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Les sénateurs en rangs serrés pour défendre les centres-villes

Phénomène rare : quelque 230 sénateurs ont apposé leur signature à la proposition de loi Pointereau-Bourquin visant à instaurer un "Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs". Le texte comprenant 31 articles va être examiné en commission puis en séance les 12 et 13 juin. Un agenda qui télescope l'examen du projet de loi Elan par les députés, dont l'article 54 crée l'Opération de revitalisation de territoire, principal instrument du plan Action coeur de ville lancé par le gouvernement.

Attention, un Pacte peut en cacher un autre. Derrière le projet de loi Pacte concocté par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire - qui a pris du retard - il y a le "Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs". A savoir la proposition de loi de 31 articles portée par les sénateurs Martial Bourquin (PS, Doubs) et Rémy Pointereau (LR, Cher). Quelques semaines après la présentation de ce texte à la presse (voir notre article du 20 avril), pas moins de 230 sénateurs "de toutes sensibilités politiques" y ont d’ores et déjà apposé leur sceau. "Il faut remonter au-delà de 1997 (212 cosignataires) pour voir un tel engouement autour d’une initiative parlementaire", se congratule le Sénat, dans un communiqué du 24 mai. La Haute Assemblée rappelle que cette proposition de loi a reçu le soutien de nombreuses associations d’élus (AMF, AMRF, APVF) et professionnelles. Elle sera à présent examinée en commissions puis en séance les 12 et 13 juin. "Il est à espérer que, dans cette perspective, le gouvernement comprendra la nécessité de compléter le plan 'Action cœur de ville' et jouera le jeu du dialogue avec le Sénat pour l’avenir de nos territoires", souligne le Sénat, alors que dans le même temps les députés ont entamé les discussions autour du projet de loi Elan (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), dont l’article 54 instaure l’Opération de revitalisation de territoire (ORT), principal instrument du plan Action cœur de ville qui cible les centres de 222 villes moyennes. Le projet de loi arrivera en séance le 30 mai, après avoir été amendé en commissions ces derniers jours. Les députés ont par exemple ouvert la possibilité de confier la mise en œuvre de ces ORT à des Scic (sociétés coopératives d’intérêts collectif) à capitaux publics-privés. D’aucuns y voient une forme de privatisation de la gestion des centres, sur le mode des galeries commerciales. Ils ont par ailleurs décidé de pérenniser les contrats de revitalisation artisanale et commerciale (Crac) lancés à titre expérimental dans la loi ACTPE de 2014.
Les députés ont élargi aux centres-villes couverts par une ORT le champ d’intervention d’Epareca (Etablissement public national pour l'aménagement et la restructuration des espaces commerciaux et artisanaux) aujourd’hui limité aux quartiers. Une mesure également soutenue dans la proposition de loi sénatoriale, qui vise à épauler les collectivités ayant peu de ressources en ingénierie.

Le Fisac remplacé par un fonds de revitalisation

Le principal grief des sénateurs contre ce plan gouvernemental est qu’il vise une liste limitée de villes. Eux estiment "que 600 à 700 communes seraient concernées, sans compter les bourgs". Dans leur proposition qui vient d’être mise en ligne, ils préconisent un nouveau périmètre d’intervention - l'opération de sauvegarde économique et de redynamisation (Oser) – s’adressant à tous les territoires, sans oublier les centres-bourgs. Ils soulignent "l’absolue nécessité d’agir", car si rien n'est fait "la situation deviendra irréversible". Leur mot d'ordre : "La réussite de la revitalisation passe en effet par la responsabilisation des acteurs locaux." L'objectif est de rééquilibrer les rapports en force vis-à-vis de la grande distribution et du commerce en ligne en plein essor, en agissant sur la fiscalité "aujourd'hui notoirement défavorable pour les centres-villes". Le financement de ce Pacte reposerait sur une fiscalité écologique : une contribution de lutte contre l'artificialisation des terres (visant les parkings des grandes surfaces) et une taxe sur les livraisons du e-commerce. A quoi s’ajouterait une majoration de Tascom (taxe sur les surfaces commerciales) au profit des intercommunalités signataires d’une convention Oser. 
Le Fisac serait transformé en un fonds de revitalisation baptisé Fonds pour la revitalisation par l'animation et le numérique des centres (Francc) afin de financer les postes de managers de centres-villes ou l’adaptation des commerçants et artisans au numérique. Les sénateurs n'oublient pas le logement (avec des allègements de fiscalité et des taux réduits de TVA pour les opérations de réhabilitations, la question des services publics et la santé. Les agences régionales de santé devraient par exemple privilégier l'installation de maisons de santé dans les centres.

Revenir à une "culture de la centralité"

Sans aller jusqu’à mettre fin à la législation sur l’aménagement commercial (pour l’intégrer dans l’urbanisme général), comme le proposait la proposition de loi Ollier-Piron, les sénateurs envisagent une refonte des règles. Outre une recomposition des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC), ils plaident pour une révision des seuils d’autorisations. A rebours de la loi Elan : là où cette dernière prévoit de supprimer les autorisations dans les périmètres des ORT, les sénateurs proposent de maintenir un seuil de 1.000 m2, tout en donnant la possibilité aux autorités locales d’abaisser ce seuil à 400 m2. Et en dehors des périmètres des Oser, les seuils d'autorisation d'implantation commerciale seraient automatiquement abaissés de 1.000 à 400 m2. On sait aussi que les sénateurs se sont montrés à plusieurs reprises favorables à l’instauration de moratoires locaux provisoires sur les implantatons commerciales en périphérie. La mesure figure bien dans leur texte (article 21), avec un déclenchement beaucoup plus automatique que dans le projet de loi Elan, puisque le préfet saisi par un maire ou un président d’intercommunalité signataire d’une convention Oser serait "tenu" de refuser les demandes d'autorisations commerciales. Les sénateurs veulent enfin rendre les documents d'aménagement artisanal et commercial (DAAC) obligatoires et prescriptifs.
A travers cet interventionnisme, Rémy Pointereau et Martial Bourquin prônent le retour à une "culture de la centralité", "après des années de culture de la périphérie qui a conduit à couvrir le territoire national de grandes surfaces (…) qui ont défiguré tant d'entrées de villes". "Veut-on vraiment de ce 'monde en toc', de malls géants qui réduisent la cité à sa fonction mercantile ?", interrogent-ils. Après l'examen de la proposition de loi Pacte, les sénateurs s'attéleront au projet de loi Elan. Une fenêtre de tir toute trouvée.
 

 

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