon qui se lance avec la Banque des Territoires dans une étude sur ses filières principales et son potentiel de relocalisation. La crise pourrait réorienter plus globalement les priorités du programme pour sa phase 2.

La pandémie du coronavirus a mis en évidence la dépendance de la France à certains pays, en particulier la Chine, en matière de production et a relancé le débat autour des relocalisations, Emmanuel Macron appelant lui-même à "rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique", le 31 mars. Un débat qui ne date pas d'hier et qui peine à déboucher sur des actions concrètes efficaces. Car "les relocalisations ne se décrètent pas verbalement", comme le souligne El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie, vice-président de l'Université Paris-Dauphine dans un article du 5 avril 2020 publié dans The Conversation, et les aides publiques n'ont pas toujours réussi à faire mouche. D'après les recherches du professeur, entre 2005 et 2013, sur environ 200 cas de relocalisations, seulement 7% des entreprises ont recouru aux aides de l'Etat pour relocaliser. "Il faut être assez modeste sur l'action de l'Etat, car les relocalisations répondent souvent à des stratégies internes à l'entreprise, mais peut-être faut-il aussi revoir le positionnement de ces aides", explique à Localtis Benoît Lepesant, chargé de projets à la direction de l'investissement de la Banque des Territoires.

Toujours est-il que face à l'urgence, les entreprises françaises ont vite réagi, se mettant à produire des biens (masques, gel, respirateurs artificiels…) indispensables pour affronter la pandémie. Ainsi, la moitié des masques grand public disponibles fin avril (26 millions) ont été fabriqués en France selon Bercy. Un consortium de quatre grands groupes industriels français, mené par Air Liquide, a aussi été créé pour fabriquer des respirateurs artificiels. On pourrait aussi ajouter la production de gels hydroalcooliques ou autres matériels de protection comme les blouses pour soignants. Mais on pourrait aussi s'interroger sur l'opportunité pour le ministère de la Santé de confier le pilotage de sa stratégie de dépistage à la filiale française du groupe américain Bain & Company...

Travailler sur la dynamique engagée durant la crise

Alors, serons-nous capables d'aller plus loin que cet effort de crise ? Après des décennies de déclin, la situation industrielle française avait connu un regain de forme depuis 2016, avec un solde d'ouvertures et de fermetures d'usines positif. Mais avant même la crise du coronavirus, elle avait recommencé à se dégrader, d'après les chiffres publiés en février 2020 par Trendeo. La France a ainsi perdu 12 usines en 2019.

Les 141 Territoires d'industrie se sont emparés du sujet des relocalisations dès l'origine du programme il y a deux ans. "Les pressentiments des initiateurs du programme se trouvent confortés par la crise : replacer la question industrielle au cœur des politiques, avec la problématique des relocalisations, réindustrialiser à partir des territoires", a ainsi témoigné François Blouvac, responsable du programme Territoires d'industrie à la Banque des Territoires, le 5 mai, lors d'un webinaire organisé par l'Assemblée des communautés de France (ADCF) sur les Territoires d'industrie. "Il faut travailler sur cette dynamique trouvée pendant la crise, pour qu'elle puisse perdurer dans les mois à venir en complément d'une reprise d'activité que nous souhaitons fortement accompagner", a souligné Laurent Trogrlic, vice-président de l'ADCF responsable du développement économique.

Une cartographie des chaînes d'approvisionnement pour chaque territoire

La Banque des Territoires est mobilisée sur le sujet. "Nous travaillons avec Trendeo qui nous aide à identifier au niveau national et régional les filières fortement impactées par des chaînes de valeur mondialisées et les points forts ou faibles pour les relocalisations", explique Benoît Lepesant. L'idée étant d'aboutir, territoire par territoire, à une cartographie des chaînes d'approvisionnement, et d'évaluer les potentiels de relocalisations.

Une première étude, cofinancée par la Banque des Territoires, est notamment en cours de réalisation pour le Grand Chalon, labellisé Territoire d'industrie en novembre 2018. La demande a été initiée par Grand Chalon, et doit aboutir le 29 mai. Elle se déroule en trois phases : un état des lieux des filières principales du territoire, une prise de contact avec les entreprises locales qui ont été ciblées et qui ont répondu à un questionnaire détaillé sur leurs velléités de relocaliser ou de réinternaliser certaines productions, et un plan d'actions. "Cela ne va pas tout de suite déboucher sur des décisions immédiates d'investissement, mais c'est un signal fort et cela va permettre au Grand Chalon de cibler les filières où il y a des actions à mettre en place, et sur lesquelles, comme pour l'immobilier d'entreprise par exemple, la Banque des Territoires peut agir", détaille Cédric Aymonier, directeur territorial à la direction régionale de Bourgogne Franche-Comté de la Banque des Territoires. A travers son intervention dans des sociétés d'économie mixte ou même des entreprises privées, la Banque des Territoires peut en effet faciliter l'investissement dans l'immobilier d'entreprise, le foncier étant un élément clé pour les relocalisations. La Banque des Territoires pense aussi pouvoir intervenir sur des problématiques comme les formations industrielles avec l'Afpa ou le Cnam, ou encore sur le développement de "green deals" (pactes verts) locaux, la production d'énergie, avec le recours à l'hydrogène et la question des mobilités des salariés.

Une consultation avant la phase 2 des Territoires d'industrie

D'autres leviers pourraient aussi être activés, comme des modulations sur les impôts de production, un débat qui a lieu au niveau national depuis plusieurs mois, et des aides publiques aux entreprises plus larges, si les règles de subventionnement peuvent temporairement évoluer dans le cadre des règles nationales et européennes. A noter que le ministre de l'Economie a appelé les constructeurs automobiles à relocaliser des usines en France en contrepartie d'aides publiques pour surmonter la crise.

"Il serait aussi intéressant de reformer des clusters, comme les Territoires d'industrie", précise aussi Cédric Aymonier. Une idée qui fait son chemin, les territoires industriels les plus résilients étant ceux qui ont un capital social fort ou une tradition de coopération forte entre les industriels et les acteurs publics, collectivités et services de l'Etat. "Ceux qui ont réussi à surmonter les précédentes crises sont ceux qui ont la plus grande tradition de coopération, ce qui donne aux Territoires d'industrie une longueur d'avance par rapport à d'autres territoires", a précisé Guillaume Basset, directeur du programme Territoires d'industrie, auprès du ministre de l'Economie et des Finances et de la ministre de la Cohésion des Territoires, lors du webinaire du 5 mai.

La crise va aussi faire évoluer les priorités mêmes des Territoires d'industrie, notamment sur la partie recrutement qui ne sera pas qu'offensive (répondre aux difficultés de recrutement) mais aussi défensive (pour contrer les licenciements) avec probablement des expérimentations dans ce domaine. Une phase 2 de Territoires d'industrie qui commencera par une consultation, menée sur une plateforme en ligne d'ici quelques semaines, d'abord en Occitanie puis dans les autres régions. Objectifs : connaître les sujets de préoccupation de ces territoires, leurs priorités et adapter le panier des services et outils du programme en conséquence.
 

Des jeunes issus des grandes écoles pour aider à la relocalisation d'activités industrielles

Le volontariat territorial en entreprise fait partie des pistes envisagées par les acteurs publics pour favoriser le retour en France d'activités industrielles. Destiné aux étudiants et mis en place en avril 2019 par Bpifrance et la Direction générale des entreprises, ce dispositif doit aider au recrutement dans les PME des territoires, sur le modèle du volontariat international en entreprise (VIE). L'objectif est ainsi de permettre à des jeunes diplômés de grandes écoles d'être mobilisés sur le projet d'une PME industrielle, en ciblant particulièrement les territoires d'industrie. "Nous allons lancer un certain nombre d'initiatives sur le volontariat territorial en entreprises, car des jeunes souhaitent s'engager au service de la relocalisation", a précisé Guillaume Basset, directeur du programme Territoires d'industrie, auprès du ministre de l'Économie et des Finances et de la ministre de la Cohésion des territoires, lors d'un webinaire organisé le 5 mai 2020 par l'ADCF sur les Territoires d'industrie.
L'association Des territoires aux grandes écoles, initiée en 2013 au Pays basque et étendue depuis à 24 territoires au total, travaille dans ce sens. "Nous aidons les jeunes issus des territoires à partir suivre des études dans des grandes écoles, explique Florent Aguiar, responsable communication de l'association. Parmi eux, de nombreux étudiants et diplômés souhaitent ensuite revenir sur leur territoire et mettre à profit leurs expériences mais ils ne disposent pas forcément d'une vision globale sur les opportunités qui peuvent s'offrir à eux, nous les aidons à concrétiser leur démarche." Des premiers temps d'accompagnement sont organisés pour les lycéens de l'ensemble de ces 24 territoires par des étudiants des grandes écoles. L'étape suivante sera de mettre en place le nouveau volontariat territorial en entreprise. "Cela nous intéresse car nous avons des actions de valorisation de l'entrepreneuriat dans les territoires et nous faisons le lien entre entrepreneurs locaux et jeunes diplômés, détaille Bixente Etcheçaharreta, président de l'association Des territoires aux grandes écoles. Cet outil nous apportera un débouché juridique et financier concret pour développer cette action."